Par un arrêt en date du 21 octobre 2020, la première Chambre civile a retenu la responsabilité du géant de l’agroalimentaire au terme d’une procédure judiciaire qui aura nécessité à deux reprises l’intervention de la Haute juridiction.

En 2004, Paul François, céréalier charentais, inhale accidentellement lors de l’ouverture d’une cuve de traitement d’un pulvérisateur des vapeurs de Lasso, un désherbant sélectif à maïs, commercialisé par Monsanto, jusqu’à son retrait en 2007. S’ensuit une grave intoxication avec atteintes neuronale et respiratoire dont l’agriculteur demande réparation. En 2015, il obtient gain de cause auprès de la Cour d’appel de Lyon, qui estime que Monsanto a manqué à son obligation d’information sur les risques liés à l’inhalation de Lasso ainsi que sur ses précautions d’usage. Mais l’arrêt est censuré en 2017 par la Cour de cassation qui considère que l’action aurait dû être engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, qu’elle qualifiera « de règles d’ordre public de l’Union européenne » s’imposant au juge, dès lors, dans l’obligation de requalifier le fondement juridique de la demande, même si ces règles n’ont pas été invoquées par le demandeur. L’affaire est rejugée en 2019 par la Cour d’appel de Lyon qui, sur ce fondement, retient de nouveau la responsabilité de Monsanto.

Appelée une seconde fois à se prononcer, la Cour de cassation rejette dans l’arrêt commenté le recours du fabricant d’herbicide, validant en tous points le raisonnement de la cour d’appel.

  • D’abord, des indices graves, précis et concordants établissent l’imputabilité du dommage à l’herbicide : le médecin départemental référent du réseau Phyt’attitude atteste avoir reçu un appel du service des urgences le jour où la victime a été intoxiquée après avoir respiré du Lasso, – dont elle a apporté l’étiquette – et le compte-rendu de consultation mentionne une hospitalisation à la suite de l’inhalation de produits toxiques, en l’occurrence, un produit chloré associé à des solvants.
  • Par ailleurs, le Lasso est un produit défectueux car son l’étiquetage ne respecte pas la réglementation applicable : alors que la loi impose que tout emballage porte l’indication de la nature des risques particuliers et des protections à prendre pour l’homme, les animaux ou l’environnement et que la fiche toxicologique relative au chlorobenzène établie par l’INRS, datant de 1997, recommande notamment d’éviter d’en l’inhaler les vapeurs et de prévoir des appareils de protection respiratoire pour des travaux sur ou dans des cuves ou réservoirs, l’étiquetage du Lasso, qui comporte du chlorobenzène en quantité importante, ne signale pas les risques liés à son inhalation, pas plus qu’il ne préconise le port d’appareils de protection respiratoire pour le nettoyage des cuves.
  • En outre, un lien causal entre le défaut du Lasso et le dommage subi par la victime est démontré dès lors que les troubles de celle-ci, constatés par certificat médical, sont imputables à l’inhalation du désherbant et que ce produit est défectueux en raison de son étiquetage.
  • Enfin, Monsanto ne saurait se prévaloir d’une cause d’exonération : d’une part, les réglementations sur le fondement desquelles l’existence d’un défaut du Lasso a été retenue ainsi que la fiche toxicologique relative au chlorobenzène établie par l’INRS en 1997 démontrent qu’en juillet 2002, à la date de mise en commercialisation du produit, Monsanto avait toute latitude pour connaître le défaut lié à son étiquetage et à l’absence de mise en garde sur la dangerosité particulière de certains travaux, de sorte qu’il n’est pas fondé à invoquer le risque de développement ; d’autre part, sa responsabilité ne saurait être réduite ou supprimée du fait d’une faute de la victime dès lors que la circonstance que celle-ci ne portait pas de protection destinée à éviter un contact du Lasso avec son visage est sans lien de causalité avec le dommage, une telle protection étant, en tout état de cause,  inefficace en cas d’inhalation en l’absence d’un appareil de protection respiratoire.

En retenant le principe de la responsabilité de Monsanto en tant que producteur du Lasso, la Haute juridiction ouvre la voie aux actions en réparation, déjà introduites (ou à venir), mettant en cause l’herbicide en France.

L’affaire du Lasso n’est pas sans rappeler celle d’un autre désherbant produit par Monsanto, le Roundup, à base de glyphosate, dont l’emploi est controversé dans le monde entier du fait de son caractère cancérigène maintes fois dénoncé. Si, en novembre 2017, l’usage du glyphosate a été autorisé en Europe pour cinq années supplémentaires par la Commission, en France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire a préconisé, le 9 octobre 2020, qu’il soit restreint aux situations où il n’existe pas d’alternative à court terme. Commercialisé en Californie sous une étiquette le qualifiant de potentiellement cancérigène jusqu’à ce que l’Agence américaine de protection de l’environnement interdise un tel étiquetage en août 2019, le Roundup est à l’origine du dépôt de 125 000 plaintes d’utilisateurs atteints de cancers. Le 24 juin 2020, le groupe Bayer, qui a racheté Monsanto en 2017, a conclu un accord d’indemnisation de 10,9 milliards de dollars avec les plaignants américains mettant un terme à environ 75 % des litiges.