Depuis la réforme de la loi LME du 2 août 2008, l’article L. 442-6, I, 2° réprime le fait de soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Pour contrebalancer la liberté de négociation octroyée aux opérateurs économiques avec l’abrogation de l’interdiction per se des pratiques discriminatoires et l’assouplissement de l’interdiction de la revente à perte, le législateur a instauré un contrôle renforcé des abus en instituant notamment à travers cette disposition une sanction des clauses abusives entre professionnels.

5 ans après, le texte sur le déséquilibre significatif n’a visiblement toujours pas trouvé son équilibre. S’il est encore peu appliqué dans les relations commerciales de droit commun, il est très souvent invoqué par l’Administration dans ses actions contre la grande distribution qui impose, il est vrai, des clauses assez drastiques à ses fournisseurs. L’analyse de toutes ces actions montre que le régime des clauses abusives donne toujours lieu à des problèmes d’application non résolus de manière définitive et à de sérieuses divergences d’interprétation selon les juridictions saisies. L’absence de décision de la Cour de cassation laisse se développer des courants de jurisprudence contraires sur les principales questions qui font débat. Les juristes d’entreprise et leurs conseils se doivent de connaître ces points de friction s’ils entendent se prévaloir du texte pour contester un déséquilibre contractuel ou au contraire faire échec à une action fondée sur le déséquilibre significatif.

  1. L’action en déséquilibre significatif s’applique-t-elle aux contrats en cours ?

C’est dans bien des cas la première question à laquelle sont confrontées les parties, dans toutes les hypothèses où elles sont liées par un contrat ancien, conclu antérieurement à la promulgation de la loi LME du 2 août 2008. En faveur de l’application aux contrats en cours, le demandeur fera valoir que le texte est d’ordre public et doit  s’appliquer au dommage qui se manifeste après l’entrée en vigueur de la loi. En sens inverse, son adversaire fera valoir quant à lui qu’aux termes de l’article 2 du Code civil, « la loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif » et que selon la jurisprudence, « les effets des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle, même s’ils continuent à se réaliser postérieurement à cette loi, demeurent régis par les dispositions de la loi sous l’empire de laquelle ils ont été conclus » (Civ., 3 juillet 1919, n°77-552 ; Civ. 1, 30 janvier 2001, n° 98-15.158). La jurisprudence rappelle que le caractère d’ordre public de la loi nouvelle ne justifie pas son application immédiate aux effets à venir des contrats en cours et cette solution a été appliquée par un certain nombre de juridictions s’agissant de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce (Paris, 26 septembre 2013, RG 11/09146 ; Paris, 23 février 2012, RG 08/15137 ; Nancy, 31 mai 2012, RG 09/01110 ; T. Com. Paris, 9 février 2012, RG 2010024988 ; CEPC, avis n°13/03 du 10 avril 2013). Il appartiendra à la Cour de cassation de départager les plaideurs, chaque partie ayant des arguments à faire valoir en faveur de sa thèse.

  1. Faut-il raisonner clause à clause ou en fonction de la globalité de l’équilibre contractuel ?

Là non plus, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur la question. Un grand nombre de décisions rendues en application de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce se fondent sur une analyse clause à clause et plus précisément sur le critère de l’absence de réciprocité des droits et obligations des parties. Néanmoins, certaines juridictions analysent le contrat dans sa globalité et vérifient que certaines clauses ne seraient pas de nature à compenser le déséquilibre résultant d’autres clauses (Paris, 4 juillet 2013, RG 12-07651, LawLex201300001139JBJ).

Une synthèse des deux courants considère que l’équilibre doit en principe s’apprécier au regard du contrat dans son ensemble mais qu’une clause véritablement déséquilibrée peut à elle seule entraîner la responsabilité au titre du texte.

  1. La notion de déséquilibre doit–elle être appréciée à l’aune des critères du droit de la consommation ?

C’est ce qu’a laissé entendre le Conseil Constitutionnel lorsqu’il a été saisi d’une QPC sur cette disposition (Cons. Const. , 13 janvier 2011, LawLex201100003908JBJ). Un jugement du Tribunal de commerce de Paris va clairement en ce sens (T. Com. Paris, 24 septembre 2013, Lawlex201300001405JBJ). Mais l’on pourrait soutenir en sens inverse que l’article L. 442-6, I, 2° constitue un cas autonome de responsabilité qui ne saurait s’assimiler ou se limiter à la notion prévalant en droit de la consommation.

  1. Le juge peut-il contrôler la détermination des prix de vente sur le fondement du déséquilibre significatif ?

Si l’on admet que la notion de déséquilibre significatif doit s’apprécier à l’aune des critères du droit de la consommation, le juge ne devrait pas pouvoir porter une appréciation sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au service rendu puisque l’article L. 132-1, al. 2, du Code de la consommation le lui interdit. Mais les tribunaux de commerce ont pourtant analysé les clauses de révision de prix au regard de l’article L. 442-6, I, 2° (T. Com. Lille, 7 septembre 2011, n°11-17911, LawLex201300001296JBJ) et la Cour d’appel de Paris en a admis le principe tout en l’écartant dans l’espèce qui lui était soumise (Paris, 23 mai 2013, RG 12-01166, LawLex20130000862JBJ).

  1. Pour que le texte s’applique, suffit-il de constater le déséquilibre significatif ou faut-il également caractériser un élément de contrainte ?

Là encore, la question fait débat. Certaines juridictions considèrent que le contrôle du déséquilibre significatif est conditionné à la fois par l’existence d’obligations créant un déséquilibre dans les droits et obligations contractuelles et par l’existence d’un élément de coercition (T. Com. Paris, 24 septembre 2013, LawLex201300001405JBJ). D’autres font valoir que la soumission ou la tentative de soumission d’un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif ne résulte pas tant de l’exercice de pressions irrésistibles ou d’une coercition, que de l’existence d’un rapport de force économique déséquilibré entre les parties dont il se déduit la dépendance du partenaire (Paris, 18 septembre 2013, LawLex201300001527JBJ).

En l’état, il apparaît assez clairement que le droit positif n’est pas fixé et chacune de ces questions donnera sans doute lieu à des débats contradictoires tant que la Cour de Cassation ne se sera pas prononcée et peut-être même au-delà. Cette situation est inhérente au caractère très général du texte qui laisse place à l’interprétation  et au débat alors que d’autres droits ayant instauré un régime de clauses abusives entre professionnels, comme le droit allemand, ont préféré procéder par une catégorisation très précise des conditions du déséquilibre significatif selon le principe de la casuistique abstraite.