La décision d’autorisation de la concentration FNAC/DARTY n° 16-DCC-111 du 27 juillet 2016 traduit une importante évolution de la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence en matière de contrôle des concentrations. Elle devrait également influencer le droit des pratiques anticoncurrentielles.

• L’évolution de la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence en matière de contrôle des concentrations

Le texte intégral de la décision n’est pas encore public. En effet, il existe toujours un décalage entre l’annonce de la décision, par une mention sur le site de l’Autorité ou la publication d’un communiqué de presse, et sa publication in extenso, afin de permettre aux parties de confidentialiser les données qu’elles entendent voir protéger.

Le texte du communiqué de presse publié le 18 juillet 2016 est cependant suffisamment explicite pour prendre conscience de l’évolution très nette de la pratique décisionnelle de l’Autorité. En effet, celle-ci déclare expressément qu’elle a « fait évoluer son appréciation des marchés et considère que la distribution au détail de produits bruns (téléviseurs, appareils photographiques et produits audio : MP3, lecteurs DVD et Blu-ray…) et gris (communication et multimédia : tablettes, ordinateurs portables, smartphones, etc.) inclut à la fois les ventes réalisées en magasins et sur Internet. Elle estime en effet que la pression concurrentielle de la vente en ligne est devenue suffisamment importante pour être intégrée dans le marché pertinent, qu’elle émane de « pure players » (comme Amazon ou Cdiscount, par exemple) ou bien des sites Internet des enseignes de distribution classiques qui prolongent leurs ventes physiques en magasins ».

Cette évolution ne constitue pas une décision d’espèce mais une inflexion voulue par l’Autorité. Elle avait d’ailleurs été annoncée par son Président à plusieurs reprises, notamment le 21 juin 2016 lors de son audition par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale et le 6 juillet 2016 lors de la présentation à la presse du 7e rapport d’activité de l’Autorité.

Il ne faut cependant pas se méprendre sur la portée de cette évolution.

Elle ne signifie pas que l’Autorité ne tenait pas compte jusqu’à présent de la pression concurrentielle de l’Internet dans l’appréciation des opérations de concentration. Elle le faisait depuis longtemps, seulement pas au stade de la définition des marchés mais à celui de l’analyse concurrentielle. Elle a ainsi pu autoriser une opération de concentration qui aboutissait notamment à l’acquisition d’une part de marché de 47 % sur le marché de détail de la distribution d’accès à Internet eu égard à la pression concurrentielle exercée sur la distribution en boutiques par la commercialisation en ligne (V. Décis. AdlC n° 14-DCC-15 du 10 février 2014, LawLex201400001751JBJ). La même approche était d’ailleurs adoptée par d’autres autorités nationales européennes (V. en Angleterre, Décis. OFT du 26 octobre 2011, Amazon/The Book Depository ; Décis. CMA du 30 juin 2016, Mapil Bidco Ltd/Chain Reaction Cycles Ltd, Hotlines Europe Ltd and Decade Europe Ltd ; aux Pays-Bas, Décis. NMa du 28 août 2008, Gouden Gids/De Telefoongids).

La prise en considération de l’Internet dès la phase de définition des marchés constitue une évolution fondamentale et bienvenue de notre droit compte tenu de la montée en puissance de ce canal de distribution. Il était de plus en plus paradoxal que les autorités de concurrence adoptent une politique intransigeante quant aux restrictions des ventes par Internet par rapport à celles des magasins physiques tout en continuant d’affirmer que ces deux canaux n’appartiennent pas au même marché.  L’Autorité de la concurrence ne fait d’ailleurs que s’aligner sur les droits les plus évolués comme le droit américain qui valident depuis quelques années des opérations de concentration en se fondant sur la pression concurrentielle exercée par le commerce en ligne (V., sur le marché des fournitures de bureau, concentration Office Depot/Office Max, décis. FTC du 1er novembre 2013)

Il faut aussi demeurer conscient des limites de cette évolution. La FNAC considérait que la pression concurrentielle de l’Internet nécessitait une définition nationale du marché puisque la politique de prix des pure players comme Amazon ou Cdiscount est nationale. L’Autorité ne franchit pas encore ce pas. Elle maintient son analyse classique de concurrence locale par zone de chalandise en estimant sur chaque zone locale la part de marché de la nouvelle entité et de ses concurrents, y compris celle des acteurs en ligne, ce qui la conduit à ordonner la cession de 6 magasins à Paris et en région parisienne qui changeront donc d’enseigne.

On espère que l’Autorité portera cette évolution jusqu’à son terme en matière de distribution, en abandonnant l’analyse par zone de chalandise.

En tout état de cause, cette inflexion sensible de la politique de concurrence pourrait permettre de reconnaître des marchés nationaux intégrant Internet au sein des marchés classiques. On pense en particulier à la publicité télévisée pour laquelle la pression concurrentielle de l’Internet est frontale et grandissante. Dans d’autres secteurs, où la concurrence de l’Internet est beaucoup plus faible, il est possible que le raisonnement par marchés classiques continue à prospérer.

• Quelle portée pour le droit des pratiques anticoncurrentielles ?

La décision FNAC/DARTY est relative au contrôle des concentrations. L’on sait que la définition des marchés n’est pas nécessairement la même en contrôle des concentrations et en droit des abus de position dominante et a fortiori en droit des ententes. Ainsi, le contrôle des concentrations obéit à une analyse prospective alors que la sanction des abus de position dominante repose sur une analyse a posteriori de comportements passés. En matière de pet food, la Commission a ainsi pu adopter une définition large du marché dans le domaine du contrôle des concentrations (Décis. Comm. CE n° M.2544 du 15 février 2002, LawLex200400003115JBJ) alors que le Conseil de la concurrence adoptait au même moment une définition très stricte et limitée du marché des aliments secs pour chiens haut de gamme vendus en circuits spécialisés pour sanctionner des abus de position dominante (Décis. Cons. conc. n° 05-D-32 du 22 juin 2005, LawLex200500006651JBJ).

Mais en l’espèce, la différence d’approche ne devrait pas entraîner de résultats fondamentalement différents. La montée en puissance de l’Internet et sa pression concurrentielle appartiennent au jeu concurrentiel depuis des années. Le poids économique des géants de l’Internet (les GAFA) a bouleversé l’équilibre des forces depuis longtemps. En matière de vente en ligne notamment, le pouvoir de marché appartient désormais aux market places et non aux distributeurs classiques ou aux marques. Dès lors, il n’y a pas de raison que la nouvelle approche de l’Autorité de la concurrence adoptée dans le cadre du contrôle des concentrations ne se développe pas dans le domaine du droit des pratiques anticoncurrentielles.

Cette décision pourrait aussi être une occasion pour les autorités de concurrence de revisiter éventuellement leur approche très favorable aux acteurs de l’Internet en matière d’ententes verticales. Pour de nombreuses autorités, toute restriction aux ventes par Internet et même toute différence de conditions de rémunération entre les ventes par Internet et les ventes par magasins physiques (V. not., en Allemagne, Décis. Bundeskartellamt du 13 décembre 2011, Dornbracht ; du 28 novembre 2013, Gardena ; du 23 décembre 2013, Bosch Siemens Hausgeräte GmbH ; du 18 juillet 2016, Lego) constitue une restriction par objet et une restriction caractérisée. Le pouvoir de marché considérable des acteurs de l’Internet que la décision de l’Autorité consacre enfin devrait peut-être amener les autorités de concurrence à faire preuve de moins de faveur et de plus de neutralité pour les nouveaux acteurs de l’Internet.