Comme nous le déplorions dans notre billet de blog du 30 octobre 2013 à propos du rachat de SeaFrance par Eurotunnel, le contrôle des concentrations transfrontalières au sein de l’Union européenne conduit parfois à des situations ubuesques, à savoir une autorisation de l’opération dans un Etat membre et son refus dans un autre, mettant ainsi l’entreprise concernée dans une position intenable. A la suite du conflit de décisions intervenu entre l’Autorité de la concurrence qui a autorisé cette reprise d’actifs sous réserve d’engagements, et la Competition Commission britannique qui, elle, l’a interdite, le ministre de l’Économie et le président de l’Autorité de le concurrence ont chargé Fabien Zivy de réaliser un audit du traitement actuel des concentrations « multi-juridictionnelles » au sein de l’UE, d’examiner les voies de progrès possibles en la matière et plus globalement, d’émettre des recommandations afin de rationaliser le contrôle européen des concentrations.
Le rapport Zivy souligne d’abord le progrès indéniable constitué par la création du  guichet unique européen il y a 25 ans pour contrôler les concentrations transnationales de grande taille, tout en reconnaissant ses insuffisances compte tenu de la durée – jugée croissante par les entreprises et leurs conseils – de la phase informelle de « pré-notification », de la somme d’informations requises par les services d’instruction chargés de l’examen de l’opération, de la relative complexité des mécanismes de renvois, et de la faible prise en considération des gains d’efficacité dans le bilan concurrentiel, parfois déconcertante pour les entreprises. Le rapport pointe également la démultiplication du contrôle des concentrations au niveau national – les autorités nationales de concurrence au sein de l’UE étant passées de 3 en 1989, à 30 actuellement, pour un total mondial de 125 environ – source, certes, de convergences vers un standard européen, mais aussi de différences juridiques et pratiques inévitables malgré la coordination entre les différentes autorités de concurrence. Le principal écueil de ce système multi-juridictionnel est, nous l’avons vu, le risque de conflit de décisions, rencontré à trois reprises ces dernières années (affaires : Pan Fish/Marine Harvest en 2007 ; Akzo Nobel/Metlac en 2012 ; SeaFrance/Eurotunnel en 2013, qui ont révélé des divergences d’appréciation entre autorités nationales ayant (pourtant) coopéré et fait application de règles de fond analogues à la même concentration transfrontalière). Enfin, le rapport dénonce les charges et les coûts inhérents aux « multi-notifications » de ce type d’opérations, très contestables en termes de rationalité économique.
En vue d’une « régulation plus cohérente, plus simple et plus stratégique », un certain nombre de préconisations sont émises. Partant du constat que les mécanismes de renvoi prévus par le règlement 139-2004 sont inadéquats pour prévenir le risque de conflit de décisions, le rapport suggère de permettre aux entreprises de demander le renvoi à la Commission, de dossiers de concentrations transfrontalières, en amont de la notification, dès lors que l’opération est notifiable à plus d’une autorité nationale, et non 3 ou plus comme le prévoit actuellement l’article 4, par. 5. Il recommande également de demander aux autorités nationales d’appliquer le droit européen du contrôle des concentrations, dans toutes les affaires notifiables dans deux Etats membres ou plus, afin d’éviter les divergences d’interprétation et d’application de droits nationaux au contenu pourtant proche. Il est aussi notamment préconisé d’harmoniser les types de seuils (pas leur niveau) de contrôlabilité des concentrations dans les différents Etats membres en ne conservant que des seuils exprimés en chiffre d’affaires et de mettre en place un formulaire type d’informations standardisés à fournir lors de la notification de concentrations transfrontalières. Enfin, l’interopérabilité entre autorités nationales n’existant que dans le cadre d’initiatives informelles, le rapport prône l’extension du réseau européen de concurrence (REC) prévu en matière de pratiques anticoncurrentielles, au contrôle des concentrations, moyennant quelques adaptations.
Il faut saluer l’apport du rapport Zivy qui met l’accent sur les faiblesses inhérentes au contrôle multi-juridictionnel des concentrations transnationales, qui peut aboutir à des solutions antinomiques et inconciliables – autorisation dans un Etat et refus dans un autre d’une même opération -, source d’une forte insécurité juridique pour les entreprises qui y sont parties. Le rapport propose des solutions innovantes et efficaces pour prévenir et limiter les conflits de décisions. Qui plus est, il a le mérite de traiter du problème lié à l’hétérogénéité des systèmes nationaux de contrôle des concentrations, qui fait actuellement peser sur les entreprises parties à une concentration multinationale des charges administratives excessives.