La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de rendre le 9 juillet 2013 un arrêt très important en matière de rupture de relations commerciales établies. La Cour entend visiblement lui donner la valeur d’un arrêt de principe puisqu’elle en a ordonné la publication au Bulletin des arrêts et au Bulletin d’information de la Cour de cassation. La position de principe de la Cour de cassation semble désormais être la suivante : l’analyse de la responsabilité pour rupture de relations commerciales établies doit nécessairement passer par un raisonnement en deux étapes :

  1. Il convient d’abord d’apprécier la durée du préavis qui aurait dû être accordé « en fonction de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture » ;
  2. Dans un deuxième temps, « en cas d’insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire ».

Le débat n’est pas clos et reprendra devant la cour d’appel de Paris. L’arrêt à intervenir sera en tout état de cause déterminant : soit il ira dans le sens de l’absence d’indemnité automatique en fonction du nombre de mois manquants en exigeant la preuve d’un préjudice (pouvant être inexistant quel que soit le préavis insuffisant si le concessionnaire résilié s’est reconverti ou réalise des résultats supérieurs après la résiliation comme cela peut être le cas en pratique), soit il ira dans le sens d’une indemnisation automatique et forfaitaire totalement décorrélée de la réalité économique.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de rendre le 9 juillet 2013 un arrêt très important en matière de rupture de relations commerciales établies. Elle entend visiblement lui donner la valeur d’un arrêt de principe puisqu’elle en a ordonné la publication tant au Bulletin des arrêts qu’au Bulletin d’information de la Cour de cassation. Pour autant, ce n’est pas parce que l’arrêt est de principe qu’il apporte un réel éclaircissement et une plus grande sécurité juridique.

En l’espèce, un fournisseur avait résilié un contrat de distribution en respectant le préavis contractuel d’un an après une cinquantaine d’années de relations commerciales. Le concessionnaire avait assigné le fournisseur sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce au motif que, selon lui, le préavis qui devait être respecté aurait dû être de deux ans.

La Cour d’appel de Rennes, après une analyse détaillée des circonstances avait constaté que le concessionnaire s’était parfaitement reconverti dans le délai de préavis sans préjudice financier et qu’il n’était pas démontré que la durée du préavis avait pu le priver d’une chance de mieux se reconvertir.

La Cour d’appel en avait déduit que le préavis avait été suffisant pour la reconversion du concessionnaire et surabondamment qu’il n’y avait pas de préjudice indemnisable. C’est cet arrêt qui est cassé par l’arrêt du 9 juillet 2013 de la Cour de cassation.

  • L’appréciation du délai de préavis suffisant

Dans un premier temps, la Cour pose le principe suivant : « Le délai de préavis s’apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture. »

La Cour de cassation sanctionne alors la Cour d’appel pour avoir pris en compte dans l’évaluation du caractère suffisant de la durée du préavis des éléments postérieurs à la résiliation tels que la reconversion effective du concessionnaire.

Est-ce une solution satisfaisante ?

Le préavis de résiliation est en principe destiné à permettre à la partie ayant fait l’objet de la rupture de se reconvertir.

Par ailleurs, le texte de l’article L. 442-6 du Code de commerce est un texte de responsabilité « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le dommage causé, le fait par tout producteur, commerçant…. ».

Dès lors, que le juge prenne en compte le succès de la reconversion ou au contraire la réalisation d’un dommage pour évaluer si le préavis était suffisant a le mérite d’ancrer la décision judiciaire dans la réalité des faits de l’espèce.

La Cour de cassation en juge autrement. Le délai de préavis s’apprécierait, selon elle, uniquement en fonction de la durée des relations et « des autres circonstances au moment de la notification de la rupture. »

Ces « autres circonstances » dont il n’est rien dit dans l’arrêt sont-elles plus pertinentes que la reconversion ou l’éventuel préjudice ? La marge d’incertitude est grande. Le fait est que si la « suffisance » du préavis est appréciée indépendamment de la réalité de la reconversion ou du préjudice, son appréciation devient très théorique et décorrélée de de la réalité économique ce qui pour un texte de responsabilité et de droit économique n’est guère satisfaisant.

Le préavis n’est pas une fin en lui-même. Il est un moyen de permettre la reconversion du partenaire. Or, c’est l’objectif qui détermine les moyens et non l’inverse.

Par conséquent, juger de la pertinence des moyens sans prendre en compte la réalisation de l’objectif paraît assez discutable sur le terrain du droit comme celui de la logique.

Néanmoins, il paraît acquis au vu de cet arrêt du 9 juillet 2013 que la jurisprudence qui déduirait le caractère suffisant de la durée du préavis de la seule absence de préjudice serait sanctionnée par la Cour de cassation.

  • Le préjudice résultant d’un préavis insuffisant

Dans un second temps, la Cour de cassation ajoute: « en cas d’insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire ».

Que la réparation prenne en compte la durée du préavis jugée nécessaire se conçoit.

Ce qui est réparable, c’est en effet le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non le préjudice résultant de la rupture elle-même.

C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé de façon très claire la Chambre commerciale dans un arrêt récent du 11 juin 2013 (12-20846).

En revanche, cette seconde branche de l’attendu est un peu courte.

La seule durée du préavis jugée nécessaire, surtout si elle est appréciée au jour de la notification de la rupture sans prise en compte des éléments postérieurs, telle que la réalisation concrète d’un dommage, ne peut évidemment pas suffire à l’évaluation du préjudice réparable.

Si l’indemnisation devait être déconnectée du dommage réel, il ne faudrait plus parler de « réparation » ou de « responsabilité » mais de « tarif » ou de « forfait », ce qui conduirait à s’éloigner vraiment trop loin des termes de la loi qui « oblige à réparer le dommage causé ».

La question ouverte par l’arrêt Limongi du 6 novembre 2012 (Com. n°11-24570) n’a pas encore trouvé sa réponse définitive, l’appréciation du préjudice relevant pour l’essentiel du pouvoir souverain des juges du fond.

Nul doute que certains distributeurs tenteront de défendre l’idée d’un préjudice forfaitaire qu’il ne serait pas nécessaire de prouver. Cela ne serait cependant sans doute pas conforme à la loi ni à la jurisprudence, même si sur ce point la Cour de cassation n’a guère éclairé le justiciable.

Le débat n’est pas clos et reprendra devant la Cour d’appel de Paris. L’arrêt à intervenir sera en tout état de cause déterminant : soit il ira dans le sens de l’absence d’indemnité automatique en fonction du nombre de mois manquants en exigeant la preuve d’un préjudice, soit il ira dans le sens d’une indemnisation automatique et forfaitaire. Mais dans ce cas, sera-t-on encore dans un régime de responsabilité. Et une telle évolution est-elle possible sans réécriture de la loi ?