Les entreprises n’en finissent pas de découvrir de nouvelles obligations au fil des législations et réglementations d’économie administrée adoptées au cours des derniers mois (décret Montebourg sur le renforcement du contrôle des investissements étrangers en France, loi Florange sur l’encadrement des fermetures de sites, encadrement du temps partiel et des stages, loi ALUR ayant gelé l’immobilier locatif, loi Pinel encadrant les loyers commerciaux, loi Hamon soumettant les entreprises à un formalisme aussi inutile que coûteux, circulaire du 6 août 2014 entendant imposer aux fournisseurs un prix intangible pendant un an dans leurs relations avec leurs distributeurs relevant de la convention unique, etc.).
La dernière loi en date sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014 recèle aussi son lot d’obligations. La disposition phare de la loi ESS est bien connue : sous prétexte de favoriser la reprise des PME, en cas de projet de cession, la loi impose de soumettre obligatoirement toute entreprise de moins de 250 salariés à l’achat de ses salariés deux mois avant la cession, sous peine de nullité de la vente. Au-delà de cette mesure paradoxale (favoriser la vente d’entreprises ayant pourtant déjà trouvé un repreneur), la loi ESS contient une disposition passée inaperçue qui impose cependant une contrainte non négligeable aux entreprises.
L’article 93 de la loi ESS oblige le fabricant, le producteur ou le distributeur d’un bien commercialisé en France à renseigner le consommateur sur un certain nombre d’informations (origine géographique des matériaux, composants utilisés dans la fabrication, contrôles de qualité et audits, organisation de la chaîne de production et identité, implantation géographique et qualités du fabricant, de ses sous-traitants et fournisseurs), lorsque celui-ci en fait la demande et a connaissance d’éléments sérieux mettant en doute le fait qu’un bien ait été fabriqué dans des conditions respectueuses des conventions internationales relatives aux droits humains fondamentaux. Pour la petite histoire, cette disposition sur la transparence des conditions sociales de fabrication d’un produit avait été introduite par amendement au cours des débats parlementaires relatifs à la loi Hamon du 17 mars 2014. D’abord votée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, elle a été rejetée par le Sénat, et son abandon, entériné par la Commission mixte paritaire. A l’époque, il avait notamment été considéré (à juste titre) que cette nouvelle obligation venait alourdir les contraintes pesant sur les entreprises françaises alors même qu’une campagne de simplification pour améliorer leur compétitivité a été lancée par le Gouvernement, qu’une telle obligation de transparence risquait de mobiliser sensiblement les moyens humains et financiers des entreprises et que s’il était légitime pour les fabricants d’imposer un reporting à leurs sous-traitants, tel n’était pas nécessairement le cas des distributeurs.
Sorties par la porte, ces dispositions sont revenues par la fenêtre, à la faveur de la loi ESS, sans faire, cette fois, l’objet d’amendement. Il en résulte le nouvel article L. 117-1 du Code de la consommation.
« Le fabricant, le producteur ou le distributeur d’un bien commercialisé en France transmet au consommateur qui en fait la demande et qui a connaissance d’éléments sérieux mettant en doute le fait que ce bien a été fabriqué dans des conditions respectueuses des conventions internationales relatives aux droits humains fondamentaux toute information dont il dispose portant sur un des éléments ci-après : origine géographique des matériaux et composants utilisés dans la fabrication, contrôles de qualité et audits, organisation de la chaîne de production et identité, implantation géographique et qualités du fabricant, de ses sous-traitants et fournisseurs.
Lorsque le fabricant, le producteur ou le distributeur ne possède pas l’information demandée, il est tenu d’en informer le consommateur à l’origine de la demande.
Si la transmission au consommateur d’une information, en application du premier alinéa, est de nature à compromettre gravement les intérêts stratégiques ou industriels du fabricant, du producteur ou du distributeur concerné par la demande, celui-ci peut décider de ne pas la transmettre à condition d’en motiver les raisons.
La liste des conventions mentionnées au premier alinéa est précisée par décret ».
Pour autant, les raisons ayant motivé l’abandon de cette obligation de transparence par le Sénat sont toujours d’actualité. D’autres arguments, juridiques et pratiques, viennent s’y ajouter. D’abord, et surtout, l’imprécision de la loi est telle qu’elle entraîne une grande insécurité juridique. Comment identifier l’origine géographique de tous les matériaux et composants d’un produit ? Si le produit comporte 1000 composants, que doit-on fournir ? Peut-on se contenter d’indiquer la provenance des principaux composants et matières premières ?
En cas de refus d’information ou d’information incorrecte, le Code de la consommation ne précise pas les sanctions encourues. Doit-on considérer que l’entreprise se livre à de la concurrence déloyale pour non-respect de la réglementation ? A défaut de sanctions spécifiques, les sanctions applicables en cas de violation de l’obligation d’information de droit commun sont-elles applicables ? Des condamnations sous astreintes sont-elles envisageables ?
Enfin, l’article L. 117-1, 3e alinéa, admet une dérogation à l’obligation de fourniture d’informations pesant sur le fabricant, producteur ou distributeur, lorsque la transmission de l’information requise par le consommateur « est de nature à compromettre gravement les intérêts stratégiques ou industriels » de ces derniers, pourvu qu’ils motivent leur refus. Dans quelles circonstances peut-on retenir ces justifications ? Le consommateur peut-il les contester ? Quand un refus est-il suffisamment motivé ?
Renforcer le droit à l’information du consommateur et encourager la transparence constitue un objectif respectable. On ne peut que déplorer, en revanche, que ce soit aux dépens de la compétitivité des entreprises.