La distribution sélective connaît la tourmente. Sur le plan judiciaire, les têtes de réseau font de plus en plus difficilement reconnaître la licéité de leur réseau de distribution et se trouvent de ce fait souvent désarmées pour lutter contre les revendeurs hors réseau qui parasitent les efforts commerciaux et de service des revendeurs agréés. Par deux fois, la Cour d’appel de Paris a déclaré illicite le réseau d’une grande marque de parfums (Paris, 25 mai 2016, LawLex201600001002JBJ et 29 juin 2016, LawLex201600001214JBJ, aff. Coty), faute pour celle-ci de documenter l’existence de contrats sélectifs signés, d’établir une part de marché inférieure à 30 % et l’absence de clauses noires. De même, les juges parisiens semblent assimiler l’interdiction faite aux revendeurs sélectifs de vendre sur les places de marché à une restriction par objet et à une restriction caractérisée (Paris, 2 févr. 2016, LawLex20160000258JBJ, aff. Caudalie).
Certes, dans son récent pré-rapport sur le commerce électronique (SWD(2016) 312 final du 15 sept. 2016), la Commission ne va pas aussi loin : elle considère que les restrictions des ventes aux marketplaces ne concernent que les modalités de vente et non les destinataires ou territoires de vente, et peuvent dès lors bénéficier de l’exemption par catégorie en-dessous de 30 % de parts de marché. Elle se réserve néanmoins la faculté de les contrôler en cas de non-bénéfice ou de retrait de l’exemption. Au-delà , comme le montre son pré-rapport, la Commission semble sceptique quant à l’engouement récent pour la distribution sélective de nombreuses marques qu’elle soupçonne de vouloir imposer des prix de revente et/ou de restriction des ventes par Internet. L’autorité s’interroge donc sur la pertinence du maintien général du critère du magasin physique comme critère sélectif. Toutes ces évolutions traduisent autant de signaux d’une méfiance, voire d’une remise en cause de la distribution sélective, et une préférence de la concurrence par les prix à la concurrence par la qualité. Que feront donc les entreprises ?
1. Défendre le caractère pro-concurrentiel du modèle de la distribution sélective.
Le droit de la concurrence européen n’a jamais instauré la concurrence par les prix comme seul modèle de concurrence. La Cour de justice a toujours reconnu que la concurrence par la qualité et l’innovation méritait d’être promue sans être totalement sacrifiée à la concurrence par les prix (CJCE, 25 oct. 1977, LawLex200204119JBJ, aff. Metro I et CJCE, 22 oct. 1986, LawLex200204052JBJ, aff. Metro II). Il est donc particulièrement important que le plus grand nombre d’opérateurs répondent d’ici au 18 novembre 2016 au rapport préliminaire de la Commission sur le commerce électronique pour rappeler les aspects pro-concurrentiels de la distribution sélective et la nécessité de conserver ce système de vente de façon pérenne et efficiente dans l’intérêt de l’innovation et de la qualité du service de pré-vente, de vente et d’après-vente.
2. Etre en mesure de produire les contrats de distribution sélective signés.
La preuve de la licéité du réseau pèse sur le fournisseur. Il doit donc produire des contrats de distribution sélective signés, comportant une clause d’interdiction de revente hors réseau s’il veut agir contre des revendeurs hors réseau, applicables à l’époque des faits en litige. L’absence de clause d’interdiction de revente hors réseau ou l’impossibilité de produire un nombre significatif de contrats sont rédhibitoires (V. aff. Coty préc.).
3. Etablir la détention de parts de marché compatibles avec le bénéfice de l’exemption par catégorie.
Si la tête de réseau revendique l’exemption de plein droit du règlement restrictions verticales 330/2010, elle doit prouver qu’elle détient une part de marché inférieure à 30 % qui justifie le bénéfice de l’exemption catégorielle. A défaut, celle-ci sera refusée, et il sera très difficile de démontrer que l’entreprise respecte les conditions d’une exemption individuelle.
4. Contrôler régulièrement la rédaction de ses contrats pour en éliminer les clauses noires.
Avec le temps, le droit de la concurrence devient plus sévère. Des clauses admises il y a 10 ou 20 ans, comme l’interdiction de vente aux comités d’entreprise, ne le sont plus aujourd’hui (V. aff. Coty, préc.). Il est donc prudent de décharger les distributeurs d’obligations susceptibles de remettre en cause le bénéfice de l’exemption.
5. Limiter l’interdiction de revente hors réseau aux territoires sélectifs.
En cas de distribution mixte au sein de l’EEE (sélective dans certains pays, exclusive dans d’autres), il est important de limiter l’interdiction de revente hors réseau aux territoires sélectifs (V. aff. Coty, préc.).
6. Adopter un comportement prudent quant aux restrictions de vente sur les places de marché.
La Cour de justice est saisie d’une question préjudicielle sur la validité des interdictions de vente sur les places de marché (aff. C-230/16). Même si la Commission adopte une approche plus mesurée que certaines autorités nationales de concurrence (V. not., l’opposition totale du BKA allemand), la prudence milite aujourd’hui, dans l’attente de la décision de la Cour de justice, pour une attitude modérée. Il est ainsi recommandé aux têtes de réseau de se limiter à fixer des critères qualitatifs proportionnés pour les ventes sur les places de marché. Une deuxième solution plus engagée consiste à différencier selon les places de marchés. En effet, celles-ci interviennent aujourd’hui dans leur quasi-totalité en qualité de revendeurs hors réseau ou de mandataires des distributeurs. Plutôt qu’une interdiction générale et absolue de revente sur les places de marché, la tête de réseau rappellera l’interdiction de revente aux tiers au réseau et visera notamment les places de marché qui opèrent en qualité de revendeurs. En-dessous de 30 % de parts de marché, le recours à une distribution sélective qualitative et quantitative qui limite le nombre de points de vente et n’autorise pas les distributeurs agréés à nommer des sous-distributeurs ou des mandataires pour la revente des produits contractuels constitue une option à envisager, sans préjudice de la faculté d’exiger le respect de critères qualitatifs pour toute vente en ligne.