Le récent développement de l’offre de véhicules de transport avec chauffeur (VTC) ne cesse de provoquer des remous. Qualifiée de concurrence déloyale par les taxis, cette nouvelle offre de transport a fait l’objet d’un décret du 27 décembre 2013, dit décret « 15 minutes », prévoyant notamment d’imposer aux seuls VTC un délai de 15 minutes entre la réservation et la prise en charge effective du client. Deux recours à l’encontre de ce décret, l’un en référé, l’autre au fond, avaient été portés devant le Conseil d’Etat par des sociétés exerçant l’activité de VTC. Alors que le gouvernement s’est prononcé en faveur de l’interdiction, à compter du 1er janvier 2015, du service entre particuliers UberPop, et que le contentieux y afférent ne cesse de grossir, le Conseil d’État annule dans le même temps le décret « 15 minutes » pour excès de pouvoir. Quelle activité de transport est illégale ? Quelles pratiques suscitent des doutes juridiques ? Qu’en est-il de la réglementation applicable ? Un état des lieux s’impose depuis notre billet de blog de février dernier.

I. Le contentieux lié au service entre particuliers « UberPop »

La grogne des taxis, plus que palpable ces derniers temps, a connu un regain d’activité, en cette fin d’année, après que le Tribunal de commerce de Paris a refusé, par deux ordonnances du 12 décembre 2014, d’interdire le service UberPop ou « tout système équivalent de mise en relation de clients avec des personnes se livrant [au transport routier de personnes à titre onéreux] sans être titulaire d’une autorisation de stationnement (…) et sans être ni des entreprises de transport routier pouvant effectuer les services occasionnels (…), ni des taxis, ni des véhicules motorisés à deux ou trois roues ou des voitures de transport avec chauffeur au sens du [Code des transports] ». Le Tribunal reconnaît qu’UberPop, qui met en rapport des particuliers souhaitant  « compléter leurs revenus » et les clients, méconnaît (ce qui constitue incidemment une concurrence déloyale) les articles L. 2132-6 et L. 3122-5 du Code des transports, qui imposent aux intermédiaires mettant en relation des exploitants « classiques » de VTC et des clients, de s’assurer annuellement que les premiers disposent d’un certificat d’inscription au registre (professionnel) des exploitants de VTC, d’une carte professionnelle de conducteur et d’un justificatif d’assurance de responsabilité civile professionnelle en cours de validité. Mais il retient que le non-respect de ces dispositions, dont l’entrée en vigueur n’a pas encore été fixée par voie réglementaire, ne crée pas un trouble manifestement illicite [NDLR : le gouvernement a, depuis lors, pris le décret n° 2014-1725 du 30 décembre 2014 relatif au transport public particulier de personnes].

Le Tribunal a également refusé d’interdire aux « intermédiaires » tels Uber Pop, de proposer et d’appliquer des tarifs horokilométriques (c’est-à-dire dépendant de la durée de la course et de la distance parcourue). Tout en reconnaissant leur caractère manifestement illicite, le tribunal a en effet décidé de demander au Conseil Constitutionnel, comme les sociétés Uber le lui demandaient, si cette interdiction est conforme à la Constitution et respecte notamment la liberté d’entreprendre et le principe d’égalité. La transmission d’une QPC entraîne normalement un sursis à statuer, sauf si le sursis a des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives. Le tribunal considère qu’il n’est pas démontré en quoi ces pratiques tarifaires, qui sont celles des taxis, et qui placent l’ensemble des opérateurs sur le marché de la réservation préalable sur un pied d’égalité s’agissant du mode de tarification, confèreraient aux intermédiaires un avantage concurrentiel tel qu’il contribuerait « à faire perdre quotidiennement des clients aux taxis ou à étouffer la concurrence grâce à des tarifs irréalistes ». Le tribunal rappelle en outre que, par une ordonnance du 1er août 2014, il a déjà fait interdiction sous astreinte aux sociétés Uber, d’établir et d’adresser aux clients de leurs partenaires exploitants de VTC des factures horokilométriques. Le tribunal a toutefois estimé que les sociétés Uber créent un trouble manifestement illicite en diffusant une communication ambigüe laissant entendre aux conducteurs de VTC qu’ils peuvent se positionner en fonction de la localisation des autres VTC sans préciser qu’il est illicite de le faire sur la voie publique. Il leur a donc enjoint de retirer de leur support de communication toute mention qui présenterait comme licites (1) la pratique de la maraude consistant à s’arrêter, stationner ou circuler sur la voie publique en attente de client sans être titulaire d’une autorisation réservée aux taxis, en violation de l’article L. 3120-2, II, du Code des transports, et (2) le fait, la course terminée et sauf réservation préalable, de ne pas retourner au lieu d’établissement ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, en contravention avec les dispositions de l’article L. 3122-9 du Code des transports, régissant la pratique du « retour à la base ». L’affaire a été portée en appel et l’audience des plaidoiries a lieu ce jour devant la cour d’appel.

Ces solutions jurisprudentielles qui, au premier coup d’œil, peuvent apparaître contradictoires, illustrent les difficultés d’interprétation de la loi encadrant l’activité de VTC, dont certaines dispositions ont longtemps été en attente d’un décret d’application – comme l’a relevé expressément le Tribunal -, ou sont sujettes à question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ou encore font l’objet d’un texte d’application contesté, comme le décret « 15 minutes ».

II.  La jurisprudence relative à la réglementation de l’activité d’exploitation de voiture de tourisme avec chauffeur

La loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014, dite loi Thévenoud, génère depuis son entrée en vigueur, beaucoup d’insécurité juridique.

Comme nous venons de le voir, l’absence de mise en Å“uvre effective des articles L. 2132-6 et L. 3122-5 du Code des transports, à défaut de texte d’application, a permis au service UberPop de perdurer alors même que cette activité est illégale et ne constitue pas du covoiturage (qui consiste aux termes de l’article L. 1231-15 du Code des transports, dans l’utilisation en commun d’un véhicule terrestre à moteur par un conducteur non professionnel et un ou plusieurs passagers majeurs pour un trajet commun). Notons, à ce titre, le 16 octobre dernier, que les sociétés Uber ont été condamnées pour pratiques commerciales trompeuses par le tribunal correctionnel de Paris, pour avoir été présenté leur service UberPop comme du covoiturage, alors qu’il s’agit en réalité d’une offre payante de transport de particuliers. Le gouvernement a comblé ce vide juridique le 31 décembre 2014 par la publication au Journal officiel du décret n° 2014-1725 du 30 décembre 2014 relatif au transport public particulier de personnes concernant les modalités d’application de loi n° 2014-1104. Un nouvel article R. 3122-10, applicable aux intermédiaires, dispose désormais que la déclaration par voie électronique (mentionnée à l’article L. 3122-5) auprès du gestionnaire du registre des voitures de transport avec chauffeur, comprend : 1°) une preuve de l’identité et de la nationalité du prestataire ; 2°) La forme juridique de l’exploitant et, le cas échéant, le montant du capital social ; 3°) L’adresse de son principal établissement ; 4°) Une preuve de l’assurance couvrant sa responsabilité civile professionnelle, mentionnée à l’article L. 3120-4. Le décret prévoit également que lors du renouvellement annuel de la déclaration, au plus tard au 1er  juillet de chaque année, l’intermédiaire communique, par voie électronique, au titre de l’année civile précédant la déclaration : – la liste des exploitants de VTC avec lesquels il a été en relation contractuelle au cours de l’année, assortie de leurs numéros d’immatriculation ; – le nombre total de vérifications internes effectuées (nouvel art. R. 3122-11). Si la mise en Å“uvre de ces dispositions devait en principe signer l’arrêt du service UberPop en France, la société mère américaine n’a pas tardé à réagir en déposant une plainte, le 30 janvier dernier, devant la Commission européenne contre la France : selon Uber, qui cherche à obtenir l’annulation de la loi Thévenoud, la réglementation française violerait le droit de l’Union. Deux procédures similaires visent également l’Allemagne et l’Espagne.

L’insécurité juridique tient également aux imprécisions de la loi Thévenoud, dont différentes dispositions font actuellement l’objet de demandes de QPC. Le 12 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a accepté d’en transmettre deux à la Cour de cassation sur les quatre présentées par les sociétés Uber. La première porte sur le fait de savoir si l’article L. 3120-2, III, du Code des transports, qui réserve aux taxis la géolocalisation des véhicules avant réservation et l’interdit aux VTC, ne constitue pas une atteinte à la liberté d’entreprendre, dans la mesure où une telle pratique permise par le progrès technique, est susceptible de faciliter les demandes des clients, d’améliorer la productivité de l’ensemble des transporteurs, et de réduire les déplacements de véhicules sur la voie publique dans l’intérêt de l’environnement ; la seconde concerne le fait de savoir si  l’article L. 3122-2 du Code des transports, qui traite différemment, sur le marché de la réservation préalable, les VTC et les taxis, en interdisant par principe aux VTC une tarification horokilométrique, manifestement la plus adaptée économiquement, n’est pas contraire à la liberté d’entreprendre et au principe d’égalité. Affaire à suivre, mais il se pourrait qu’une censure de la loi intervienne, au vu du sort réservé au décret « 15 minutes » du 27 décembre 2013.

Pour mémoire, par une ordonnance en date du 5 février 2014, le Conseil d’État avait déjà suspendu le décret du 27 décembre 2013, imposant aux VTC le fameux délai  de prise en charge de 15 minutes. Selon la Haute juridiction, « le simple fait d’accepter, pour un véhicule en circulation sur la voie publique, une réservation par téléphone ou par Internet en vue d’un départ aussi rapide que possible [réservation sans contrainte de délai, dite « as soon as possible »] ne fait pas partie des activités légalement réservées aux taxis ». Deuxièmement, dans la mesure où le délai de prise en charge constitue pour l’activité de VTC un élément décisif d’attractivité commercial, l’introduction d’un délai d’attente crée un risque important de perte de clientèle et un obstacle sérieux à leur développement. Même si l’issue d’un référé ne préjuge pas de celle du recours au fond, le Conseil d’État a enfoncé le clou, par un arrêt du 17 décembre 2014, en annulant pour excès de pouvoir le décret « 15 minutes ». Selon lui, dès lors que le législateur n’a pas réservé aux taxis l’activité de transport individuel de personnes suivant des conditions fixées à l’avance entre les parties, laquelle peut être exercée par les exploitants de VTC, sans autres limitations que celles découlant des règles qui leur sont applicables et du respect de l’exigence d’une location préalable, le pouvoir règlementaire, auquel l’article L. 231-4, dernier alinéa, du Code du tourisme renvoyait pour fixer les modalités d’application des dispositions relatives à l’exploitation des VTC, a outrepassé ses pouvoirs, en fixant de nouvelles conditions restreignant l’activité des VTC qui subordonnent la prise en charge de leurs clients à un délai de réservation de 15 minutes.