La réglementation en vigueur et la pratique de la DGCCRF concernant les délais de paiement des factures connaissent actuellement une évolution qui impose d’être encore plus vigilant.

Deux actualités récentes attirent l’attention sur la réglementation des délais de paiement et les contrôles opérés par la DGCCRF. D’une part, la DGCCRF continue à mettre en œuvre la pratique du name and shame à l’égard des entreprises qu’elle considère comme des mauvais payeurs (I.), et d’autre part, la Commission européenne a dévoilé le 12 septembre 2023 un nouveau projet de règlement contenant des propositions de modifications radicales par rapport aux dispositions actuellement en vigueur en matière de délais de paiement (II.).

I. La poursuite de l’utilisation de la pratique du name and shame par la DGCCRF en matière de non-respect des délais de paiement

La DGCCRF a récemment publié sur son site internet une liste de 45 entreprises ayant été sanctionnées pour non-respect des règles de délais de paiement fixées par le code de commerce. Cette publication comprend le nom de la société et son numéro SIRET, la date et le montant de l’amende prononcée. Dans sa dernière publication, la DGCCRF a mentionné des entreprises ayant été condamnées entre le 26 décembre 2022 et le 23 octobre 2023.

Cette publication s’ajoute aux amendes administratives imposées par la DGCCRF au titre de l’article L. 441-16 du code de commerce. La DGCCRF souhaite utiliser l’atteinte réputationnelle que cela peut engendrer pour inciter les entreprises à respecter les règles relatives aux délais de paiement.

L’application de cette approche s’inscrit également dans un courant plus large que les simples délais de paiement. D’une part la DGCCRF l’a déjà utilisé à l’égard des influenceurs mettant en œuvre des pratiques commerciales trompeuses. D’autre part, l’Exécutif a également recours à cette méthode comme le Ministre de l’Economie, Monsieur Bruno Le Maire, qui a récemment cité publiquement le nom de trois entreprises ne participant pas assez à ses yeux à la lutte contre l’inflation.

Ce risque réputationnel impose aux entreprises d’être encore plus vigilantes quant au respect des délais de paiement. Surtout que lors des contrôles la DGCCRF apprécie de manière stricte le respect des délais et n’accepte que peu de justifications.

II. Les modifications radicales prévues par le nouveau projet de règlement européen sur la lutte contre les retards de paiements dans les transactions commerciales

A) Présentation du nouveau règlement et de ses dispositions

La proposition de règlement présentée le 12 septembre 2023 par la Commission européenne a pour but de remplacer la directive 2011/7/UE afin d’uniformiser le cadre légal applicable aux délais de paiement.

La proposition de règlement devrait s’appliquer pour tous les paiements de factures entre deux entreprises, et entre une entreprise et une autorité publique lorsque cette dernière est débitrice.

Cette proposition de règlement comporte des dispositions prévoyant notamment que :

  • Article 3: La période laissée aux entreprises pour payer les factures est plafonnée à 30 jours calendaires à partir de la date de réception de la facture ou d’une demande de paiement équivalente, sans porter atteinte aux délais plus courts prévus par les Etats membres et sans dérogations possibles ;
  • Article 5: Le débiteur payant en retard les factures est redevable automatiquement des intérêts, il n’est pas possible de restreindre les intérêts dus au titre des retards de paiement ;
  • Article 6: Le taux de référence pour les intérêts dus est le taux déterminé par la BCE au 1er janvier ou au 1er juillet majoré de 8 % ;
  • Article 8: L’indemnité forfaitaire en compensation des coûts de recouvrement est fixée à 50 euros pour chaque transaction.
  • Article 9: Les clauses contractuelles qui prévoient un délai de paiement supérieur à 30 jours, qui excluent ou limitent les intérêts dus et l’indemnité forfaitaire en compensation des coûts de recouvrement, et qui retardent ou empêchent intentionnellement le moment de l’envoi de la facture sont nulles et non avenues.

B) Le délai très court de 30 jours prévu par la proposition de règlement

Le délai maximal de 30 jours à compter de la réception de la facture sans dérogation marque un changement profond opéré par la Commission européenne. Il supprimerait toutes les dérogations de délais de paiement prévues par les articles L. 441-10 et L. 441-11 du code de commerce pour les produits non périssables, les jouets, les ventes dans le secteur de la filière du cuir ou de l’horlogerie, de la bijouterie, de la joaillerie et de l’orfèvrerie.

De ce fait, il apparaît que ces dispositions sont bien plus strictes que celles prévues par la directive 2011/7/UE et les articles L. 441-10 et suivants du code de commerce.

De plus, le point de départ du délai de 30 jours prévu par la proposition de règlement est la date de réception de de la facture ou d’une demande de paiement équivalente. Ce point de départ unique marquerait un changement avec ceux retenus au titre des articles L. 441-10 et suivants du code de commerce. Ces derniers prévoient comme point de départ du délai soit la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée, soit la date d’émission de la facture.

Un délai de 30 jours à compter de la réception de la facture pour la payer est très court. Il s’avère qu’en matière de transport routier de marchandises, domaine pour lequel l’article L. 441-11 du code de commerce prévoit un délai de paiement de 30 jours à compter de la date d’émission de la facture, le respect des délais de paiement est relativement difficile à tenir dans les faits.

Le fait pour la Commission de retenir un délai maximal unique n’est pas anodin. Son objectif est de pouvoir faciliter le pouvoir de contrôle des autorités nationales, de limiter au maximum les notions peu claires et par conséquent de réduire les interprétations possibles. Si le texte devait entrer en vigueur tel quel, il ne fait aucun doute que la DGCCRF l’appliquerait en appréciant d’une manière stricte le respect de ce délai.

Les entreprises devront, au moment de l’entrée en vigueur de la proposition de règlement, être vigilantes et mettre en place des processus internes suffisamment efficaces pour traiter et payer les factures dans le délai imparti.

C) Les conséquences sur les besoins en fonds de roulement des entreprises

La principale conséquence pour les entreprises de l’abaissement du délai de paiement envisagé serait l’augmentation mécanique des besoins en fonds de roulement pour ces dernières. Au niveau de la France, les besoins en fonds de roulement supplémentaires engendrés par cette proposition de règlement sont estimés à presque 30 milliards d’euros. Au niveau de l’Europe, ce chiffre grimpe à 150 milliards d’euros.

Pour la Commission, cette conséquence n’est pas réelle puisqu’à partir du moment où tout le monde paiera à temps, les liquidités circuleront assez rapidement pour éviter une hausse des besoins en fonds de roulement.

Cependant, cette proposition de règlement arrive à un moment où les taux d’intérêt s’envolent, où les entreprises ne disposent plus nécessairement de la même trésorerie qu’avant la crise, et où la forte inflation a entraîné une hausse des coûts pour tous les acteurs.

Contrairement à ce qu’affirme la Commission, les différents acteurs et représentants des différents secteurs du commerce affirment unanimement que la mise en œuvre de ce projet conduirait les entreprises à diviser dans le temps leurs commandes et à limiter leurs stocks, ce qui conduirait nécessairement à une hausse des prix et à des ruptures de stocks.

La hausse des besoins en fonds de roulement des entreprises va également impacter les budgets dédiés à l’investissement et au développement de multiples produits qui sont pourtant essentiels au bien-être des consommateurs. Cela impactera aussi bien la grosse entreprise qui vend des produits de bricolage que la PME qui vend des livres. L’obligation de devoir payer dans un délai extrêmement court les factures va inciter les entreprises à recentrer leurs offres sur les produits phares au détriment de produits moins en vue qui sont pourtant tout aussi importants pour certains clients.

De plus, le plafond imposé par la proposition de règlement ne tient d’ailleurs aucunement compte des spécificités de certains secteurs, comme la filière des jouets qui écoule la majeure partie de ses produits lors des fêtes de fin d’année et qui doit accumuler de nombreux stocks en amont pour éviter des ruptures. Il en va de même pour la filière des sports de glisse sur neige avec l’existence d’une saison d’activité en hiver. Pour ces secteurs, la hausse des besoins en fonds de roulement va être considérable pendant les périodes creuses, pourtant essentielles à la préparation des périodes pleines. Cela est également applicable à toutes les entreprises dans des secteurs où le consommateur paie au moment de la livraison, ou à la fin de la prestation qui peut durer plus de trente jours.

Enfin, l’impact de cette hausse du besoin en fonds de roulement risque de détourner les entreprises européennes des offres locales, nationales ou européennes lorsqu’il existe des équivalents similaires non-européens. En effet, ces entreprises vont être incitées à conclure avec des entreprises non-européennes pour ne pas se voir appliquer le plafond de 30 jours prévu par la proposition de règlement.

Cependant, à vouloir mettre un plafond trop strict, cela risque de créer de des problèmes de besoins de fonds de roulement pour les sociétés travaillant à la fois avec des entreprises européennes (respect du plafond de 30 jours) et avec des entreprises non-européennes (ne devant pas respecter le plafond de 30 jours). Ces entreprises pourront dans le même temps être obligées de payer des factures sous 30 jours, alors que ces entreprises seront elles-mêmes payées par les entreprises non-européennes dans des délais bien supérieurs. La limite du raisonnement de la Commission européenne se trouve dans le commerce que réalisent les sociétés européennes avec des sociétés non-européennes, et l’existence de dispositions concernant les délais de paiement bien différentes. Ce commerce intercontinental va impacter toutes les relations commerciales intra-européennes et affaiblir les entreprises européennes commerçants avec des entreprises non-européennes.

Ainsi, fixer un plafond maximal aussi restreint risque de créer des besoins de fonds de roulement très importants pour tous les acteurs dans une période où l’inflation a déjà fait augmenter tous les coûts, ce qui risque d’impacter toutes les entreprises indépendamment de leur taille et par conséquent les consommateurs.

D) Quelle est la suite pour la proposition de règlement ?

Tout d’abord, cette proposition de règlement doit être adoptée par le Parlement européen et le Conseil. Il est tout à fait possible que des modifications soient proposées et que la Commission doive modifier sa proposition.

Si la proposition de règlement devait être adoptée en l’état, les nouvelles règles deviendraient applicables un an après l’entrée en vigueur du règlement. Il est précisé que ces règles s’appliqueront à tous les contrats, même ceux conclus avant l’entrée en vigueur du règlement et indépendamment des clauses contractuelles prévoyant un délai de paiement supérieur.

Il est donc nécessaire de bien surveiller l’évolution du projet et de s’y préparer en anticipant les conséquences.