Fin 2015, la DIRECCTE apprend que le groupe Carrefour a tenté de faire supporter à ses fournisseurs le surcoût logistique engendré par le développement de son réseau de magasins de proximité. De fait, lors d’une réunion avec 200 de ses fournisseurs, Carrefour a exigé l’octroi d’une remise supplémentaire, à l’acceptation de laquelle il subordonnait désormais l’entrée en négociations. Carrefour a ensuite confirmé oralement cette demande à l’ensemble des fournisseurs du groupe. Le refus de se plier à ces conditions a été suivi de menaces, voire de déréférencements effectifs, de l’interdiction faite aux commerciaux de certains fournisseurs de visiter les magasins de l’enseigne et du report des négociations. Estimant ces pratiques restrictives de concurrence, l’Administration demande et obtient, ce qui est plutôt rare dans ce domaine, l’autorisation de conduire des opérations de visites et saisies dans les locaux du groupe pour en recueillir la preuve formelle. Devant la cour, Carrefour conteste tant la validité de l’ordonnance d’autorisation que le déroulement des opérations (V. Cass. crim., 8 juill. 2015, LawLex20150000923JBJ, admettant que le même juge statue sur ces deux prétentions).

Selon le juge, la procédure d’enquête lourde peut être mise en œuvre même si les pratiques ne sont ni complexes, ni secrètes.

Sur la validité de l’ordonnance, le groupe soutient que le caractère secret des pratiques ne suffit pas à justifier le recours à la procédure d’enquête lourde. Il dénonce une instrumentalisation de la procédure à des fins politiques, dans un contexte de crise agricole, pour peser sur les négociations annuelles. Des moyens moins attentatoires aux libertés offerts par l’enquête simple, dont l’efficacité a été renforcée par les lois Hamon et Macron auraient, selon lui, suffi.

La cour ne partage pas cet avis : le juge des libertés et de la détention a déjà pesé la proportionnalité de la mesure de contrainte sollicitée eu égard à l’objectif poursuivi et estimé qu’une simple demande d’informations au titre de l’article L. 450-3 du Code de commerce aurait permis à l’entreprise de fournir des informations tronquées. Ensuite, les pratiques dénoncées s’inscrivent dans un contexte de négociations annuelles tendues par la guerre des prix entre les enseignes, aggravé par les récents regroupements à l’achat dans le secteur, qui renforcent le pouvoir de négociation de la distribution ; en outre, les pratiques en cause se caractériseraient par le souci du groupe de ne laisser aucune trace écrite. La DIRECCTE a aussi relevé l’exercice de pressions, allant de l’arrêt des commandes au blocage total des négociations, alors que la date butoir du 1er mars approchait. Selon le juge, tous ces éléments constituent un faisceau d’indices confirmant la nécessité de recourir aux mesures d’enquête lourde, d’autant que celle-ci ne présente pas de caractère subsidiaire par rapport à d’autres procédures (Cass. crim., 26 oct. 2016, LawLex201600001771JBJ).

Enfin, de façon assez inédite, la cour justifie l’enquête lourde par l’urgence d’agir avant le 1er mars, afin d’éviter la déperdition des preuves et surtout la contractualisation de la remise imposée par le groupe, qui n’apparaitrait dès lors plus comme une contrainte, mais comme un geste commercial accordé à Carrefour. Dans un tel cadre, l’arbitrage entre les procédures disponibles est commandé, bien plus que par le caractère secret ou complexe des pratiques  – contesté par Carrefour -, par l’exigence d’efficacité au regard de l’imminence de la date butoir.

S’agissant du déroulement des opérations, le groupe demande l’annulation de la procédure en raison de la violation du secret des correspondances. En effet, lors de l’ouverture des scellés provisoires, l’Administration prend nécessairement connaissance du contenu des documents saisis et porte ainsi irrémédiablement atteinte aux droits de la défense. Mais, selon la cour et très classiquement, la seule la saisie des documents protégés doit être annulée et les droits des entreprises sont garantis par l’impossibilité de les utiliser contre elles (Cass. crim., 26 oct. 2016, préc). En outre, la procédure des scellés provisoires, expérimentée par l’Administration alors qu’elle n’y est pas tenue, constitue une garantie supplémentaire pour l’entreprise qui peut obtenir la soustraction du dossier des documents couverts par le legal privilege. Enfin, le groupe critique l’imprécision de l’inventaire réalisé après l’ouverture des scellés provisoires, estimant que celui-ci ne permet pas au juge de vérifier si les pièces saisies entrent bien dans le champ de l’autorisation. Néanmoins, selon le juge, c’est à l’entreprise, qui en conserve une copie, et non au juge, qu’il appartient d’identifier les pièces qui auraient été irrégulièrement saisies (Cass. crim., 29 juin 2016, LawLex201600001223JBJ).

Cour d’appel de Paris, 14 décembre 2016, LawLex201600002143JBJ