Quelle analyse appelle la nouvelle et importante consultation de la Commission en vue de réformer le droit de la concurrence applicable aux accords de distribution ?

Le vendredi 18 décembre 2020, la Commission a lancé une consultation portant sur les points en discussion qui lui paraissent particulièrement importants dans le cadre de la révision du règlement restrictions verticales et de ses lignes directrices.

Cette consultation ouverte du 18 décembre 2020 au 26 mars 2021 a pour objectif d’avancer dans la préparation des nouveaux textes attendus pour le deuxième trimestre 2022 afin de prendre la suite du règlement actuel et de ses lignes directrices.

Elle est d’une importance capitale pour le futur de tous les contrats de distribution et plus largement des accords verticaux en Europe puisque les entreprises tendent à façonner leurs accords en fonction du règlement afin de bénéficier de l’exemption par catégorie, les lignes directrices leur donnant des éléments complémentaires leur permettant de procéder à l’auto-évaluation de leurs accords au regard du droit des ententes.

Cette consultation est particulièrement importante car elle aborde les sujets les plus sensibles et se focalise sur les questions les plus débattues qui pourraient donner lieu à des évolutions majeures dans le cadre de la nouvelle réglementation.

Il est bien entendu primordial d’y répondre et notre cabinet participera à cette consultation comme il l’a fait précédemment en vue de défendre les intérêts des entreprises et un fonctionnement efficient du droit de la distribution.

Que répondre à la cinquantaine de questions posées ?

Vous trouverez ci-après notre première analyse.

La consultation est centrée sur 4 thèmes principaux qui ont été identifiés au cours de la phase d’évaluation par les parties prenantes comme ne fonctionnant pas bien ou pas aussi bien que cela pourrait être le cas :

  • la distribution duale par les distributeurs et les fournisseurs (« dual distribution »),
  • les restrictions aux ventes actives (« active sales restrictions »),
  • les restrictions indirectes aux ventes en ligne (« indirect measures restricting online sales»),
  • les clauses de parité (« parity obligations »).

A ces quatre thèmes centraux, la Commission a ajouté en les intégrant à la consultation quatre autres aspects importants :

  • les prix minimums (« RPM »),
  • les obligations de non-concurrence (« non-compete obligations »),
  • les accords de durabilité (« sustainability agreements »),
  • l’impact de la crise sanitaire (« impact of the COVID crisis »).

On remarque d’emblée que le thème fondamental des contrats d’agence et des conditions auxquelles ils ne relèvent pas du droit des ententes n’est pas abordé directement. Ce point devra être signalé à la Commission.

Sommaire

I. Les thèmes centraux 

II. Les autres aspects importants 

I. Les thèmes centraux

1. La distribution duale

Le terme est susceptible de multiples interprétations et ne doit pas induire en erreur. Il s’agit ici de la distribution de produits ou de services à la fois par les distributeurs membres du réseau et par le fournisseur tête de réseau. Contrairement à ce qui est parfois affirmé en doctrine, cette situation n’est ni nouvelle ni exceptionnelle, même si elle prend peut-être aujourd’hui de nouvelles formes. C’est la première contre-vérité à combattre.

Dans de nombreux réseaux, il existe à la fois des distributeurs indépendants et des distributeurs filiales ou succursales du fournisseur, des ventes directes du fournisseur à certains clients ou des ventes concurrentes par les distributeurs et le site internet du fournisseur aux clients finals. Tous ces canaux sont complémentaires et s’ils existent, c’est en vue de répondre au mieux à la demande de la clientèle.

L’exemption par catégorie ne couvre en principe pas les accords entre concurrents mais s’applique, par exception, à la distribution duale car il s’agit fondamentalement d’une relation verticale.

Certaines options envisagées par la Commission font froid dans le dos. C’est le cas de l’option 2 qui envisage de limiter l’exemption de la distribution duale aux cas qui sont « peu susceptibles de présenter des problèmes horizontaux », par exemple en introduisant un seuil de parts de marché sur le marché aval de la distribution aux clients finals de moins de 20 %, ou de l’option 4 qui envisage ni plus ni moins que de ne plus exempter par catégorie la distribution duale et de la soumettre à une exemption individuelle.

Disons-le clairement, subordonner l’exemption par catégorie de la distribution duale à un seuil en part de marché sur le marché local de la revente conduirait à priver de l’exemption la quasi-totalité des réseaux de distribution actuels. En effet, il existe des formes de distribution duale dans quasiment tous les réseaux et la seule part de marché des distributeurs sur leur zone locale de chalandise est à elle seule souvent supérieure à 20 % ou est très difficile à estimer. C’est ce qui avait d’ailleurs conduit les rédacteurs des règlements d’exemption verticale à calculer les seuils d’exemption pour les distributeurs sur le marché amont sur lequel ils achètent le produit. L’option 2 est donc impraticable car elle conduirait à devoir calculer des milliers de parts de marché au sein d’un seul réseau avec des coûts de transaction énormes, les données n’étant souvent même pas disponibles, et en tout état de cause priverait de l’exemption la quasi-totalité des réseaux, ce qui n’est pas le but recherché par un règlement d’exemption par catégorie.

Les options 1 (statu quo) ou 3 (extension de l’exception de distribution duale fournisseur fabricant -distributeur à la situation des importateurs ou grossistes disposant de leur propre réseau de distributeurs et vendant parallèlement à leur réseau) sont plus raisonnables. L’option 3 correspond à une demande des importateurs privés en charge de la distribution dans un pays européen et qui disposent d’un réseau de concessionnaires tout en effectuant des ventes directes à des clients finals. Dans la mesure où leur situation est analogue à celle des constructeurs ou fabricants, la confirmation du bénéfice de l’exemption par catégorie paraît être une revendication légitime.

2. Les restrictions aux ventes actives

Les restrictions aux ventes sont interdites en principe et autorisées dans certains cas ; les ventes actives peuvent par exemple être interdites en distribution exclusive vers le territoire d’un autre distributeur auquel une exclusivité a été accordée ; de même, en distribution sélective, les ventes actives et passives à des non-membres du réseau peuvent être interdites. Mais en cas de cumul de la distribution exclusive et sélective, les ventes actives et passives doivent en principe être possibles et les ventes croisées entre membres du réseau sélectif sont libres à tous niveaux en distribution sélective. En outre, en cas de combinaison dans l’UE de la distribution exclusive dans certains pays et de la distribution sélective dans d’autres, les distributeurs sélectifs ne sont pas protégés contre les ventes en provenance de l’extérieur par des revendeurs hors réseau.

La situation actuelle n’est pas satisfaisante : elle ne protège pas suffisamment les distributeurs sélectifs et elle ne permet pas d’organiser une distribution exclusive par pays au stade du commerce de gros pour les importateurs chargés d’animer un réseau sélectif en aval. Ces problématiques devraient effectivement être résolues à l’avenir par le recours aux options 2 (« étendre la portée des exceptions relatives aux restrictions des ventes actives pour donner aux fournisseurs davantage de souplesse pour concevoir des systèmes de distribution adaptés à leurs besoins ») et 3 (« autorisa(ion), sur un territoire où un système de distribution sélective est mis en œuvre, des restrictions des ventes aux distributeurs non autorisés effectuées depuis des endroits situés hors de ce territoire ») qui peuvent être combinées, l’option 1 (statu quo) ne permettant pas de remédier aux problèmes actuels.

3. Les restrictions indirectes aux ventes en ligne

Les ventes en ligne sont généralement considérées comme des ventes passives. Dès lors, il est interdit d’interdire aux distributeurs de vendre en ligne ou de restreindre leurs ventes en ligne. Il s’agit d’une restriction caractérisée qui prive l’accord de l’exemption par catégorie. Il en va de même des restrictions indirectes aux ventes en ligne qui suivent le même régime. Les parties prenantes ont critiqué à juste titre cette répression rigide de toutes les restrictions indirectes aux ventes en ligne. La Commission retient deux critiques qu’elle soumet à évaluation : l’interdiction du système de double prix ou « dual pricing » (le fait de vendre à un prix différent à un même distributeur selon que le produit est destiné à être revendu en ligne ou en magasin physique) et l’équivalence des critères (consistant à ce que les critères pour la vente en ligne soient une transposition équivalente des critères physiques).

L’option 1 (statu quo) n’est certainement pas opportune. Les options 2 et 3 méritent d’être approuvées à condition que les limites envisagées par la Commission ne privent pas l’exemption de tout effet utile.

L’option 2 consiste ici à ne plus faire du « dual pricing » une restriction caractérisée et à l’autoriser mais avec des limites et des précautions afin qu’il n’aboutisse pas à des restrictions des ventes en ligne. Nous militons depuis des années pour qu’il soit mis fin à l’absurdité de l’interdiction absolue du système de double prix. En effet, les coûts de distribution des différents canaux de vente ne sont pas les mêmes et les services offerts par les différents canaux diffèrent et présentent des coûts différents. Il est on ne peut plus normal de pouvoir rémunérer les services coûteux offerts par la vente en magasin physique si l’on souhaite conserver un minimum de magasins physiques. L’internet a depuis longtemps gagné la bataille, il n’est donc plus nécessaire de le surprotéger par des règles défavorisant les magasins physiques qui subissent une crise sans précédent et doivent faire face à des charges importantes qui ne pèsent pas le plus souvent sur les sites internet ou pas au même degré. Le régime de faveur octroyé aux ventes par internet par l’interdiction rigide des rémunérations duales telle qu’elle est prônée notamment par l’autorité allemande de concurrence, le BKA, doit impérativement cesser au plus vite. Par contre, il ne faut pas que les garde fous imaginés par la Commission soient tels qu’ils empêchent indirectement la rémunération duale. Dès lors qu’elle est justifiée et proportionnée, elle devrait être autorisée.

L’option 3 consiste à ne plus faire de non-respect du principe d’équivalence une restriction caractérisée. L’initiative est bienvenue compte tenu des différences importantes entre canaux. Ici encore, il ne faudrait pas que les garde fous imaginés par la Commission soient tels qu’ils empêchent indirectement l’exemption.

4. Les clauses de parité

Les clauses de parité qui obligent une entreprise à accorder les mêmes conditions ou des conditions meilleures à l’autre partie (par exemple une plateforme internet de réservation) que celles qu’elle accorde par ailleurs (par exemple sur son propre site ou par d’autres canaux de vente) sont actuellement exemptées par catégorie jusqu’au seuil d’exemption de 30% de parts de marché prévu par le règlement. Elles ont fait l’objet de nombreuses décisions dans les différents États membres avec des pratiques décisionnelles pas forcément cohérentes. Les autorités de concurrence des États membres ont analysé des effets anti-concurrentiels de la part de ces plateformes exigeant des clauses de parité, mais aussi des effets proconcurrentiels, notamment pour éviter le parasitisme, une plateforme consentant des investissements ne souhaitant pas qu’ils profitent au cocontractant ou à un concurrent affichant de meilleurs prix que ceux apparaissant sur la plateforme.

Les réponses des autorités de concurrence des États membres laissaient entendre qu’il faudrait sans doute distinguer entre les clauses de parité générales (applicables à tous canaux, aux ventes propres de l’entreprise contractante et aux autres plateformes ou canaux) et les clauses de parité restreintes, applicables uniquement en ce qui concerne les propres ventes pour éviter le parasitisme des investissements de l’entreprise contractante mais n’empêchant pas de meilleures conditions par des sites concurrents.

L’option 2 reflète cette analyse tandis que l’option 1 définit un statu quo (exemption en dessous des seuils) et l’option 3 une non-exemption des clauses de parité.

II. Les autres aspects importants

1. Les prix minimums

Il s’agit d’une problématique fondamentale soulevée par de nombreuses parties prenantes lors des réponses aux consultations et lors du workshop à Bruxelles auquel nous avions participé. La Commission reconnaît dans sa consultation que les conditions pour pouvoir invoquer des efficiences liées aux prix imposés et leur éventuelle exemption individuelle ne sont pas claires et que les orientations données dans les lignes directrices sont insuffisantes. Le rapport d’évaluation allait plus loin et laissait entendre que les conditions des prix imposés elles-mêmes n’étaient pas du tout claires. Au-delà, le régime des prix imposés considérés comme des restrictions par objet pouvant faire l’objet d’une exemption individuelle qui n’est jamais octroyée ne correspond ni à l’analyse économique ni d’ailleurs aux exigences récentes de la jurisprudence en matière de restriction par objet. La consultation demeure donc bien timide lorsqu’elle s’interroge sur les gains d’efficacité des prix imposés, leurs conditions et la façon d’améliorer la clarté des règles. C’est un total changement de paradigme qu’il conviendrait d’effectuer en la matière à l’instar de la jurisprudence Leegin aux États-Unis. Il conviendrait, dès lors que la concurrence inter-marques est élevée, d’exempter les prix imposés en-dessous d’un seuil de parts de marché par exemple 20 ou 25 %. A défaut, on restera toujours au stade du vœu pieux en ce domaine.

2. Les obligations de non-concurrence

De nombreux intervenants ont fait remarquer que la limite absolue et rigide de 5 ans pour bénéficier de l’exemption par catégorie en matière de clauses de non-concurrence contractuelles était trop stricte et qu’il fallait pouvoir prévoir des clauses de 5 ans renouvelables dès lors que le cocontractant dispose d’une faculté de non-renouvellement ou de résiliation de l’accord, et ce également afin d’éviter les coûts de transaction liés à la renégociation. La consultation en tient compte et soumet cette préconisation aux répondants.

3. Les accords de durabilité

La Commission interroge ici les répondants sur la question de savoir, à la lumière des objectifs du Green Deal européen, si les règles actuelles ont pu créer des obstacles à la mise en œuvre des objectifs de durabilité poursuivis par le droit européen.

4. L’impact de la crise sanitaire

La crise sanitaire a eu d’importantes implications économiques qui n’ont pas épargné la distribution. Elle a notamment entraîné une expansion des ventes par internet. La Commission interroge donc les répondants sur la question de savoir si la crise sanitaire a entraîné des changements qui devraient être pris en compte dans le cadre de la révision du règlement. A notre sens, l’explosion de l’internet rend d’autant plus nécessaire le bénéfice d’une stricte neutralité de la réglementation de la concurrence par rapport aux différents canaux de vente et l’abandon du régime de faveur absolu pour les ventes par internet qui finit par avoir des effets pervers pour le commerce physique.

Il est bien entendu possible de signaler à la Commission par un document joint les problématiques non prises en compte. Ce devrait être le cas notamment pour le régime des agents au sens du droit de la concurrence ou pour la distribution exclusive partagée (plusieurs distributeurs pour un territoire exclusif partagé entre eux).