Le 4 juin 2020, la Cour de cassation a rendu un arrêt capital en matière procédurale.

Dans cette affaire, des entreprises soumises à une procédure de concurrence en Polynésie française avaient découvert que le président de l’Autorité polynésienne de concurrence avait, dans le cadre d’une procédure prud’homale entre l’une d’elles et un salarié, délivré une attestation en faveur de ce dernier. Il en résultait un doute sur l’impartialité de l’Autorité, que les entreprises ont dénoncé au président de celle-ci, mais en vain. Elles avaient donc saisi le premier président de la cour d’appel de Paris d’une requête en renvoi pour cause de suspicion légitime de l’affaire devant la cour d’appel de Paris.

L’ordonnance du premier président a néanmoins rejeté la requête au motif que les textes d’organisation de l’Autorité polynésienne de concurrence ne prévoyaient pas de procédure spécifique de récusation ou de demande de renvoi pour cause de suspicion légitime. En outre, celle-ci ne serait pas une juridiction, de sorte que les textes généraux relatifs à la récusation ne lui seraient pas davantage applicables (Paris, 1er mars 2019, LawLex19866).

Les entreprises ont formé un pourvoi devant la Cour de cassation, qui a fait droit, hier, à leur demande au visa des articles 6, § 1 CEDH et L. 111-8 du Code de l’organisation judiciaire. Selon la Haute juridiction,

« En vertu de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial qui décidera du bien-fondé de toute accusation portée contre elle en matière pénale, matière à laquelle sont assimilées les poursuites en vue de sanctions ayant le caractère d’une punition ».

Or, amenée à prononcer des sanctions, l’Autorité polynésienne de la concurrence doit être considérée comme une juridiction, de sorte que même en l’absence de disposition spécifique, elle se trouve soumise au principe général d’impartialité qui exige que toute personne poursuivie devant elle puisse, le cas échéant, demander le renvoi pour cause de suspicion légitime devant la juridiction de recours.

La portée de cet arrêt dépasse largement le seul cadre de l’affaire en cause et aura très certainement des répercussions sur la conduite des procédures devant l’ensemble des autorités administratives indépendantes. La Cour précise en effet que leur pouvoir de sanction conduit à les assimiler aux juridictions, et les rend par conséquent comptables du respect des principes généraux du droit, même lorsque ceux-ci ne sont pas repris dans leurs textes d’organisation.

Cet arrêt est par ailleurs susceptible d’avoir une incidence sur la  jurisprudence du Conseil d’Etat, selon lequel le dessaisissement d’une autorité suspectée d’impartialité ne se justifie pas lorsque le recours juridictionnel permet de remédier a posteriori au vice invoqué. En effet, l’arrêt de la Cour de cassation offre désormais aux entreprises un contrôle ex ante de l’impartialité de l’autorité, qui permet d’éviter bien plus efficacement toute atteinte irrémédiable aux droits de la défense.