Par quatre arrêts rendus, le 15 novembre 2023, dans la célèbre affaire du Mediator, la Cour de cassation a reconnu la possibilité à des victimes présentant des lésions cardiaques du fait de la prise de Mediator, d’agir sur le fondement de la responsabilité pour faute, alors qu’elles étaient forcloses dans leur action en responsabilité du fait des produits défectueux.

En l’espèce, la Cour d’appel de Versailles avait considéré que l’action exercée par la victime sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux était prescrite car son assignation en justice avait été délivrée plus de trois ans après la connaissance de son dommage, acquise à la date de l’avis de l’ONIAM. En outre, selon les juges du fond, la responsabilité délictuelle pour faute du producteur ne pouvait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, dès lors que la faute reprochée au laboratoire, prise d’un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d’un médicament dont il connaissait les risques ou de son absence de retrait du marché français contrairement à d’autres pays européens, n’était pas distincte du défaut de sécurité du médicament.

L’articulation de la responsabilité du fait des produits défectueux avec d’autres régimes de responsabilité est régie par l’article 13 de la directive 85-374 et l’article 1245-17, alinéa 1er du Code civil, qui prévoient que la victime d’un dommage résultant d’un produit défectueux peut se prévaloir des droits qu’elle tire du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou d’un régime spécial de responsabilité. Selon la Cour de justice, cette faculté doit s’interpréter restrictivement, en ce sens que la référence, à l’article 13 de la directive, aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée comme la faculté d’appliquer des régimes de responsabilité qui reposent sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, 25 avril 2002, aff. C-52-00). S’alignant sur le juge européen, la Cour de cassation retient donc que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux exclut l’application de régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun fondés sur le défaut d’un produit (telle par exemple la responsabilité du fait des choses), à l’exception de la responsabilité pour faute et de la garantie des vices cachés. La Haute juridiction a également considéré que la victime qui n’établit pas l’existence d’une faute distincte du défaut de sécurité du produit concerné, ne peut fonder son action que sur les articles 1245 et suivants du Code civil (Cass. 1re civ., 17 mars 2016, n° 13-18.876). Mais la distinction, mal- aisée, entre le défaut de sécurité du produit et la faute du producteur en cas d’atteinte à la sécurité a conduit les juges du fond à assimiler la faute au défaut de sécurité, fondant l’application de la seule responsabilité du fait des produits défectueux, et excluant par là-même, toute action sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. La solution rendue par la Cour d’appel de Versailles s’inscrit dans cette tendance jurisprudentielle, consistant à apprécier restrictivement la faute du producteur. Pour peu que l’action en responsabilité du fait des produits défectueux ait été déclarée prescrite, faute d’avoir été intentée dans les trois ans à compter de la consolidation du dommage corporel et dans la limite de dix ans à partir de la mise en circulation du produit, la victime d’un dommage imputé à un produit défectueux était en pratique privée de toute réparation, alors qu’elle aurait disposé de dix années à compter de la consolidation de son dommage pour agir sur le fondement de l’article 1240, si la faute du producteur n’avait pas été écartée.

Par un arrêt du 14 novembre 2018, n° 17-23.668, la première Chambre civile de la Cour de cassation avait déjà énoncé qu’une cour d’appel ne peut retenir l’application exclusive à un litige du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux et déclarer prescrite l’action mise en œuvre sur ce fondement, sans rechercher si la garantie des vices cachés ou la responsabilité extracontractuelle pour faute, invoquées par la victime, n’étaient pas applicables. Sous-tendu par la volonté de la première Chambre civile de favoriser le droit à réparation des victimes dont l’action en responsabilité du fait des produits défectueux est prescrite, l’arrêt commenté va plus loin en énonçant, par un attendu de portée très générale, que « la victime d’un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, si elle établit que son dommage résulte d’une faute commise par le producteur, telle qu’un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit ». L’arrêt commenté intervient à propos d’un médicament défectueux, dans la très médiatique affaire du Médiator, alors que les victimes étaient toutes forcloses dans leur action sur le fondement des article 1245 et suivants. Toutefois, même si l’intention de la Haute juridiction est louable, l’articulation entre les différents régimes de responsabilité de droit commun et la responsabilité du fait des produits repose sur un équilibre fragile et précaire. Dès lors, il est à craindre que par un effet de vases communicants, le recours à la responsabilité pour faute, s’il venait à être privilégié par les victimes, ne vide de sa substance le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.