La réitération d’une pratique anticoncurrentielle est considérée comme une circonstance aggravante par le Code de commerce[1] et le communiqué Sanctions de l’Autorité[2].

Le communiqué Sanctions de l’Autorité définit la réitération de la manière suivante :

« La réitération est une circonstance aggravante dont la loi prévoit, compte tenu de son importance particulière, qu’elle doit faire l’objet d’une prise en compte autonome, de manière à permettre à l’Autorité d’apporter une réponse proportionnée, en termes de répression et de dissuasion, à la propension de l’entreprise ou de l’organisme concerné à s’affranchir des règles de concurrence. L’existence même d’une situation de réitération démontre en effet que le précédent constat d’infraction et la sanction pécuniaire dont il a pu être assorti n’ont pas suffi à conduire l’intéressé à respecter les règles de concurrence »[3].

Le communiqué pose quatre conditions cumulatives afin de déterminer l’existence d’une récidive[4] :

  • Le constat d’une infraction en droit français ou européen avant la fin de la nouvelle pratique. Il n’est pas nécessaire que ce constat soit assorti d’une sanction pécuniaire.
  • La nouvelle pratique doit être à minima similaire à la pratique précédente, par son objet ou par ses effets. Le fondement légal utilisé pour qualifier les infractions est donc essentiel dans la qualification de la réitération.
  • L’infraction doit avoir été constatée avec une décision définitive.
  • Le délai maximum est de 15 ans. Il est notamment pris en compte dans l’appréciation de la réitération, afin de respecter le principe de proportionnalité.

En droit européen, les lignes directrices sur le calcul des amendes[5] considèrent comme une circonstance aggravante le fait qu’ « une entreprise poursuit ou répète une infraction identique ou similaire après que la Commission ou une autorité nationale de concurrence a constaté que cette entreprise a enfreint les dispositions de l’article 81 ou de l’article 82 [actuels art. 101 et 102 TFUE]. Le montant de base sera augmenté jusqu’à 100 % par infraction constatée ».

Deux décisions récentes témoignent de l’appréciation extensive de la notion de réitération, tant à l’échelle de l’Union européenne qu’à celle du droit français.

Dans la première affaire[6], le Tribunal de l’Union a rejeté le recours formé par la société Clariant AG et sa filiale, Clariant International AG, dans le cadre d’une procédure de transaction dans l’affaire du cartel d’achat d’éthylène.En l’espèce, des informations sensibles avaient été échangées de 2011 à 2017 entre quatre entreprises. Trois entreprises, Orbia, Clariant et Celanes ont transigé avec la Commission, et la quatrième, Westlake, a bénéficié du programme de clémence. Si l’amende totale s’élève à 260 millions d’euro, Clariant s’est, à elle seule, vu infliger 156 millions d’euro. Le calcul de l’amende est critiqué par Clariant, notamment sur l’appréciation extensive de la récidive par la Commission. Il est reproché à la décision :

  • Une majoration de 50 % pour récidive, à la suite de l’affaire dite « AMCA »[7]
  • Une majoration de 10 % afin d’obtenir une sanction suffisamment dissuasive[8].

En l’espèce, sept à neuf ans s’étaient écoulés entre la constatation de l’entente dans l’affaire AMCA et le début des pratiques constatées par la Commission.

La seconde affaire[9] concerne les sociétés Edenred France, Up, Sodexo Pass France, et Natixis Intertitres, condamnées sur le fondement des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 TFUE, après la saisine de l’Autorité par trois organisations syndicales, au titre d’une entente dans le secteur de l’émission et de l’acceptation des Tickets Restaurants. Le premier grief porte sur « une entente sur le marché français des TR, en mettant en œuvre une pratique concertée constituée d’échanges réguliers et permanents d’informations confidentielles, récentes, précises et individualisées sur l’activité nationale des émetteurs » (…) communiquées par la CRT (devenue CRT T) ». Il s’étend du 1er octobre 2002 au 31 décembre 2015. Par le second grief, il est reproché aux mises en cause « d’avoir participé à une entente sur le marché français des TR, par laquelle (i) elles se sont interdites, pour une durée indéterminée et sous peine de sanctions, de développer, hors du cadre de la CRT, une plateforme d’acceptation des titres dématérialisés et (ii) elles pouvaient contrôler l’entrée de nouveaux concurrents sur le segment de marché des titres-papiers », étant précisé que « cette pratique [qui] avait pour objet et pour effet de verrouiller le marché des TR, par le contrôle (i) de l’entrée des concurrents sur le segment des titres-papiers, et (ii) du développement des TR dématérialisés ». Ce grief couvre la période allant du 21 janvier 2002 à la date de la notification de griefs, le 2 mars 2018.

Les sociétés Sodexo Pass France, Up, et Edenred France avaient déjà été sanctionnées en 2001[10] par l’Autorité de la concurrence pour des pratiques d’ententes horizontales. Il semble important de préciser que moins de 9 ans se sont écoulés entre le premier grief et la première pratique constatée en 2001, et moins de 7 mois pour second grief. Dès lors, l’Autorité a majoré leur sanction de 20 % pour le premier grief, et de 30 % pour le second.

Les sociétés appelantes ont fait valoir le principe de légalité des peines au soutien d’une interprétation restrictive de la notion de réitération, et souligné que les deux pratiques étaient différentes, puisque le simple fait qu’il s’agisse d’ententes horizontales ne suffirait pas, selon elles, à qualifier les pratiques de similaires.

Les solutions retenues par la Cour d’appel de Paris et par le Tribunal de l’Union présentent de grandes similarités.

Premièrement, la nécessaire proportionnalité de la majoration pour récidive se trouve dans la prise en compte du temps écoulé entre la première infraction constatée et la seconde. En effet, la Commission a un pouvoir d’appréciation de la proportionnalité de la majoration dans le cadre de la récidive, qui dépend notamment du temps écoulé entre les deux infractions. La Cour d’appel de Paris, en application du point 50 du communiqué Sanctions de l’Autorité, soumet la proportionnalité au même critère de durée entre les deux infractions.

De plus, le Tribunal et la Cour objectent tous deux les mêmes arguments quant à l’appréciation de la similarité des pratiques constatées.

D’une part, la Cour rappelle que « selon une jurisprudence constante, la réitération peut être retenue pour de nouvelles pratiques similaires, par leur objet ou par leurs effets, à celles ayant donné lieu au précédent constat d’infraction, sans que cette qualification n’exige une identité quant à la pratique mise en oeuvre ou quant au marché concerné (voir, notamment, Cass. com., 6 janvier 2015, pourvois n° 13-22.477 et n° 13-21.305, Bull. n° 1) ». Des pratiques de répartition de marché et de fixation de prix peuvent donc être considérées comme « similaires », dès lors que toutes deux constituent des ententes horizontales sanctionnées par l’article L. 420-1 du Code de commerce.

D’autre part, le Tribunal estime que la récidive peut être constatée même si la première infraction sanctionnée est une entente en matière de ventes, et la seconde une entente en matière d’achats, dès lors que toutes deux constituent des violations de l’article 101 TFUE et que leurs modalités concrètes de mise en oeuvre ont présenté des caractéristiques communes, telles que la fixation concertée de prix et des échanges d’informations sur ceux-ci.

Il ressort du raisonnement des deux juridictions que le constat de la similarité des infractions repose sur le fondement juridique desdites infractions. Dès lors, deux infractions constatées sur le fondement de l’article 101 TFUE ou, concernant le droit national, l’article L. 420-1 du Code de commerce, sont suffisamment similaires pour constater la réitération d’une infraction.

Enfin, la demande de la Commission de supprimer la réduction de l’amende de 10 % qui avait été accordée dans le cadre de la coopération dans la procédure de transaction démontre sa volonté d’adopter une position ferme à l’égard des contestations de cette procédure. Plus mesuré, le Tribunal souligne que le calcul des amendes ne figurait pas dans la proposition de transaction et dès lors, que « la Commission ne pouvait donc pas partir de la prémisse selon laquelle elles ne les remettraient plus en question dans le cadre d’un recours. ». Toutefois, l’on pourrait s’interroger sur une possible augmentation de l’amende dans le cas où le calcul figurerait dans ladite proposition[11].

[1] C. com., art. L. 464-2, I, al. 5.

[2] Communiqué de l’Autorité de la concurrence relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires 30 juillet 2021, ci-après le « communiqué Sanctions ».

[3] Communiqué Sanctions, pt 43.

[4] Ibid., pt 44.

[5] Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003, pt 28.

[6] TUE, 18 oct. 2023, aff. T-590/20, Clariant c. Commission.

[7] Comm. CE, 19 janv. 2005, aff. C.37.773, Acide monocloroacétique (dite « AMCA »).

[8] Lignes directrices pour le calcul des amende, pt 37.

[9] Paris, 16 nov. 2023, n° 20/03434.

[10] Cons. conc., 11 juill. 2001, n° 01-D-41.

[11] A titre d’exemple, le Tribunal a fait droit à la demande de la Commission d’augmentation de l’amende dans l’affaire T‑236/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Tokai Carbon e.a./Commission du 29 avril 2004, puisque la Commission ne pouvait raisonnablement s’attendre à la contestation des faits infractionnels alors même que la procédure impliquait la coopération objective de la requérante.