Le tribunal judiciaire de Versailles a rendu le 4 juin 2020 une décision importante en matière d’action de groupe (TJ Versailles, 2e ch., 4 juin 2020, RG N° 15/10221). Dans ce jugement longuement motivé, le tribunal considère qu’une action de rappel, engagée en vertu des règles relatives à la sécurité des produits intégrant le principe de précaution, ne vaut pas reconnaissance ou preuve d’un vice caché. Faute d’expertise ou de preuve d’un vice caché au titre des différents cas présentés, l’action est considérée à juste titre comme mal fondée.

Rappel des faits et de la procédure

Par acte d’huissier en date du 27 novembre 2015, l’association CLCV a assigné une marque de motos (assistée par notre cabinet) devant le TGI de Versailles, dans le cadre d’une action de groupe au sens des articles L. 423-1 et suivants du Code de la consommation, aux fins d’obtenir la réparation des prétendus préjudices économiques individuels subis par les acquéreurs des motos concernées à la suite d’une procédure de rappel de ces véhicules diligentée par le fournisseur en juin 2014. L’association CLCV estimait qu’un modèle de motos de la marque commercialisée en France par le fournisseur a été affecté d’un vice caché le rendant impropre à l’usage auquel il était destiné, et qu’en sa qualité de professionnel, le fournisseur était réputé connaître ce vice. Elle considère que ce vice caché aurait été la cause de préjudices matériels subis par les acquéreurs des motos concernées. Elle sollicitait la condamnation du fournisseur à verser aux acquéreurs des motos concernées tout un ensemble de sommes diverses et variées (114 euros par jour d’immobilisation du véhicule, ladite somme correspondant selon la CLCV à la location d’un véhicule de marque et catégorie équivalente au véhicule immobilisé ; le remboursement des mensualités de crédit acquittées pendant que le véhicule était immobilisé ; le remboursement des frais d’assurance réglés durant la période d’immobilisation du véhicule à hauteur de 3 euros par jour d’immobilisation ; ainsi que le remboursement de tous frais complémentaires occasionnés par la nécessité de trouver une solution alternative à l’utilisation de la motocyclette immobilisée et l’octroi de la somme de 12,50 euros par jour d’immobilisation, correspondant selon l’association à la décote de valeur du véhicule sur la période de l’immobilisation). L’association sollicitait également la condamnation du fournisseur à verser à l’association CLCV la somme de 50 000 euros à titre de provision à valoir sur les frais exposés par elle en vue notamment de représenter les acquéreurs des motocyclettes litigieuses auprès du fournisseur en cas de contestation de leur demande d’indemnisation et sa condamnation à verser à l’Association CLCV la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La teneur de la décision du tribunal

Le tribunal a rejeté l’action de groupe de la CLCV car il a constaté que la marque n’avait fait par son action de rappel que se conformer à ses obligations légales de sécurité et de précaution : « Les actions d’immobilisations et de remplacement mises en œuvre » par la société fournisseur « témoignent donc de l’accomplissement par cette dernière des obligations édictées par le code de la consommation en matière de sécurité des produits, en particulier l’article L. 423-2 du code de la consommation qui impose au professionnel de rappeler ou retirer de la vente des produits susceptibles de ne pas offrir au consommateur la sécurité attendue », sans pour autant que ceci ne constitue en soi la preuve et / ou reconnaissance d’une responsabilité quelconque : « En l’absence d’aucune expertise, ni document technique d’aucune sorte produit aux débats par la demanderesse, ces actions strictement préventives ne sont pas de nature à établir à elles seules l’existence du défaut suspecté, ni d’un vice caché au sens de l’article 641 du code civil, affectant le véhicule de l’un des consommateurs visés à la présente action ». Le tribunal a analysé le contenu des lettres d’information sur la campagne de rappel adressées aux consommateurs et a relevé qu’elles ne pouvaient pas être interprétées comme valant reconnaissance de responsabilité, l’action étant préventive. Le tribunal a par ailleurs relevé que la CLCV sollicitait une demande de réparation liée à l’immobilisation des motos mais que la CLCV ne démontrait ni n’alléguait de faute dans la mise en œuvre des actions préventives.

Les enseignements de la décision

Il résulte de cette décision qu’une action de rappel, engagée en vertu des règles relatives à la sécurité des produits intégrant le principe de précaution, ne vaut pas reconnaissance ou preuve d’un vice caché. Faute d’expertise ou de preuve d’un vice caché au titre des différents cas présentés, l’action est considérée à juste titre comme mal fondée. Il y avait un paradoxe certain de chercher à engager la responsabilité d’un fournisseur pour vice caché, au surplus dans le cadre d’une action de groupe, sur la seule base d’une action de rappel, alors que par définition il s’agit d’une action préventive résultant d’une obligation légale et que la preuve d’un vice caché est rigoureuse.

L’application de la garantie légale des vices cachés suppose en effet que soit démontrée, par celui qui l’invoque, l’existence d’un vice caché précis et déterminé imputable au véhicule, antérieur à la vente et rédhibitoire (article 1641 du code civil tel qu’interprété notamment par la jurisprudence (Cf. Cass. com., 19 mars 2002 : Jurisprudence Automobile n° 730, mai 2002, page 251 et Bordeaux 30 août 2005 : Jurisprudence Automobile n° 779 novembre 2006 page 611, Versailles 22 sept. 2006 n°05/03800, Macif c. Renault ; Versailles, 16 nov. 1995, Gaz Pal 15/16 janv. 1997, p.17 ; Cass. 1re civ., 6 févr. 2001, Jurisprudence Automobile n° 719, mai 2001, p. 236 ; Reims, 19 nov. 1994, CRMA c. Régie Renault ; Cass. 1re civ., 2 déc. 1992 ; 6 févr. 2001). La Cour de cassation retient systématiquement que la charge de la preuve du vice caché appartient à l’acquéreur : « C’est à l’acquéreur exerçant l’action en garantie des vices cachés qu’il appartient de rapporter la preuve de l’existence et de la cause des vices qu’il allégué, en sollicitant au besoin une mesure d’expertise » (Cass. 1re civ., 12 juill. 2007, n° 05-10.435).

La jurisprudence refuse ainsi d’appliquer la garantie des vices cachés dès lors qu’aucune pièce probante ne met en évidence une défectuosité certaine du bien vendu. La Cour de cassation a pu ainsi retenir que : « la cour d’appel qui a constaté que les expertises réalisées pour déterminer les causes de l’incendie n’avaient pas défini l’origine exacte et exclusive du sinistre, ni mis en évidence aucune défectuosité, ni l’implication d’un autre intervenant, ni un événement extérieur, en a exactement déduit que les conditions de la garantie n’étaient pas remplies » (Cass. 1re civ., 28 mars 2008, n° 07-14.055). « En l’absence de toute détermination d’une cause certaine du sinistre et de l’absence de constatation ou de mises en évidence en l’état du véhicule, d’une défectuosité précise et en l’absence d’implication d’un autre intervenant ou d’un événement extérieur, les conditions de la garantie des vices cachés ne sont pas réunies » (Paris, 29 oct. 2010, n°08/12352).

Pour tenter de fonder son action, l’association CLCV s’était contentée de reprocher au fournisseur d’avoir diligenté une campagne de rappel préventive. Or, l’existence d’un vice ne peut être déduite de la mise en œuvre d’une action de rappel qui, par principe, implique une défectuosité seulement potentielle, l’action portant sur le remplacement systématique d’une pièce du véhicule qui pouvait s’avérer ou non défectueuse. De façon générale, le remplacement d’une pièce potentiellement défectueuse effectué à titre préventif ne saurait s’analyser en une reconnaissance par le fournisseur de l’existence d’un vice caché.

La jurisprudence intervenue dans le cadre de litiges individuels reconnaît de façon constante qu’une action de rappel ne constitue pas une reconnaissance de responsabilité d’un défaut. Ainsi, il a été jugé que la mise en œuvre d’une action de rappel par l’importateur et le distributeur du sèche-linge ayant pris feu ne constitue nullement une reconnaissance ferme, non équivoque et non assortie de réserves de leur responsabilité au titre du défaut de ce produit dans la survenance du sinistre (Douai, 25 oct. 2018, n°17/04378). De même, la découverte par le fabricant, postérieurement à l’accident de la demanderesse, de la défectuosité du joint d’étanchéité et la procédure de rappel qui s’en est suivie, ne peuvent caractériser à elles seules et en l’absence de tout autre élément permettant d’établir l’identité de cause entre les deux dysfonctionnements, le défaut du produit ayant causé le préjudice de l’intéressée (Lyon, 28 juin 2018, n°16/05116).

Compte tenu de ces éléments, bien qu’elle ait écarté un peu rapidement l’ensemble des fins de non-recevoir de l’action de la CLCV, la décision du tribunal judiciaire de Versailles apparaît justifiée sur le fond. Elle invite cependant les fournisseurs diligentant une action de rappel à une certaine prudence dans le libellé des courriers adressés aux destinataires de l’action en évitant toute approximation de langage pouvant être interprétée comme une reconnaissance d’un défaut avéré.

Cette affaire permet aussi de s’interroger sur l’usage fait jusqu’à présent des actions de groupe. L’on sait que le bilan des actions de groupe depuis leur introduction en droit français est assez léger. Depuis 2014, seulement 21 actions ont été lancées dont 3 ont abouti à une transaction et 6 ont été rejetées pour des raisons de recevabilité ou de fond, les autres étant toujours en cours (C. Prudhomme, Les députés jugent sévèrement l’action de groupe, Le Monde, 11 juin 2020). Plusieurs projets envisagent d’étendre et de faciliter les actions de groupe, en particulier un projet de directive européenne et un récent rapport parlementaire de l’Assemblée Nationale (rapport Gosselin-Vichnievsky du 10 juin 2020). On peut cependant s’interroger légitimement sur l’opportunité d’un nouveau renforcement de l’action de groupe. Son bilan mitigé ne s’explique-t-il pas par d’autres raisons ? Un grand nombre de ces actions sont rejetées pour des raisons d’irrecevabilité ou d’absence de fondement. En l’espèce, venir reprocher à une entreprise de satisfaire à une obligation légale de sécurité et au principe de précaution pour tenter d’en inférer une action de groupe pour vice caché en l’absence d’autres éléments paraît constituer une dérive de l’action expliquant son échec. La vraie raison du bilan mitigé de l’action de groupe réside peut-être davantage dans d’autres raisons que la difficulté de leur mise en œuvre technique : choix inadéquat de causes ne pouvant donner lieu à une action de groupe au regard des textes applicables (cf. Cass. 1re civ., 19 juin 2019, n° 18-10.424), utilité limitée d’un contrôle ex post sous forme d’actions de groupe en présence d’un contrôle a priori d’une grande rigueur à travers un droit de la consommation hyper développé, bien davantage que dans les pays où les actions de groupe se sont développées, concurrence d’instruments juridiques plus souples ayant le même objet comme les actions groupées ou l’usage de mandats par milliers (Cass. crim., 20 mai 2015, n°14-81.147, D. 2015. 1419, obs. N. Dissaux, Des mandats par milliers…) ou encore d’instruments juridiques préventifs efficaces comme les actions en suppression de clauses abusives, etc.