Nous attirons votre attention sur un arrêt très défavorable aux fournisseurs rendu le 9 juillet 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation en matière de résiliation pour non-respect des objectifs. L’arrêt a été rendu dans le cadre des relations entre une banque et un mandataire, intermédiaire en opérations de banque chargé de la distribution de crédits et de contrats d’assurance-vie, mais, rendu au visa de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Il est applicable à tous les cas de rupture de relations commerciales établies sans préavis suffisant dans tous les secteurs de l’économie.
La banque et son mandataire étaient liés par un contrat de 5 ans, révocable à tout moment sans indemnité pour des motifs sérieux et légitimes, dont l’insuffisance de résultats.
La cour d’appel avait considéré pour rejeter la demande d’indemnité du mandataire que la clause de révocation du mandat pour insuffisance de résultats offrait au mandant la faculté de révoquer le mandat sans indemnité, si le mandataire n’atteignait pas au moins 80% de l’objectif annuel d’une année considérée et qu’il n’était pas contesté qu’il avait seulement réalisé 40 ou 65% des objectifs alors que le taux de réalisation général était de 105%.
La Cour de cassation ne l’entend pas ainsi et a cassé l’arrêt d’appel en jugeant « qu’en se déterminant ainsi, sans caractériser un manquement grave [du mandataire] à ses obligations contractuelles justifiant la rupture [par le mandant] de leurs relations commerciales sans préavis, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ». L’affaire a été renvoyée à la Cour d’appel de Paris autrement composée, exclusivement compétente au niveau national pour les litiges relevant de l’article L. 442-6.
Selon la Cour de cassation, les juges du fond ne peuvent se borner pour rejeter une demande fondée sur l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, à constater que les résultats imposés par le contrat au partenaire sous peine de résiliation sans préavis n’ont pas été atteints. Ils doivent caractériser un manquement grave à ses obligations.
Cette décision est très critiquable :
- Elle conduit à réécrire la loi puisque le texte de l’article L. 442-6 autorise la résiliation sans préavis en cas de manquement de l’autre partie à ses obligations contractuelles. En l’espèce, un manquement caractérisé à une clause d’objectifs était établi.
- S’agissant de l’exigence de gravité, on ne peut qu’être surpris par le fait de considérer qu’une sous-performance avérée, notable et répétée ne présente aucun caractère de gravité.
Mais cette jurisprudence doit conduire les fournisseurs à être extrêmement prudents dans la mise en œuvre des clauses d’objectifs. Les clauses fondées sur une obligation de résultat indépendamment d’un manquement du distributeur à d’autres obligations paraissent condamnées par cette jurisprudence. En pratique, il faudra également établir que le distributeur a manqué à ses obligations contractuelles pour obtenir les résultats convenus si l’on veut mettre en œuvre une clause de résiliation avec effet immédiat.
Bien souvent, il sera juridiquement plus prudent de résilier un distributeur sous-performant en faisant usage de la faculté de résiliation ordinaire et en respectant un préavis suffisant conforme non seulement aux stipulations contractuelles, mais tenant compte également de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la rupture.
La Cour de cassation poursuit ainsi son œuvre de réécriture de l’article L. 442-6, I, 5) du Code de commerce en étant animée d’une volonté de protection de la partie supposée faible au contrat.
Cette réécriture concerne aussi bien, comme en l’espèce, l’appréciation de la faute qui autorise une résiliation sans préavis (en écartant les clauses sanctionnant des obligations de résultat sans établissement d’un manquement grave à une obligation contractuelle de moyens) que l’appréciation du délai de préavis suffisant et du préjudice résultant de l’insuffisance du préavis, apprécié au moment de la rupture indépendamment des circonstances ultérieures et notamment de l’absence de tout préjudice réel postérieur à la résiliation (voir nos commentaires sur le blog concernant les arrêts Limongi de novembre 2012 et Babonneau du 9 juillet 2013) .
Cette réécriture contra legem tend à consacrer un régime de responsabilité totalement autonome de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, différent des règles classiques de la responsabilité.
La dérive de la jurisprudence rendue au visa de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce est préoccupante à plus d’un titre. Elle ignore totalement les stipulations contractuelles et les prévisions des parties, institue un régime de responsabilité et d’indemnisation sans préjudice et rend toute rupture d’une relation commerciale dans l’ensemble de l’économie très difficile ou en tout cas très longue, sous peine de s’exposer à des dommages-intérêts très conséquents.
Cette jurisprudence favorise l’immobilisme et la sous-performance. L’immobilisme, car il devient impossible de mettre fin rapidement à une relation commerciale dès lors que les relations ont duré longtemps, même si le partenaire ne subit aucun préjudice ou un préjudice limité du fait de la fin des relations. La sous-performance, puisque les clauses d’objectifs de résultat deviennent totalement inefficaces et qu’il faut rester en relation avec un partenaire sous-performant jusqu’à la fin du contrat, s’il est à durée déterminée ou en respectant un long préavis après avoir constaté la sous-performance, sauf à arriver à prouver la violation d’autres obligations contractuelles que la seule non-atteinte des résultats convenus.
Cette dérive va à l’encontre des principes généralement admis par les droits occidentaux qui favorisent l’action et non la société immobile, la performance et non le manque d’efficacité, la mobilité des relations et l’accès des nouveaux entrants et non la protection des entreprises en place.
La jurisprudence, comme souvent pavée de bonnes intentions, aboutit ici à rigidifier les relations, défavoriser l’activité et la création de richesse.
Il faudra à présent être très attentif aux arrêts à venir de la Cour d’appel de Paris en tant que cour de renvoi. Plus que jamais, une extrême prudence est requise en cas de rupture d’une relation commerciale établie. Enfin, il faudra un jour arriver à poser clairement devant la Cour de cassation la question de la non-conformité du droit français de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, pourtant censé protéger le marché et l’ordre public économique, avec les principes fondamentaux du droit européen de la concurrence.