Les défauts persistants du droit de la rupture de relations commerciales établies

Le droit de la rupture de relations commerciales établies a été réformé en profondeur par l’ordonnance EGalim 1 du 24 avril 2019. Celle-ci a mis fin à l’octroi de préavis excessivement longs pouvant aller jusqu’à 24 ou 36 mois en instituant une exonération complète de responsabilité en cas d’octroi d’un préavis de 18 mois (pour une application, V. Lyon, 4 mai 2022, n° 21/00336), la nouvelle règle s’appliquant aux résiliations prononcées après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 24 avril 2019 (Paris, 27 nov. 2019, n° 17/18305 ; 2 déc. 2021, n° 17/15348). La jurisprudence a également corrigé certaines incohérences de son application, notamment en reconnaissant que l’octroi d’un préavis n’excluait pas la faute grave et en initiant un mouvement de baisse de la durée des préavis ou encore en substituant la sanction de l’incompétence à l’irrecevabilité pour défaut de pouvoir en cas de saisine d’une juridiction non spécialisée (Cass. com., 18 oct. 2023, n° 21-15.378). Il n’en demeure pas moins que le texte continue de soulever d’importantes difficultés d’application et mériterait d’être appliqué de façon plus raisonnable dans certains cas.

1. L’insécurité juridique liée au caractère aléatoire de la précarisation en cas d’appels d’offres. Le recours à des appels d’offres est tantôt considéré comme de nature à « conférer à la relation commerciale, quelle que soit sa durée, une précarité exclusive de toute rupture brutale » (Paris, 15 avr. 2021, n° 18/15899 ; 12 avr. 2023, n° 21/03607) ou au contraire comme insuffisant « pour annuler le caractère établi d’une relation commerciale » (Paris, 25 juin 2020, n° 18/00121 ; 27 janv. 2023, n° 20/11912 ; 10 mars 2023, n° 22/00564). Outre ces divergences, la prise en considération des appels d’offres pour précariser une relation peut présenter des effets pervers. Elle est de nature à priver l’entreprise dépendante de son partenaire de tout préavis effectif dans l’attente du résultat de l’appel d’offres ou à permettre à la partie forte de contourner la loi en multipliant artificiellement les appels d’offres dans le seul but de précariser la relation.

2. L’incertitude persistante quant à la marge à prendre en considération pour indemniser un préavis insuffisant. Même si la Cour d’appel de Paris a publié en 2020 deux notes détaillées en faveur de la prise en compte de la marge sur coûts variables (fiches n° 6 et n° 13, avril 2020), et que la majorité des décisions font désormais référence à la marge sur coûts variables (Paris, 1er sept. 2021, n° 19/13714 ; 8 sept. 2021, n° 20/00883 et n° 20/09996 ; 26 janv. 2022, n° 20/08372 ; 9 févr. 2022, n° 20/08333 ; 15 juin 2022, n° 20/07458), force est de constater que certaines juridictions continuent de recourir à la marge brute (Paris, 21 janv. 2021, n° 19/11710 ; 10 févr. 2022, n° 19/00728 ; 30 juin 2022, n° 19/21143). De façon plus positive, même si elle emploie une terminologie pouvant prêter à confusion, la Cour de cassation a approuvé récemment une méthode de calcul de la marge sur coûts variables et admet même une marge sur coûts non supportés à la fois fixes et variables (Cass. com., 28 juin 2023, n° 21-16.940). Il conviendrait de retenir définitivement la notion de marge sur coûts évités en déduisant tous les coûts variables et fixes non supportés pendant le préavis.

3. L’appréciation inéquitable du préjudice subi à la date de la résiliation sans tenir compte d’événements postérieurs. La Cour de cassation et la Cour d’appel de Paris analysent la rupture des relations commerciales au jour où elle survient sans égard aux éléments postérieurs alors qu’en réalité, en raison de sa reconversion rapide, l’entreprise résiliée avec un préavis jugé trop bref peut n’avoir subi aucun préjudice (Paris, 22 févr. 2023, n° 20/17375 ; 1er mars 2023, n° 21/06082 ; Cass. com., 17 mai 2023, n° 21-24.809 ; Paris, 17 mai 2023, n° 22/13861 ; 4 juill. 2023, n° 22/11351). Une telle approche conduit à indemniser des entreprises qui n’ont subi aucun dommage alors que l’article L. 442-1, II du Code de commerce est fondé sur la responsabilité et l’obligation de « réparer le préjudice subi » par la rupture brutale de la relation. La jurisprudence consistant à réparer un préjudice inexistant va clairement à l’encontre du texte même de la loi.

4. La limite des 18 mois devrait constituer un plafond et non une exemption de responsabilité. L’article L. 442-1, II, alinéa 2, du Code de commerce dispose qu’en cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du grief d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de 18 mois. A contrario, si ce préavis n’a pas été accordé et si au regard notamment d’une très longue durée de relations l’on devait estimer qu’un préavis de 36 mois (au lieu par exemple de 12 mois) aurait dû être accordé, faut-il considérer que le préavis est insuffisant à hauteur de 24 mois ? Ces situations sont génératrices d’insécurité juridique et conduisent à accorder systématiquement un préavis de 18 mois alors qu’un préavis plus court serait suffisant. Il serait donc logique de préciser que le délai de 18 mois constitue un plafond en mettant fin aux divergences d’interprétation auxquelles peut donner lieu la rédaction sibylline du texte actuel.
Il conviendrait de corriger au plus vite ces quatre défauts persistants du droit de la rupture de relations commerciales afin d’en permettre une application à la fois plus efficiente et plus équitable.

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