L’analyse de l’ensemble des décisions rendues en matière de prévention de la santé des salariés dans le cadre de l’épidémie du COVID-19 par les juges des référés des tribunaux judiciaires saisis par les syndicats, principalement SUD et la CGT, ou par l’Inspection du Travail, montre que les entreprises ont souvent et surtout perdu sur des questions de formalisme. Les entreprises sont fréquemment prises en défaut parce qu’elles n’ont pas respecté en particulier tout le formalisme de l’information-consultation qui est très lourd et complexe, mais heureusement en général pas avec des conséquences aussi dramatiques que dans le cas de Sandouville. Ainsi, dans la décision CGT/Carrefour du 24 avril 2020 (RG 20/00395) dans laquelle un ensemble impressionnant de mesures de prévention avaient été prises, il avait été néanmoins reproché par la CGT à l’enseigne de ne pas avoir associé le CSE suffisamment en amont à la mise à jour du DUERP ; le juge des référés avait cependant été raisonnable quant aux conséquences à en tirer en refusant toute fermeture et astreinte. Même dans la fameuse affaire Amazon (Trib. jud. Nanterre, réf., RG 20/00503, et CA Versailles, 14e ch., 24 avr. 2020, RG 20/011993), il faut rappeler que dans l’un des établissements, tout avait été fait dans les règles, le CSE d’établissement avait même demandé la reprise du travail, mais Amazon avait omis de consulter le CSE central, de sorte que même l’établissement où tout était en règle avait vu son activité limitée.

La vraie question qui se pose d’un point de vue juridique à propos de décisions de ce type est de savoir si le non-respect d’un formalisme dès lors qu’il est établi que sur le fond les mesures de prévention et de sécurité ont été prises justifie une mesure aussi radicale que la fermeture d’une usine. N’y-a-t-il pas une disproportion entre le manquement constaté et la conséquence qui en est tirée alors que le principe de proportionnalité gouverne notre droit ? Les conditions du référé sont-elles réellement remplies ? Où est le dommage imminent ? Où est le trouble manifestement illicite et le lien nécessaire entre le manquement et la mesure ordonnée? Il faudrait s’inspirer plutôt de décisions plus raisonnables comme celle du tribunal judiciaire de Lille du 24 avril 2020 qui avait certes demandé à Carrefour d’associer le CSE à la mise à jour du DUERP, mais avait refusé toute fermeture et toute astreinte et avait même condamné la CGT en raison de l’excès de ses demandes à 1 000 euros d’article 700.

PJ : l’ordonnance de référé du 7 mai 2020 du tribunal judiciaire du Havre