La jurisprudence récente en matière de rupture de relations commerciales établies se traduit par deux évolutions concomitantes particulièrement inquiétantes pour tous les acteurs de la vie économique. La réécriture jurisprudentielle de l’article L. 442-6, I, 5) du Code de commerce concerne tant l’encadrement de la résiliation extraordinaire sans préavis que la fin ordinaire des relations avec préavis.

1. Résiliation extraordinaire

 

Désormais, s’agissant des ruptures avec effet immédiat, la chambre commerciale de la Cour de cassation prive d’effet les conditions résolutoires prévues par les parties autorisant une rupture anticipée immédiate des relations en l’absence de faute d’une particulière gravité (V. Cass. com., 9 juillet 2013, n° 12-21.001). Dans cette affaire intervenue dans le secteur bancaire, mais dont la solution est transposable à tous les secteurs de l’Économie, la Haute juridiction a retenu que l’intermédiaire qui n’atteint que 40 à 65 % des objectifs qui lui ont été assignés ne commet pas de manquement grave à ses obligations contractuelles, même si le contrat prévoit la résiliation immédiate en cas de non-réalisation de 80 % de l’objectif annuel. En d’autres termes, dans le cadre d’un contrat révocable à tout moment sans indemnité pour des motifs sérieux et légitimes – dont l’insuffisance de résultats prévue contractuellement par les parties -, les juges du fond ne peuvent plus se contenter de constater un manquement caractérisé à une clause d’objectifs pour rejeter une demande en indemnité fondée sur L. 446, I, 5).

2. Résiliation ordinaire

 

De même, en cas de résiliation ordinaire, les juges tendent à considérer que l’appréciation de la durée du préavis doit se faire lors de l’envoi de la lettre de résiliation – alors qu’en droit commun de la responsabilité, le préjudice s’apprécie toujours au jour où le juge statue – et donner lieu en cas d’insuffisance à une indemnité forfaitaire représentant la marge perdue par mois multipliée par le nombre de mois de préavis manquants (V. Blog, article du 3 septembre 2013), sans tenir compte de l’absence de préjudice effectif du partenaire résilié qui a pu se reconvertir ou développer l’activité avec d’autres marques dans le même domaine (Cass. com, 9 juillet 2013, n° 12-20.468). Ces interprétations jurisprudentielles vont à l’encontre de la loi qui, par l’instauration d’un préavis vise précisément à faciliter la reconversion du partenaire résilié, et « oblige à réparer le dommage causé » par la brutalité de la rupture et non celui résultant de la rupture en elle-même. De façon très contestable, l’indemnisation, devenue sans rapport avec le dommage réel, relève désormais du forfait plutôt que de la « réparation ».

De notre point de vue, en réinterprétant les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5) du Code de commerce dans un but de protection de la « partie supposée faible » au contrat, la Haute juridiction adopte une approche consumériste nuisible à la bonne marche des affaires entre professionnels. Cette réécriture jurisprudentielle consacre un régime de responsabilité d’exception, qui institue une indemnisation sans préjudice et s’affranchit des stipulations contractuelles en rendant toute rupture d’une relation commerciale dans l’ensemble de l’économie très difficile ou en tout cas très longue, sous peine de s’exposer à des dommages-intérêts très conséquents. Ces deux évolutions se sont réalisées progressivement, sans bruit, mais elles font maintenant partie du droit positif. En droit comme en économie, le vieux proverbe touareg se vérifie : on entend l’arbre tomber mais pas la forêt pousser. Les juristes et les opérationnels sont amenés à se poser deux questions au vu de cet état inquiétant du droit positif : ces évolutions sont-elles juridiquement légitimes et économiquement fondées ? La réponse est simple : ces évolutions ne sont pas fondées en droit. Il n’est pas juridiquement fondé de subordonner l’efficacité d’une clause résolutoire à un contrôle de gravité du manquement au titre de l’article L. 442-6 du Code de commerce puisque celui-ci autorise la rupture des relations en cas d’inexécution des obligations et non d’inexécution d’une particulière gravité. La jurisprudence de la Cour de cassation intervient donc ici contra legem. De la même façon, il n’est pas juridiquement fondé d’apprécier le montant du dommage de façon théorique ex ante indépendamment de son montant effectif qui doit être mesuré au jour où le juge statue. D’un point de vue économique, alors que l’économie moderne exige une adaptation rapide à la demande et au marché sous peine d’être moins compétitif que ses concurrents et de risquer de disparaître, l’interprétation jurisprudentielle actuelle de l’article L. 442-6 impose de rester en relations avec des partenaires non efficients et de ne pouvoir changer de partenaires qu’à l’issue de préavis très longs. Elle bloque donc le changement et l’adaptation des entreprises aux contraintes concurrentielles alors que leurs concurrents étrangers peuvent quant à eux s’adapter sans être soumis à toutes ces contraintes. On imagine aisément le résultat. Existe-t-il un espoir de sortir de cette situation? Oui, à condition d’expliquer inlassablement l’incohérence économique et l’absence de fondement juridique de ces évolutions et les risques qu’elles font courir aux entreprises françaises.