La loi Hamon n° 2014-344 du 17 mars 2014 s’est notamment fixé pour objectif le rééquilibrage des relations commerciales entre fournisseurs et grands distributeurs.

Nous aborderons dans notre blog chacune des dispositions de la loi adoptées à cette fin et tout particulièrement :

–        Les règles visant à réduire les délais de paiement ;

–        L’affirmation du rôle des CGV en tant que socle unique de la négociation commerciale ;

–        L’enrichissement de la convention unique ;

–        Le nouveau formalisme des NIP ;

–        La formalisation des contrats de sous-traitance ;

–        La transformation des sanctions pénales en sanctions administratives infligées directement par l’administration ;

–        Et le régime particulier des produits agricoles et alimentaires.

Nous souhaitons commenter aujourd’hui les deux nouvelles pratiques commerciales abusives sanctionnées par la loi Hamon, à savoir les demandes abusives de compensation de marge et la facturation ou la commande à un prix différent du prix convenu.

Elles montrent une fois de plus qu’une loi peut produire des effets exactement contraires à ceux qui étaient recherchés. L’ « enfer législatif » est toujours paré des meilleures intentions. En effet, en vue de lutter contre les comportements abusifs des acteurs de la grande distribution, la loi Hamon a enrichi l’article L. 442-6 du Code de commerce de deux nouvelles pratiques abusives, mais leur rédaction issue des travaux parlementaires risque en réalité d’aggraver la situation des fournisseurs qu’elle entendait protéger. Il appartient désormais aux fournisseurs de se prémunir des effets pervers de la loi.

Les demandes de compensation de marge : un mot de trop

La pratique des demandes de compensation de marge empoisonne les relations entre grande distribution et fournisseurs depuis longtemps. Cette pratique connaît de multiples variantes : demande d’alignement des conditions en cours de contrat sur celles faites à d’autres clients, demande de versement de rémunérations ou d’octroi de réductions de prix en cours d’année en vue de maintenir ou d’augmenter la marge du distributeur, demande d’achat d’une  prestation de coopération commerciale dont le fournisseur se serait bien passé, etc.

La plupart des enseignes de la grande distribution s’étaient engagées en octobre 2010 envers le ministre Novelli à ne plus pratiquer de demandes de garantie de marge. La CEPC s’était exprimée également contre ce type de demande (avis CEPC n° 09-06, venant compléter le dispositif de Questions-Réponses sur la LME, n° 09/04/02/04). Entretemps, elles se sont faites plus floues et ne résultent généralement plus de clauses contractuelles expresses mais de sollicitations plus informelles  en cours ou en fin d’année. Les industriels avaient de ce fait réclamé une disposition visant expressément à qualifier de manière générale  les demandes de compensations de marge de pratique abusive sanctionnable au titre de l’article L. 442-6, I, du Code de commerce.

Désormais, aux termes du nouvel article L. 442-6, I, 1°, du Code de commerce, les demandes supplémentaires en cours d’exécution du contrat « visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité » figurent parmi les avantages ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement proportionnés. Ces pratiques seront donc constitutives d’une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur, sans préjudice de l’amende civile d’un plafond de 2 millions d’euros pouvant être porté au triple des sommes indûment versées .

Il convient toutefois de souligner la rédaction maladroite et contreproductive de l’article L. 442-6, I, 1°, qui pourrait être interprété par la grande distribution comme ayant pour effet de justifier la pratique de compensation des marges contre laquelle le législateur entendait précisément lutter. En effet, le nouveau texte condamne les demandes supplémentaires visant à « […] accroître « abusivement » ses marges ou sa rentabilité », pouvant ainsi laisser induire que les demandes de compensation de marge pourraient être légales, à condition de ne pas être considérées comme abusives, et qu’il appartiendrait au fournisseur de démontrer le caractère abusif de ces compensations.

L’ILEC a signalé cette incohérence en espérant que le législateur corrige le texte à l‘occasion d’une prochaine loi (LSA, 19 février 2014). En attendant, il convient de tenter de résister à ces pratiques soit en utilisant la nouvelle incrimination, soit en utilisant l’arsenal classique qui permettait déjà de les appréhender dans certains cas en faisant valoir qu’elles constituent selon le cas une tentative de soumission à des obligations manifestement déséquilibrées (en ce sens, Question écrite n° 82901, JOAN du 10 août 2010),  des demandes d’avantages rétroactifs ou dans certains cas des pratiques anti-concurrentielles.

 

La passation ou la facturation d’une commande de produits a un prix différent du prix convenu

Le nouvel article L. 442-6, I, prévoit désormais en son douzième alinéa que le fait « de passer, de régler ou de facturer une commande de produits ou de prestations de services à un prix différent du prix convenu résultant de l’application du barème des prix unitaires mentionné dans les conditions générales de vente, lorsque celles-ci ont été acceptées sans négociation par l’acheteur, ou du prix convenu à l’issue de la négociation commerciale faisant l’objet de la convention prévue à l’article L. 441-7, modifiée le cas échéant par avenant, ou de la renégociation prévue à l’article L. 441-8 » engage la responsabilité de son auteur qui pourra en outre être sanctionné par une peine d’amende civile atteignant deux millions d’euros.

Certains ont fait valoir qu’il en résulterait qu’à défaut d’accord sur le nouveau prix, issu par exemple d’une augmentation en cours d’année souhaitée par le fournisseur, aucune augmentation de prix ne pourra avoir lieu s’il n’y a pas d’accord préalable de son acheteur. Le fournisseur ne pourrait donc plus appliquer un nouveau tarif en cours d’application de la convention unique sauf accord de l’acheteur sous peine d’être visé par la nouvelle pratique abusive de l’article L. 442-6, I, 12è alinéa. La loi Hamon, censée rééquilibrer les relations industrie-commerce au profit des fournisseurs se retournerait ainsi une nouvelle fois contre les fournisseurs. L’on en arriverait à un curieux paradoxe : la jurisprudence considère que la clause imposant au fournisseur une fixité absolue de ses prix alors que ses coûts sont en hausse sensible pourrait être appréhendée au titre des obligations créant un déséquilibre significatif (jugement Auchan du tribunal de commerce de Lille du 7 septembre 2011) et la loi aboutirait elle-même à un tel déséquilibre significatif en sanctionnant toute évolution des prix.

L’on ajoutera que dans de très nombreux secteurs de l’économie, les prix de vente des fournisseurs aux distributeurs sont des prix tarifs susceptibles d’évolution en cours d’année et que l’application de ce mécanisme de prix a été jugée valable par une série d’arrêts d’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 1er décembre 1995, le fournisseur engageant sa responsabilité si ses hausses sont abusives (Ass. Plén., 1er décembre 1995, LawLex200204345JBJ, D. 1996.13).

En pratique, il paraît prudent de prévoir une clause d’évolution des prix tarifs chaque fois que cela est négociable. Juridiquement, ceci serait tout à fait conforme aux principes généraux du droit civil et aux dispositions nouvelles issues de la loi Hamon. L’article L. 441.7 du code de commerce prévoit que la convention unique indique le barème préalablement communiqué par le fournisseur mais n’empêche pas les parties de prévoir que celui-ci pourra le faire évoluer. L’article L. 442-6 I 12° vise le fait de facturer une commande à un prix différent du prix convenu résultant de l’application du barème de prix mentionné dans les conditions générales ou du prix convenu à l’issue de la négociation commerciale. Les parties ont toujours la possibilité de se référer et de convenir de l’application du tarif figurant aux CGV en vigueur au moment de la commande ou de l’expédition des biens. Ceci devrait notamment être la règle dans les relations de distribution de long terme dans le cadre des réseaux de distribution sélectifs, exclusifs ou de franchise. Dans le cadre des relations entre les fournisseurs et la grande distribution, il conviendra de prévoir une clause d’évolution des tarifs dans les CGV même s’il est vraisemblable qu’elle sera refusée dans le cadre de la négociation. De nombreux contrats de la grande distribution prévoient cependant des clauses de révision de prix, que la jurisprudence contrôle au titre des obligations déséquilibrées. Enfin, en l’absence de toute clause d’évolution des prix tarifs ou de clause de révision, il ne sera pas interdit de solliciter une hausse de tarif justifiée et en cas de refus du distributeur, il conviendra de faire valoir qu’une imposition de prix fixe en dépit de la preuve d’une hausse très importante des coûts constitue une soumission à une obligation déséquilibrée.

Application dans le temps

Selon l’article 125-V de la loi n° 2014-344, ces nouvelles dispositions seront applicables aux contrats signés à compter du premier jour du quatrième mois suivant la promulgation de la loi, c’est-à-dire pour les contrats signés à compter du 1er juillet 2014. Ces deux nouvelles pratiques restrictives n’auront donc vocation à s’appliquer de façon générale qu’aux conventions uniques 2015 (ou de façon marginale, aux quelques conventions uniques signées au 2ème semestre 2014).