De nombreuses lois ajoutent aux difficultés sans trancher les vraies questions qui se posent aujourd’hui à notre économie. La dernière réforme de la négociation commerciale effectuée par la loi Hamon du 17 mars 2014 (JO du 18 mars, p. 5400) en fait partie. Cette énième loi ne règlera pas les difficultés récurrentes qui surgissent dans les rapports entre les fournisseurs et la grande distribution. En revanche, le carcan administratif mis en place entravera encore un peu plus le fonctionnement de notre économie. Les directeurs juridiques, les chefs d’entreprise et leurs conseils le constateront aisément à la lecture des dispositions censées faciliter la négociation commerciale.
1. Des sanctions draconiennes pour faire respecter les délais de paiement.
La loi Hamon maintient les délais conventionnels plafonds instaurés par la loi LME de 2008 : 60 jours à compter de la date d’émission de la facture ou 45 jours fin de mois. Elle n’a finalement retenu aucun régime dérogatoire. Les délais de paiement ne peuvent être allongés en cas de procédure d’acceptation ou de vérification des marchandises ou des services que si cet allongement a été expressément prévu dans le contrat et ne constitue pas une clause ou une pratique abusive. Surtout, est désormais passible de sanctions administratives très lourdes (75 000 euro pour une personne physique, 375 000 euro pour une personne morale) le fait de ne pas respecter les délais conventionnels de paiement de 45 et 60 jours ou de ne pas respecter les modalités de computation des délais prévues dans le contrat. Les délais de paiement seront-ils mieux respectés ? On peut en douter, car une fois de plus, le législateur s’attaque davantage au symptôme (des délais de paiement plus longs en France qu’à l’étranger) qu’à sa cause : une trésorerie des entreprises très détériorée liée à un taux de marge beaucoup plus faible en France que chez nos voisins (le taux de marge EBE/VA des entreprises françaises est tombé à 30 % alors qu’il dépasse 40 % dans les pays rhénans). Tant que des mesures effectives n’auront pas restauré les marges des entreprises, leur trésorerie demeurera fragile et elles retarderont toujours le paiement de leurs factures.
2. Le rôle des CGV renforcé.
Jusqu’à présent « socle » de la négociation commerciale, elles en deviennent le « socle unique ». Cette avancée sémantique changera-t-elle quelque chose ? Sans doute pas. Certes, il faudra négocier d’abord sur la base des CGV et ne pas les exclure a priori, sous peine de faciliter grandement les actions en responsabilité pour déséquilibre significatif (V. not. Paris, 18 déc. 2013, LawLex201300001881JBJ). Mais, loin d’instaurer un principe de primauté absolue, il s’agira plutôt d’une règle d’antériorité chronologique. La liberté de négociation reprendra ses droits et en présence d’un rapport de forces très inégal : la grande distribution imposera toujours ses conditions aux fournisseurs.
3. Le calendrier des négociations plus strictement encadré.
Les CGV seront communiquées 3 mois avant la date butoir du 1er mars pour conclure les conventions uniques, soit avant le 1er décembre. Le distributeur répondra dans un délai de deux mois maximum à toute demande écrite du fournisseur portant sur l’exécution de la convention. L’imposition, excessive, de ce calendrier rigide à l’ensemble des relations fournisseurs/distributeurs en France institue une contrainte générale pour régler un problème particulier, la puissance d’achat de la grande distribution.
4. Le formalisme de la convention unique accentué.
La convention unique, pensum des relations fournisseurs/distributeurs, s’alourdit. Elle indiquera désormais le barème de prix, tel qu’il a été préalablement communiqué avec ses CGV par le fournisseur ou les modalités de consultation de ce barème dans la version ayant servi de base à la négociation. On y trouvera également les réductions de prix, les produits ou services auxquels se rapportent les obligations visant à favoriser la commercialisation des produits, la rémunération des obligations de coopération commerciale et la réduction de prix globale afférente aux autres obligations. Le prix convenu sera applicable au plus tard le 1er mars et le tarif, les réductions de prix, la coopération commerciale et les autres obligations s’appliqueront de façon concomitante. Les NIP feront l’objet de mandats séparés. Les manquements aux règles de la convention unique sont désormais sanctionnés par des amendes administratives directement infligées par l’Administration (75 000 euro et 375 000 euro). Encore une règle imposant un formalisme généralisé inutile en droit commun.
5. La renégociation obligatoire de certains contrats.
Pour un certain nombre de produits alimentaires, le contrat devra prévoir une clause de renégociation en cas de hausse significative du cours des matières premières, avec référence à des indices et compte rendu de négociation, le tout sous peine des mêmes sanctions administratives.
6. De nouvelles pratiques abusives créées.
Les demandes de compensation abusives de marges sont désormais sanctionnées, de même que la passation, le règlement ou la facturation d’une commande à un prix différent du prix convenu.
L’économie administrée a progressé d’un cran. Toutes ces mesures administratives ne résoudront pas les difficultés entre la grande distribution et ses fournisseurs. Conséquence d’un rapport de force déséquilibré, elles perdureront tant que ce déséquilibre existera. La loi Hamon n’y changera rien. Elle renforce en revanche le carcan de règles administratives en ajoutant des règles qui pèsent sur l’ensemble de notre économie et en soumettant une majorité d’entreprises à un formalisme très lourdement sanctionné, inutile dans leur domaine d’activité. Doublement inefficace, la loi Hamon ne règle pas les vrais problèmes d’un petit nombre, mais crée de vrais problèmes au plus grand nombre.