#LeConseilDuMois – Comment défendre efficacement un réseau de distribution sélective contre les reventes hors réseau ?

L’interdiction faite aux membres d’un réseau de distribution sélective de revendre les produits ou services contractuels à des revendeurs non agréés fait partie de l’ADN de la distribution sélective. Juridiquement, cette interdiction de revente hors réseau est une condition essentielle de cette forme de distribution. Le règlement restrictions verticales 2022/720 du 10 mai 2022 définit ainsi la distribution sélective comme « un système de distribution dans lequel le fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu’à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés sur le territoire réservé par le fournisseur pour l’exploitation de ce système ». Du point de vue économique et commercial, l’interdiction de revente hors réseau conditionne l’existence même du réseau. Dès lors que les membres du réseau consentent des investissements et supportent des coûts pour satisfaire aux critères de sélection, il est indispensable que les produits contractuels soient vendus exclusivement par eux afin de les mettre en mesure d’amortir ces coûts. Un tiers revendeur qui n’a pas à les supporter pourrait, s’il avait accès aux produits contractuels, les vendre à bas prix sans assurer le service en concurrençant de façon déloyale les membres du réseau qui assurent le service. Les revendeurs hors réseau agiraient ainsi en tant que passagers clandestins ou free riders au détriment des revendeurs agréés. En pratique, la tentation individuelle de certains membres du réseau en difficulté ou mal intentionnés peut être grande d’alimenter des tiers au réseau pour réaliser un profit additionnel au détriment de la collectivité. Il est donc très important, pour assurer la viabilité du réseau, de prévenir et sanctionner ces comportements.

I. Prévenir les reventes hors réseau

1. Prévoir des clauses qui garantissent l’étanchéité juridique du réseau. Certains contrats sont intitulés « Distribution sélective », mais ne comportent aucune clause d’interdiction de revente hors réseau : il ne s’agit pas de contrats de distribution sélective. Si l’on veut interdire les reventes hors réseau, il faut le stipuler clairement. Au-delà de l’interdiction de revente, il est recommandé de prévoir une clause résolutoire permettant de résilier de plein droit le contrat en cas de revente hors réseau. La définition de produits contractuels est également déterminante. Certains distributeurs sont tentés de transformer les produits contractuels neufs dont la revente hors réseau est interdite en produits d’occasion récents, dont la revente est libre. Pour éviter ce contournement de règles, il est nécessaire d’adopter une définition du produit contractuel qui englobe à la fois le produits neufs et les produits d’occasion récents. En matière automobile, la plupart des contrats adoptent une définition du véhicule neuf qui englobe les véhicules immatriculés ayant parcouru moins de 1.000 km ou des définitions similaires antifraude.

2. S’assurer de la licéité du réseau. En cas d’action contre un revendeur hors réseau, la tête de réseau supporte la charge de la preuve de la licéité de son réseau (Cass. com., 21 juin 2011, LawLex201100001178JBJ). Il convient donc d’être en mesure de démontrer celle-ci, même en référé. Il faut ainsi être en mesure de prouver que l’on dispose de moins de 30 % de parts de marché et que le contrat ne comporte aucune restriction caractérisée de concurrence pour bénéficier de l’exemption de plein droit du règlement restrictions verticales. En pratique, la tâche n’est pas toujours aisée en raison du manque de statistiques sur les parts de marché ou de l’interprétation des clauses opposée par la partie adverse. En outre, en cas d’option pour un réseau purement qualitatif en raison du dépassement des seuils en parts de marché, il est délicat de démontrer que le contrat est conforme aux critères Metro. Dans les DOM, certains revendeurs hors réseau font valoir qu’une distribution sélective qualitative et quantitative attribuant un département à chaque distributeur serait contraire à la loi Lurel qui interdit l’octroi de droits exclusifs d’importation. Un tel grief, infondé dès lors que la distribution sélective autorisant les ventes actives et passives ne se confond pas avec la distribution exclusive, mais peut être une source de contestation (cf. Trib. mixte com. Fort-de-France, 31 mars 2022, LawLex202200001988JBJ).

3. Documenter l’existence du réseau sur tous les territoires pour lesquels la distribution sélective est invoquée. La jurisprudence est assez sévère et ne se contente généralement pas de la production d’un contrat-type (Paris, 3 nov. 2021, LawLex202100005755JBJ) mais exige la preuve de l’existence du système sélectif par la production d’exemples de contrats signés. Heureusement, seule l’étanchéité juridique doit être prouvée et non l’étanchéité de fait qui résulterait du respect absolu de la non-revente hors réseau en pratique (CJCE, 25 oct. 1977, Metro, LawLex200200004119JBJ ; Cass. com., 5 juill. 2017, LawLex201700001176JBJ ; Colmar, 22 mars 2021, LawLex202100000972JBJ).

4. Protéger les réseaux sélectifs en cas de recours à la distribution libre ou exclusive dans d’autres Etats membres. Le nouveau règlement restrictions verticales prévoit la faculté d’interdire aux distributeurs exclusifs ou libres de vendre les produits contractuels à des revendeurs hors réseau dans les pays où la distribution sélective est mise en œuvre. En cas d’option pour des régimes de distribution différents selon les pays, il est utile de prévoir ce type de clause.

5. Recourir à la clause de pass on. Le nouveau règlement restrictions verticales prévoit également la faculté d’étendre l’interdiction de revente hors réseau aux clients des distributeurs sélectifs. Bien entendu, il faut la contractualiser pour pouvoir en bénéficier.

II. Agir contre les reventes hors réseau

6. Sanctionner les membres du réseau se livrant à des reventes hors réseau. Il faut bien entendu faire respecter l’interdiction par les membres du réseau eux-mêmes et tarir les reventes hors réseau à la source. Cela implique des mesures de contrôle, qui sont licites (CJCE, 25 oct. 1977, Metro, précit.), et de sanction en cas d’infraction avérée (Paris, 20 févr. 2019, LawLex201900000237JBJ).

7. Agir contre les revendeurs hors réseau eux-mêmes. Les ventes réalisées par de simples particuliers échappent en l’état du droit aux poursuites (Cass. com., 3 mai 2022, LawLex201200000677JBJ). Il convient en revanche d’agir contre les revendeurs hors réseau. La simple revente n’est généralement pas suffisante. Il est impératif de leur notifier la clause contractuelle d’interdiction de revente pesant sur les membres du réseau et de les interroger sur leurs sources d’approvisionnement. Une absence de révélation de leurs sources d’approvisionnement les constitue de mauvaise foi (Cass. com., 27 oct. 1992, LawLex200200001699JBJ). Les conditions de commercialisation (publicité trompeuse, confusion avec le réseau officiel, conditions de vente incompatibles avec l’image de produits, contrefaçon) peuvent constituer des moyens d’attaque additionnels. Très souvent, il sera nécessaire de recourir à des mesures de constat sur ordonnance. Il faudra être en mesure de justifier in concreto de la nécessité de procéder par voie non contradictoire, la jurisprudence se montrant de plus en plus sévère. L’invocation de l’article L. 442-2 du Code de commerce peut faciliter les actions en justice. Il convient cependant de veiller dans ce cas au respect des compétences des tribunaux spécialisés pour connaître des pratiques restrictives. Même si ces actions sont complexes, elles peuvent aboutir à des résultats y compris en termes de dommages-intérêts (Paris, 9 nov. 2022, LawLex202200010692JBJ).

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