Pénalités logistiques : le Conseil constitutionnel ne trouve pas imprécise la notion de « marge d’erreur suffisante »

Dans une décision du 30 avril 2024, le Conseil constitutionnel a jugé que l’article L. 441-17 du Code de commerce, concernant l’encadrement des pénalités logistiques qu’un distributeur peut infliger à son fournisseur, est conforme à la constitution.

Cette décision est née à la suite d’un contrôle des conventions logistiques du Groupement d’Achats Edouard Leclerc (GALEC). L’Administration reprochait à la société plusieurs infractions aux règles sur les pénalités logistiques et lui avait enjoint, sous astreinte, de modifier les clauses relatives à ces pénalités dans les contrats passés avec ses fournisseurs.

À l’occasion du recours contentieux entamé devant le Tribunal administratif de Melun, le GALEC a soulevé une question prioritaire de constitutionalité, transmise par la suite au Conseil d’Etat puis au Conseil constitutionnel le 9 février 2024, conformément à la procédure issue de l’article 61-1 de la constitution.
La question prioritaire de constitutionnalité portait sur la conformité de l’article L. 441-17 du Code de commerce au principe de légalité des délits et des peines, énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Selon ce principe, le législateur ou, dans son domaine de compétence, le pouvoir réglementaire, doivent fixer les sanctions ayant le caractère d’une punition en des termes suffisamment clairs et précis. Le principe ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étend à toute sanction ayant le caractère d’une punition.

Pour rappel, l’article L. 441-17 du Code de commerce prévoit que « Le contrat peut prévoir la fixation de pénalités infligées au fournisseur en cas d’inexécution d’engagements contractuels. Il prévoit une marge d’erreur suffisante au regard du volume de livraisons prévues par le contrat. Un délai suffisant doit être respecté pour informer l’autre partie en cas d’aléa ». Ce texte étant d’ordre public, les parties ne peuvent pas y déroger. Les articles L. 442-1, I, 3° et L. 442-4 du même code prévoient respectivement que le fait d’imposer des pénalités logistiques ne respectant pas l’article L. 441-17 du Code de commerce engage la responsabilité du contrevenant, l’oblige à réparer le préjudice causé, et l’expose en outre à d’une amende civile.

Le GALEC soutenait à l’occasion de la QPC que les dispositions de l’article L. 441-17 étaient contraires au principe de légalité des délits et des peines en raison de l’imprécision de la notion de « marge d’erreur suffisante », alors que l’auteur du manquement à l’obligation concernée est passible d’une sanction ayant le caractère de punition.

Lors de l’audience du 23 avril 2024, le GALEC a notamment rappelé que le législateur avait initialement envisagé qu’un décret vienne préciser la notion de « marge d’erreur suffisante ». Ce décret n’a finalement jamais vu le jour. Les lignes directrices publiées par l’administration pour faciliter l’interprétation et l’application du texte ne livrent pas non plus les précisions attendues par les professionnels du secteur sur ce que recouvre la « marge d’erreur », qui « doit être déterminée entre les parties au contrat au cas par cas au regard des caractéristiques des produits concernés, des modalités d’approvisionnement, des caractéristiques de l’entreprise qui fournit le distributeur et des volumes de livraison prévus au contrat ou, à défaut de volumes de livraison prévus au contrat, au regard des volumes effectivement livrés ».

De son côté, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), qui est intervenue pour présenter des observations, a fait valoir que l’adoption de ce texte révélait une immixtion quasi permanente de l’Administration dans le contrat et une frénésie législative là où des outils pour interdire ou sanctionner les pénalités disproportionnées existaient déjà en droit français, notamment au titre du contrôle de la clause pénale ou à l’interdiction du déséquilibre significatif. La FCD avançait également que l’imprécision du texte était source d’insécurité juridique, principalement au détriment des distributeurs risquant des contestations systématiques des pénalités infligées aux fournisseurs sur le fondement d’une absence de « marge d’erreur suffisante » alors même que les pénalités n’auraient pas été excessives. En définitive, l’application du texte serait aléatoire, alors même que les manquements peuvent être lourdement sanctionnés.

Le Conseil constitutionnel n’a pas été convaincu par les arguments du GALEC et de la FCD.
Il relève que « le caractère suffisant de la marge d’erreur doit s’apprécier au cas par cas au regard du volume de livraisons prévues par le contrat ». Il en conclut lapidairement que « la notion de « marge d’erreur suffisante » ne présente pas de caractère imprécis ou équivoque » et qu’« en faisant référence à cette notion, le législateur a défini avec une précision suffisante les éléments essentiels de l’obligation dont, sous le contrôle du juge, la méconnaissance est sanctionnée ».

Par conséquent, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article L. 441-17 du Code de commerce conforme à la Constitution. Les entreprises apparaissent donc, sans contestation possible, livrées au pouvoir souverain d’appréciation de l’Administration, dont on déplore régulièrement le manque de motivation des décisions et l’excessive bienveillance du contrôle exercé par le juge de l’excès de pouvoir.

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