Les opérateurs économiques et leurs conseils découvrent régulièrement de nouvelles difficultés d’interprétation et d’application de la loi Hamon du 17 mars 2014. Parmi les nombreuses mesures d’économie administrée prévues par le texte, la réglementation des prix de vente des fournisseurs à leurs distributeurs est celle qui posera sans doute les problèmes les plus délicats aux entreprises.

La loi Hamon prévoit deux régimes totalement distincts en matière de prix de vente des fournisseurs à leurs distributeurs. Pour les contrats d’une durée d’exécution supérieure à trois mois portant sur la vente d’un grand nombre de produits agricoles et alimentaires (mentionnés à l’article L. 442-9 du Code de commerce et dont la liste sera encore élargie par décret), dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires, il est obligatoire sous peine de sanctions administratives de prévoir une clause relative aux modalités de renégociation du prix permettant de prendre en compte ces fluctuations à la hausse comme à la baisse.

Pour les autres produits et services de droit commun, devant faire l’objet d’une convention unique au titre de l’article L. 441-7 du Code de commerce, le régime est différent : la convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services doit indiquer les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale. Elle indique notamment le barème de prix initial, les conditions de l’opération résultant de la négociation, les réductions de prix, la coopération commerciale et les services distincts, ces trois éléments concourant à la détermination du prix convenu et entrant en vigueur concomitamment avec le prix convenu, au plus tard le 1er mars. Enfin, l’article L. 442-6, I, 12° du Code de commerce institue un régime de responsabilité et d’amende civile pour le fait de passer, régler ou facturer une commande à un prix différent du prix convenu résultant de l’application du barème de prix des CGV acceptées par l’acheteur ou du prix convenu à l’issue de la négociation commerciale faisant l’objet de la convention unique modifiée le cas échéant par avenant ou renégociation entre les parties.

Selon une note d’information de la DGCCRF du 6 août 2014 (n° 2014-149), il résulterait de l’ensemble de ces éléments que « si le fournisseur souhaite modifier son tarif en cours de contrat, il ne peut imposer cette modification à son client et ne pourra donc l’appliquer que si celui-ci l’accepte » (p. 12-13) et que « le prix ne peut évoluer en cours de contrat que s’il y a accord des deux parties » (p. 32-34).

En d’autres termes, le droit français prévoirait désormais un principe de variabilité des prix et une obligation de renégociation permanente pour de nombreux produits agro-alimentaires et à l’inverse un principe de rigidité des prix avec des prix fixes et intangibles pendant un an pour les produits et services de droit commun relevant de la convention unique. La fixité annuelle des prix ainsi proclamée ne paraît cependant pas viable économiquement ni fondée au plan juridique.

I. L’inadaptation économique de prix annuels intangibles

Dans un marché économique en mouvement perpétuel, l’imposition d’une intangibilité annuelle des prix n’est pas tenable. De nombreux prix industriels ou énergétiques sont tout aussi variables que les prix agricoles.

Plus généralement, dans une économie de marché, même à court terme, la plupart des prix des fournisseurs varient dans une large proportion. Une étude économique a ainsi montré que près de 50 % des entreprises modifient leurs prix plus d’une fois au cours d’une année normale, 7,5 % entre 4 et 12 fois, 4,3 % entre 12 et 52 fois, 8,6 % entre 52 et 365 fois et 1,6 % plus de 365 fois (cf. tableau 4.1, Alan S. Blinder, on « Sticky Prices : Academic Theories Meet the Real World », in N. G. Mankiw, ed. Monetary Policy (Chicago, University of Chicago Press 1994, 117-154).

Imposer à l’ensemble des fournisseurs une rigidité complète de leurs prix pendant un an conduit à un mécanisme anormal de fixation des prix ignorant la loi de l’offre et de la demande et exposant les entreprises à des pertes importantes en cas d’évolution de leurs coûts ou à des gains manqués, alors que le taux de marge des entreprises françaises figure déjà parmi les plus bas d’Europe, avec un écart négatif de 10 points, soit 25 %, par rapport aux entreprises allemandes. Un principe de fixité absolue des prix pendant un an n’est donc pas soutenable du point de vue économique et constituerait un nouveau facteur d’affaiblissement de l’appareil productif de notre pays. Il ne paraît pas non plus justifié du point de vue juridique.

II. L’absence de fondement juridique de prix annuels intangibles

1. Absence de prévision d’un prix intangible dans la loi Hamon

En réalité, aucune disposition de la loi Hamon du 17 mars 2014 n’impose d’appliquer un prix fixe intangible pendant un an. Aucun alinéa de l’article L. 441-7 du Code de commerce nouveau n’exige la mention d’un prix déterminé, encore moins d’un prix fixe et intangible. Et s’il impose la fourniture du barème de prix, l’article L. 441-7 n’impose pas qu’il soit intangible pendant toute l’année civile. La convention unique requiert seulement de prévoir un mécanisme de fixation du prix avec une traçabilité de sa constitution. Il est tout à fait loisible aux parties de se référer dans la convention unique à un tarif connu à un instant t, pouvant être modifié en cours d’année par le fournisseur comme c’est l’usage dans de nombreux secteurs.

L’article L. 442-6 I 12° du Code de commerce ne prescrit pas non plus un prix intangible annuel puisque le prix convenu se réfère soit au barème de prix, soit à la négociation retranscrite dans la convention unique.

Dès lors que la convention unique conclue entre les parties se réfère à un tarif qui peut être stipulé modifiable par le fournisseur en vertu des règles du droit commun, aucune infraction aux articles L. 441-7 ou L. 442-6-I-12° ne paraît pouvoir être établie en l’absence d’application d’un prix fixe intangible tout au long de l’année.

2. Liberté des parties de se référer à un prix tarif modifiable en cours d’année

De multiples dispositions du droit commun reconnaissent et parfois même imposent une faculté de variation du prix du fournisseur à ses distributeurs.

En droit civil, depuis les arrêts d’Assemblée Plénière du 1er décembre 1995 (V. not. LawLex200204345JBJ), il est établi que l’absence de prix de vente déterminé dans un contrat-cadre ne constitue pas une condition de validité du contrat. Les parties peuvent valablement se référer à un tarif dont les composantes sont fixées par le fournisseur. En revanche, celui-ci est susceptible d’engager sa responsabilité en cas d’abus dans son droit de fixer le prix.

L’interprétation contra legem de la loi Hamon adoptée par la circulaire du 6 août 2014 n’irait pas seulement à l’encontre de ce principe établi depuis vingt ans en jurisprudence, mais empêcherait également tous les modes d’évolution des prix en fonction de clauses d’indexation ou à dire d’expert alors que leur validité et leur utilité sont reconnues de longue date.

Le droit des pratiques restrictives reconnaît quant à lui que l’imposition par un distributeur à un fournisseur d’un prix de vente intangible alors que ses coûts sont susceptibles d’augmenter pourrait être constitutif de la soumission de son partenaire à une obligation déséquilibrée (T. com. Lille, 7 sept. 2011, Ministre de l’Economie / Eurochan, LawLex201100001426JBJ, approuvée par Paris, 11 sept. 2013, LawLex201300001296JBJ ; T. com. Meaux, 24 janv. 2012, Ministre de l’Economie c/ EMC Distribution, LawLex20120000137JBJ, approuvée par Paris, 4 juill. 2013, LawLex201300001139JBJ).

En conclusion, l’interprétation adoptée par la circulaire du 6 août 2014 apparaît à la fois inopportune du point de vue économique et critiquable en droit. Il serait souhaitable que l’Administration modifie très rapidement la note d’information concernée. Les entreprises devront adopter une règle de conduite et faire un arbitrage risque/efficacité. Soit elles ne souhaitent courir aucun risque juridique et appliqueront des prix fixes intangibles pendant un an en s’exposant à un risque économique important. Soit elles tenteront d’éviter le risque économique auquel les exposeraient des prix intangibles en acceptant un certain degré de risque juridique compte tenu de l’interprétation actuelle de l’administration. Une solution consistera à prévoir dans la convention unique un mécanisme de détermination précis du prix associé à une clause de variabilité du tarif et des composantes du prix à l’initiative du fournisseur et à prendre la décision d’appliquer ou non un prix évolutif en cours d’année en fonction de l’évolution du débat et des positions de l’Administration.