La mode est aux actions collectives. La loi Hamon a amorcé le mouvement avec les actions de groupe en concurrence et en consommation. En deux ans, seules huit actions ont été intentées en consommation. Pourtant, moins les actions de groupe fonctionnent, plus le Gouvernement en crée. Depuis le 1er juillet 2016, une nouvelle action de groupe est ouverte à 485 associations de patients dans le domaine des produits de santé. Le projet de loi Justice du XXIe siècle en discussion au Parlement institue aussi des actions de groupe pour les discriminations, l’environnement et les données personnelles.
Parallèlement à ces procédures spécifiques d’origine étatique, le marché a inventé de nouvelles actions collectives à l’initiative d’avocats ou de start-up juridiques. La pratique des mandats multiples et la plateformisation des actions associée à du third party funding représentent une véritable révolution. Même s’il ne faut pas négliger les risques associés aux actions de groupe, au bilan très mitigé, les risques les plus importants et les plus concrets résident bien davantage dans les initiatives du secteur privé.
I. Le bilan très modeste des actions de groupe
1. L’échec total de l’action de groupe concurrence.
La loi Hamon a créé une action de groupe pour la réparation des préjudices causés par des pratiques anticoncurrentielles qui n’a rencontré aucun succès. Et pour cause : elle se révèle tout simplement impraticable dans les faits. En effet, la responsabilité d’un professionnel dans le cadre d’une telle action n’est prononcée que sur le fondement d’une décision rendue par les autorités ou juridictions nationales ou de l’Union compétentes, qui constate les manquements et n’est plus susceptible de recours pour la partie relative à l’établissement de l’infraction. Une procédure devant l’Autorité de la concurrence dure entre 3 et 5 ans, parfois 10, l’appel peut prendre 2 ans et la procédure de cassation de 18 à 24 mois : obtenir une décision définitive prend un temps infini et décourage les plaideurs. De plus, en cas de clémence, l’accès aux documents qui prouvent le préjudice s’avère quasiment impossible. Enfin, réserver l’action aux préjudices des consommateurs n’a pas de sens en droit de la concurrence : les préjudices les plus importants ne sont-ils pas subis par les entreprises ?
2. Le bilan très mitigé de l’action de groupe consommation.
La loi Hamon a également créé une action de groupe en consommation, qui n’a pas connu davantage de succès. En deux ans, seules huit actions de groupe ont été lancées, la dernière en date par l’UFC Que Choisir en septembre 2016 contre BNP Paribas et son fonds Jet 3. Outre la rareté des actions, les résultats ne sont guère brillants. La première décision judiciaire rendue (TGI Paris, 27 janv. 2016, LawLex201600001335JBJ) a débouté la CNL de son action contre le bailleur social 3F au titre d’une clause instituant une pénalité de 2 % du loyer en cas de retard de paiement des locataires. Le tribunal a considéré à juste titre que la preuve du manquement de la société 3F à ses obligations légales ou contractuelles n’était pas apportée car les exemples fournis par l’association de pénalités comprises entre 1 et 6 euros étaient peu probants. Si la première action a fait un flop, une autre affaire aurait été transigée tandis que les autres s’engluent dans des procédures d’une complexité et d’une longueur effarantes.
3. Les débuts incertains de l’action de groupe santé.
Si depuis le 1er juillet 2016, les associations peuvent demander réparation du préjudice corporel subi par les usagers du fait de la défaillance d’un médicament, d’un cosmétique ou d’un dispositif médical, aucune n’a franchi le pas depuis 3 mois. Cette frilosité s’explique par de multiples raisons : l’action, réservée aux associations, exclut la réparation du préjudice moral et d’anxiété ; la procédure, longue et complexe, décourage ; la preuve de dommages similaires est délicate alors que les effets sur les personnes varient souvent ; le recours à l’expertise s’avère nécessaire, etc. De telles actions se révèlent aussi difficiles pour les victimes que les actions judiciaires individuelles.
4. L’extension à venir des actions de groupe par le projet de loi Justice du XXIe siècle.
Limitées initialement aux discriminations, les actions de groupe envisagées par le projet en cours de discussion au Parlement visent à présent aussi l’environnement et les données personnelles. Ces actions présentent sans doute pour les entreprises un risque plus important que les précédentes, d’autant que les syndicats représentatifs au niveau national de la branche et de l’entreprise seront habilités à agir et que tous dommages, y compris moraux, pourront être indemnisés.
II. Les risques importants des actions collectives issues du marché du droit.
5. Le cumul des mandats : le précédent AFER.
Le mandat, institution classique du droit civil, constitue un redoutable instrument judiciaire comme le démontre le précédent de l’Association française d’épargne et de retraite (AFER). Celle-ci a reçu mandat individuel spécial et exclusif de 55 114 adhérents pour agir en restitution de sommes versées par de petits épargnants à un établissement financier prévenu d’abus de confiance. Sa demande a été jugée irrecevable en appel au motif que « nul ne peut plaider par procureur et que, même si l’AFER a reçu mandat de représenter chacun de ses adhérents, elle entend exercer, en leur lieu et place » une demande « s’apparentant à une class action ». La Cour de cassation a au contraire retenu qu’aucun texte n’interdisait de donner mandat à un tiers de présenter une requête en restitution, dès lors que l’existence du mandat était prouvée et que le nom du mandant figurait dans chaque acte de procédure effectué par le mandataire (Cass. crim., 20 mai 2015, D., 2015, 1419, obs. Dissaux). Rien n’empêche une entité ou un avocat de se faire mandater par des milliers de personnes pour introduire une action. Le mandat constitue donc un instrument efficace qui permet à des professionnels diligents, compétents et motivés, d’organiser des actions collectives sans être soumis au carcan des actions de groupe.
6. Le potentiel redoutable de la plateformisation des actions.
De nombreuses start-up juridiques créent actuellement des plates-formes d’actions judiciaires. Certaines se contentent de mettre en forme des actions individuelles de manière automatisée. Alors que la fabrication automatique par le site de la signature du demandeur, source de nullité de l’acte, constituait jusqu’à présent un frein à ces legal tech, le verrou a sauté récemment avec la reconnaissance par le juge, de la validité des signatures électroniques (Juge prox. Charenton, 4 juill. 2016, LawLex201600001470JBJ). D’autres ont développé des modèles beaucoup plus sophistiqués qui leur permettent de fédérer des milliers d’actions par une plate-forme en utilisant soit la technique classique du mandat donné à la start-up avec une rémunération fondée uniquement sur le résultat (pacte de quota litis intégral), soit le mécanisme de la cession de droits litigieux à la start-up par chacun des consommateurs avec rémunération uniquement en cas de succès (no win no fee) et un financement par un mécanisme de third party funding. Compte tenu de la puissance de l’Internet et du dynamisme de leurs auteurs, ces nouvelles actions collectives représentent un risque beaucoup plus important que les actions de groupe classiques réservées aux associations.