La loi Hamon du 17 mars 2014 restera sans doute dans les annales comme le texte d’économie administrée le plus excessif de ces dernières années, bien pire que la loi Florange, la loi Duflot, la loi Pinel ou le décret Montebourg. Le texte multiplie à l’envi les carcans et les contraintes administratives. L’analyse de la loi réserve de nombreuses mauvaises surprises pour les entreprises.
Parmi celles-ci, il faut signaler en particulier le nouvel article L. 111-3 du Code de la consommation issu de la loi Hamon qui semble être passé relativement inaperçu mais porte en germe des effets pervers importants.
Cette disposition, si elle était appliquée à la lettre, signifierait en effet la fin des réseaux de distribution sélective alors que leur légalité est reconnue en droit français et européen.
Comme souvent, à l’origine, le texte est plein de bonnes intentions : il renforce dans son alinéa 1er l’obligation d’information des consommateurs sur la durée de disponibilité des pièces détachées ‘’indispensables’’ à la réparation du bien et impose à ce titre une double obligation : l’une à la charge du fabricant ou de l’importateur à l’égard du vendeur professionnel et l’autre à la charge du vendeur professionnel à l’égard du consommateur, le vendeur professionnel devant répercuter au consommateur l’information obtenue du fournisseur. L’article L. 111-3 alinéa 1er du Code de la consommation dispose ainsi :
Le fabricant ou l’importateur de biens meubles informe le vendeur professionnel de la période pendant laquelle ou de la date jusqu’à laquelle les pièces détachées indispensables à l’utilisation des biens sont disponibles sur le marché. Cette information est délivrée obligatoirement au consommateur par le vendeur de manière lisible avant la conclusion du contrat et confirmée par écrit lors de l’achat du bien.
Mais l’alinéa 2 du texte prolonge cette obligation en imposant au fabricant/importateur de vendre aux revendeurs professionnels et réparateurs, agréés ou non, qui le demandent les pièces de rechange pendant la période de disponibilité annoncée.
Dès lors qu’il a indiqué la période ou la date mentionnées au premier alinéa, le fabricant ou l’importateur fournit obligatoirement, dans un délai de deux mois, aux vendeurs professionnels ou aux réparateurs, agréés ou non, qui le demandent les pièces détachées indispensables à l’utilisation des biens vendus.
Ce texte ne semble donc pas faire de distinction pour cette obligation de fourniture selon que les vendeurs professionnels et réparateurs sont ou non membres du réseau de distribution agréé du fournisseur. Selon ces dispositions, le fabricant ou importateur est tenu de fournir les vendeurs professionnels ou réparateurs y compris non agréés. En d’autres termes, le législateur a instauré un délit administratif de refus de vente entre professionnels en matière de pièces de rechange en faisant au surplus abstraction de l’existence des réseaux de distribution chargés de les distribuer.
Le non-respect de ce texte est sanctionné par une amende administrative de 15.000 € s’agissant des personnes morales.
Cette disposition est d’une totale absurdité et l’on se demande comment une telle mesure a pu être votée. Il est contraire aux principes les plus élémentaires de l’efficience économique d’obliger un constructeur ou un fournisseur qui dispose d’un réseau de distribution de livrer lui-même les réparateurs non agréés en pièces de rechange. Pour faire des économies de coûts de distribution, le constructeur ou l’importateur livrent un nombre limité de revendeurs qui assurent une fonction de redistribution. Imposer dans ces conditions une obligation de livraison directe au constructeur ou à l’importateur qui a déjà un réseau est un non sens économique absolu. Au-delà , si le fournisseur a mis en place un réseau de distribution sélective soumis à des critères de qualité avec interdiction de revente hors réseau, de quel droit vient-on l’obliger à enfreindre ses obligations et à lui imposer de violer son contrat en lui imposant de vendre à des revendeurs hors réseau ?
Dans ces conditions, que peut-on faire en présence d’une loi aussi absurde du point de vue économique et juridique ?
1.     Faire valoir que le texte n’est pas encore entré en vigueur
Certes il est prévu que ce texte s’applique aux contrats conclus après le 13 juin 2014. Néanmoins, l’article prévoit également qu’un décret précisera les modalités et conditions d’application du présent texte (Un décret précise les modalités et conditions d’application du présent article). Le décret n’a pas encore été publié et pourra être, comme indiqué ci-dessous, de nature à préciser le texte et à exclure toute interprétation en violation des réseaux de distribution agréés. Et en tout état de cause, un premier argument en défense pourra être de faire valoir que tant que le décret qui est expressément prévu par la loi n’est pas publié, le texte n’est pas entré en vigueur.
2.     Espérer que le décret d’application du texte ou une nouvelle loi viennent corriger les erreurs de la loi Hamon et militer en ce sens
Le décret à venir pourrait préciser que l’obligation de livraison peut se faire à travers le réseau agréé. Si les réseaux agréés assurent généralement la vente des pièces aux réparateurs non membres du réseau pour les besoins de la réparation, le problème de la livraison aux revendeurs hors réseau demeure cependant entier puisqu’une telle livraison constitue une négation de la distribution sélective et de l’interdiction de revente hors réseau. La solution la plus claire serait de remédier aux erreurs du texte par une correction à l’occasion d’une prochaine loi.
3.     Opposer la contradiction entre le nouvel article L. 111-3 du Code de la consommation et l’article L. 442-6 6° du Code de commerce.
L’article L. 442-6 6° du Code de commerce dispose :
I.-Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
6° De participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence.
Le non-respect de ce texte est sanctionné, outre par la responsabilité de celui qui se rendrait coupable de cette violation, par le prononcé d’une amende civile de 2 millions d’euros.
Le respect de l’article L.111-3 du Code de la consommation entraînerait pour un fournisseur, tête d’un réseau de distribution sélective, la violation de l’article L. 442-6 6° du Code de commerce.
Pour sortir de cette contradiction, il conviendrait alors de faire valoir que le texte de droit de la consommation est un texte général auquel déroge l’article L. 442-6 6, article qui ne vise que les réseaux agréés. Or le texte spécial déroge au texte général.
En outre d’un point de vue plus pragmatique, on pourra noter que l’amende encourue aux termes de L. 442-6 est de 2 millions d’euros, soit un montant sans commune mesure avec la sanction administrative de 15.000 € prévue en cas de violation de L. 111-3 du Code de la consommation.
4.     Invoquer le fait que l’obligation de fourniture visée à l’article L. 111-3 du Code de la consommation vide de sa substance les systèmes de distribution sélective pourtant conformes au droit européen de la concurrence
Il pourra également être mis en avant que l’obligation de fourniture prévue à l’article L. 111-3 du Code de la consommation vide de sa substance les systèmes de distribution sélective, lesquels sont exemptés par le droit européen aux termes du Règlement n°330/2010 sur les restrictions verticales. L’article L. 111-3 ne serait donc pas conforme au droit européen.
Les revendeurs hors réseau risquent de faire valoir en réponse  que le règlement n°1/2003 du 16 décembre 2002 empêche les États membres d’adopter des règles contraires à un règlement d’exemption uniquement si l’objet des règles nationales est de protéger la concurrence ; les États membres demeurent cependant libres d’adopter des règles qui seraient contraires à un règlement d’exemption si elles ont un autre objet (article 3, §2, et considérant 9 du règlement), dans le cas d’espèce, protéger le consommateur.
Toutefois, cette disposition qui impose la fourniture des pièces détachées aux revendeurs professionnels et aux réparateurs, agréés ou non, crée une obligation strictement entre professionnels. Cette disposition ne concerne donc en rien le droit de la consommation mais constitue bien une obligation de droit de la concurrence prise au mépris du droit européen sur le droit de la concurrence.
5.     Souligner l’objectif de conformité au droit européen visé par l’auteur de l’amendement tendant à apporter la précision ‘’agréé comme non agréé’’.
L’examen des travaux parlementaires révèle que la précision ‘’agréé ou non’’ a été apportée au texte initial de l’article L. 111-3 du Code de la consommation à la suite du dépôt d’un amendement d’un député dans un but de conformité au droit européen. Vraisemblablement, ce député n’a pas compris le droit européen mais en tout état de cause le but était cette recherche de conformité. On pourra donc faire valoir que vu cet objectif, c’est la conformité au droit européen qui doit être recherchée.