La Commission approuve la cession de Grail par Illumina visant à rétablir la situation comme elle l’était avant la concentration illégale

La fameuse opération de concentration « Illumina/Grail » continue de faire parler d’elle. Pour rappel, Illumina, géant de l’industrie pharmaceutique a souhaité acquérir l’entreprise Grail, qui a mis au point un procédé de détection précoce du cancer. En septembre 2020, Illumina annonce son intention d’acquérir Grail pour environ 8 milliards de dollars, dans le but d’accélérer l’accès et l’adoption de ces tests de détection du cancer. Cette opération ne franchissait aucun seuil national de contrôle mais la Commission a tout de même été amenée à examiner cette opération par le biais de sa nouvelle lecture de l’article 22 du règlement concentrations.

 

Or, tandis que l’enquête était toujours en cours, Illumina et Grail ont tout de même procédé à cette concentration, violant selon la Commission l’obligation de stand still, qui implique un gel des opérations le temps que la Commission prenne une décision quant à sa compatibilité avec le marché intérieur. Cette violation, qualifiée de gun-jumping, a été sanctionnée par une amende pour chacune des parties ainsi que par une l’obligation pour Illumina de céder Grail, afin de rétablir la situation concurrentielle antérieure à la concentration illégale. En outre, les deux entreprises doivent impérativement rester séparées avant le dénouement de l’opération.

La Commission a en particulier souhaité (i) rétablir l’indépendance de Grail vis-à-vis d’Illumina ; (ii) que Grail soit en mesure de poursuivre ses activités en tant qu’entreprise dans les mêmes conditions concurrentielles qu’avant l’acquisition et (iii) que ces mesures soit réalisées assez rapidement et avec suffisamment de certitudes, « de sorte que la situation antérieure à l’opération puisse être rétablie dans les plus brefs délais ».

Illumina a ainsi présenté un plan de cession pour se conformer à cette injonction qui consiste, soit par une vente commerciale, soit par opération sur les marchés de capitaux, à céder Grail. La Commission, observant que ces mesures sont à même de satisfaire à toutes les conditions posées pour restaurer la situation concurrentielle de Grail, a approuvé ce plan de cession.

Mais cette étape est loin de marquer la fin de l’affaire Illumina/Grail. Les parties contestent en effet devant la Cour de justice la nouvelle interprétation de la Commission du mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 du règlement 139-2004, initialement créé pour permettre aux pays sans mécanisme de contrôle des concentrations au niveau national de demander une étude de l’opération. En se reconnaissantcompétente au titre de l’article 22 pour examiner une concentration sans dimension européenne et ne dépassant pas les seuils nationaux de contrôle des concentrations, la Commission estime respecter la lettre du texte, lequel ne fait pas de distinction selon la présence ou l’absence d’une législation nationale adaptée chez les pays initiant le renvoi, alors même qu’avant la publication en 2021 de ses orientations concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement sur les concentrations à certaines catégories d’affaires (JO 2021, C 113, 1)), elle refusait les demandes de renvois et décourageait les Etats membres d’en soumettre si l’opération en question ne franchissait pas les seuils nationaux, considérant que ces demandes pouvaient porter atteinte à la sécurité juridique.

Le Tribunal de l’Union a été saisi et a donné raison à la Commission. Mais alors que la décision de la Cour de justice est attendue cette année, l’avocat général Emiliou semble, dans ses conclusionsrendues le 21mars 2024, vouloir inverser la donne. Il estime en effet que les « États-membres ne peuvent pas demander à la Commission d’examiner une concentration n’ayant pas une dimension communautaire lorsque ces États ne sont pas compétents pour contrôler cette concentration en vertu de leur droit national » et que l’adaptation de la réglementation à l’« économie 2.0 » incombe au législateur et non à la Commission.

Ainsi, il ne peut être exclu que la pratique de la Commission résultant de l’article 22 subisse de nouveaux changements dans les mois à venir, affectant de manière significative toutes les opérations de concentration européennes.

Enfin, du point de vue de la sécurité juridique, il serait hautement souhaitable d’exclure tout contrôle des concentrations en-dessous des seuils prédéfinis, que ce soit à travers le mécanisme du renvoi ou par le biais de l’abus de position dominante. Il s’agit en effet de dérives du droit de la concurrence qui sont contraires à la sécurité juridique des entreprises.

 

 

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