Une entreprise chargée de la conception et du développement des marques distributeurs d’une grande enseigne et un opérateur spécialisé dans la transformation et la commercialisation de produits halieutiques appertisés entretenaient des relations commerciales ayant pour objet la fabrication de conserves de thon. A la suite d’un différend, le transformateur a mis en oeuvre la clause compromissoire stipulée dans le contrat de fabrication. Outre diverses condamnations, le tribunal arbitral saisi sanctionne son cocontractant à hauteur de 2 500 000 euro au titre de la rupture brutale des relations. Celui-ci saisit la Cour d’appel de Paris d’un recours en annulation de la sentence, fondé sur l’incompétence du tribunal arbitral pour appliquer l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (CPC, art. 1492, 1°).
La cour rejette la demande : la seule circonstance que des dispositions d’ordre public telles que l’article L. 442-6 du Code de commerce régissent le fond du litige n’exclut pas le recours à l’arbitrage, dès lors que, par leur nature, les demandes des parties ne sont pas inarbitrables (Paris, 1er juill. 2014, LawLex201400002207JBJ, CDC 07/2014).
Au soutien de son pourvoi, l’entreprise fait valoir que la nature délictuelle de la responsabilité prévue par l’article L. 442-6, loi de police, exclut l’application d’une clause compromissoire, même si la relation s’insère dans un cadre contractuel. Subsidiairement, elle soutient qu’à supposer qu’une clause compromissoire s’applique à un litige relatif à la rupture brutale de relations commerciales établies, la stipulation en cause ne le permettrait pas en raison de sa formulation. En effet, relative aux « différends qui viendraient à naître à propos de la validité, de l’interprétation, de l’exécution ou de l’inexécution, de l’interruption ou de la résiliation du présent contrat », elle ne couvre pas, selon l’auteur du pourvoi, la rupture brutale de relations. La Cour de cassation balaie les deux arguments.
D’abord, la Haute juridiction approuve les juges du fond d’avoir retenu que la compétence des juridictions spécialisées n’exclut pas le recours à l’arbitrage pour trancher les litiges fondés sur l’article L. 442-6. De fait, l’action visant à indemniser le préjudice résultant de la rupture de relations commerciales « n’[est] pas de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques ».
Ni le caractère délictuel de l’action, ni l’existence de juridictions spécialisées, ne permettent d’écarter la compétence de l’arbitre pour appliquer l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Si la Cour de cassation avait déjà estimé, dans un contexte international, qu’une clause compromissoire n’était pas « manifestement inapplicable » au contentieux de l’article L. 442-6 (Cass. civ. 1re, 8 juill. 2010, LawLex20100000840JBJ), elle apprécie, pour la première fois l’articulation de ce principe avec les règles relatives à la spécialisation des juridictions. Les parties sont donc tenues de saisir une juridiction spécialisée lorsqu’elles confient leur litige aux juridictions étatiques, mais demeurent libres de stipuler une clause compromissoire pour régler leurs différends. La précision apportée compte d’autant plus que la question, discutée devant la cour d’appel, n’était plus soumise à débat devant la Cour de cassation. Il semble que cette dernière ait voulu spécialement fixer le droit en la matière, dans un arrêt qu’elle destine à la publication au Bulletin.
Ensuite, dans un attendu beaucoup plus synthétique, la Cour répond aux deux arguments de l’entreprise en affirmant que, par la généralité de ses termes, la clause compromissoire traduisait la volonté des parties de soumettre à l’arbitrage tous les litiges découlant du contrat sans s’arrêter à la qualification contractuelle ou délictuelle de l’action engagée. S’agissant de l’applicabilité d’une clause compromissoire à une action délictuelle, la Haute juridiction aligne sa solution sur celle retenue en matière de clause attributive de compétence : une jurisprudence désormais constante retient que le caractère délictuel de l’action fondée par l’article L. 442-6 n’exclut pas la compétence du juge désigné par les parties (V. not. Cass. com., 20 mars 2012, LawLex20120000495JBJ).
En ce qui concerne la formulation de la clause, l’arrêt, qui consacre l’appréciation souveraine des juges du fond, se situe dans la droite ligne d’une jurisprudence très libérale, également en matière de clause attributive de juridiction, qui inclut relativement facilement la rupture brutale de relations commerciales établies dans le champ d’application des clauses soumises à son appréciation (V. not. Cass. civ. 1re, 22 octobre 2008, LawLex200800001850JBJ, clause visant tout litige né du contrat ; Cass. com., 20 mars 2012, préc.). En l’occurrence, cependant, on peut douter du bien-fondé de la solution : la clause ne vise expressément que la « résiliation » du contrat, qui, même dans une acception très large, ne peut s’apparenter à la « rupture brutale » mentionnée l’article L. 442-6.
Cour de cassation –Â 1re Chambre civile –Â 21 octobre 2015 –Â LawLex201500001349JBJ