Un accord de pay for delay constitue une restriction par objet de la concurrence dès lors qu’il comporte un avantage incitatif à l’égard de la société de génériques et d’une limitation corrélative des efforts de celle-ci à faire concurrence à la société de princeps

Teva, fabricant de génériques, et Cephalon, fabricant de princeps, ont conclu un accord de règlement amiable en vertu duquel Teva s’engageait à ne pas entrer de manière indépendante ni concurrencer Cephalon sur sa molécule phare, le modafinil, ni à contester ses brevets. Considérant que ces entreprises avaient ce faisant enfreint les articles 101 TFUE et 53 EEE, la Commission leur a infligé des amendes de 30 480 000 et 30 000 000 euro. Saisi par les parties d’un recours en annulation contre la décision de la Commission, le Tribunal (TUE, 18 oct. 2023, aff. T-74/21) rappelle les critères de qualification de restriction par objet en cas d’accord de pay for delay.

L’appréciation de la gravité de la restriction par objet s’effectue indépendamment de celle d’effets anticoncurrentiel

Dans cette affaire, le Tribunal rappelle, d’emblée, que si la gravité objective d’une restriction par objet s’apprécie à l’issue d’une analyse détaillée de l’accord concerné et particulièrement de l’effet incitatif des transferts de valeurs qu’il prévoit, mais également de ses objectifs ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel il s’inscrit, cette appréciation n’implique pas une appréciation des effets anticoncurrentiels de cet accord sur le marché.

Dans la ligne de sa jurisprudence (TUE, 12 décembre 2018, aff. T-677/14, LawLex201800001904JBJ), le Tribunal considère, en l’espèce, que pour apprécier le caractère de restriction par objet d’un accord de règlement amiable entre des fabricants de médicaments princeps et des fabricants de médicaments génériques, il doit être tenu compte du solde positif net des transferts de valeurs opérés dans le cadre de l’ensemble des transactions intervenues entre ceux-ci et déterminé s’il est suffisamment important pour inciter le fabricant de génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné et à ne pas concurrencer par les mérites le fabricant de princeps.

L’’établissement d’un scénario contrefactuel

Selon le Tribunal, pour apprécier la restriction, la Commission doit, aux termes d’une analyse contrefactuelle, comparer ce qui s’est réellement passé avec ce qui se serait passé sans les clauses restrictives. Toutefois, afin d’établir si cet accord produit des effets sensibles potentiels ou réels sur la concurrence, la Commission n’est pas tenue de constater soit que le fabricant de médicaments génériques aurait probablement obtenu gain de cause dans une procédure relative au brevet, soit que les parties auraient probablement conclu un accord de règlement amiable moins restrictif. Elle a, ainsi, à juste titre estimé que l’élimination d’une source importante de concurrence potentielle, du fait de l’accord de règlement amiable, et le retard de l’entrée sur le marché qui en résulte peuvent, en soi, donner lieu à des effets négatifs sur les paramètres de la concurrence, en particulier sur les prix.

Dès lors, le Tribunal approuve la Commission d’avoir considéré que l’accord de règlement amiable, qui a pour objet de maintenir un fabricant de génériques hors des marchés du princeps par des transferts de valeurs d’un niveau global suffisamment élevé pour l’inciter à reporter ses efforts indépendants pour entrer sur ces marchés, a pour objet de restreindre la concurrence, et ce, indépendamment de la question de savoir si le fabricant du médicament princeps aurait ou non pu, en vertu du droit des brevets, obtenir la même exclusion par une décision juridictionnelle.

L’absence d’effets pro-concurrentiels

Tout d’accord, contrairement aux prétentions des parties, l’accord de règlement amiable n’a généré aucun gain d’efficacité dès lors que les droits génériques accordés par Cephalon à Teva dans le cadre de cet accord n’ont pas avancé, mais, au contraire, retardé l’entrée de cette dernière sur les marchés du modafinil et, par conséquent, la concurrence sur ces marchés des fabricants de médicaments génériques. En effet, en acceptant l’accord de règlement, Teva a renoncé à ses tentatives d’entrée sur le marché du modafinil en tant qu’opérateur indépendant, alors même qu’elle avait déjà développé un produit générique qu’elle l’avait même lancé et pour lequel elle avait déposé des demandes d’autorisation de mise sur le marché dans plusieurs pays.

Ensuite, pour s’exonérer, les parties faisaient valoir que les clauses de non-concurrence et de non-contestation n’étaient qu’accessoires à l’accord de règlement amiable, qui avait pour objet principal les droits génériques de Teva. Le Tribunal écarte cet argument et rappelle qu’il résulte de la jurisprudence que la qualification de restriction par objet ne saurait être écartée au motif que les entreprises ayant conclu l’accord en cause se prévalent du fait que les restrictions découlant de celui-ci ne présenteraient qu’un caractère accessoire (CJUE, 30 janvier 2020, aff. C-307/18, LawLex202000000132JBJ).