Suite à la loi Hamon du 17 mars 2014, le décret relatif à l’action de groupe en matière de consommation qui conditionnait son entrée en vigueur, vient d’être adopté en date du 24 septembre et publié au Journal officiel du 26 septembre. Le décret entrera lui-même en vigueur le 1er octobre 2014. Cela signifie qu’en pratique des actions de groupe pourront être formées à partir de cette date et donne le signal de départ à la course des associations en vue d’être la première à lancer une action de groupe en France.

Quel que soit le jugement que l’on porte quant à l’opportunité de cette nouvelle procédure, il convient d’être attentif à ce nouveau risque juridique.

Pour vous y préparer au mieux, vous trouverez ci-après une synthèse des dispositions gouvernant l’action de groupe : ses raisons, les particularités de l’action de groupe en droit de la concurrence ou en-dehors du cadre légal, dont l’intensité du risque est limitée et les règles gouvernant l’action de groupe en droit de la consommation qui si elle demeure très encadrée, présente un risque plus important pour les entreprises.

Pourquoi l’action de groupe ?

L’action de groupe est désormais introduite dans notre arsenal juridique. C’est sans conteste l’une des mesures les plus novatrices de la loi relative à la consommation, même si l’idée, loin d’être nouvelle, est débattue depuis 30 ans dans notre pays puisqu’en contradiction avec l’adage selon lequel en France « nul ne plaide par procureur ».

Le consommateur dont la confiance est supposée restaurée grâce à ce texte devrait pouvoir obtenir réparation d’un préjudice survenu en matière de consommation ou de pratiques anticoncurrentielles, dans des conditions toutefois différentes de celles qui existent outre-Atlantique.

Il y a trois grandes séries de raisons à l’introduction d’une action de groupe en droit positif.

1ère raison. Si les litiges nés des conditions de formation et d’exécution des contrats de consommation peuvent concerner un très grand nombre de consommateurs, la faiblesse des montants en jeu conduit souvent le consommateur à renoncer à toute action individuelle sur le terrain judiciaire.

L’action de groupe, en permettant de regrouper dans une seule procédure les demandes de réparation émanant d’un grand nombre de consommateurs, qui se trouvent dans des situations similaires, victimes des pratiques illicites ou abusives d’un même professionnel, offre une action en réparation pour le traitement des contentieux de consommation de masse.

Il s’agit donc d’un moyen de donner des droits aux consommateurs, ainsi que de discipliner les entreprises. C’est un argument récurrent des promoteurs des actions de groupe. Mais cette première raison n’est pas vraie à 100%.

  • Il existe déjà des moyens permettant au consommateur français d’agir dans le cadre de petits litiges (ex. : la juridiction de proximité).
  • Les entreprises sont déjà disciplinées par l’un des droits les plus interventionnistes au monde.

2ème raison. L’action de groupe est un thème politiquement porteur.

3ème raison. Une volonté de faciliter l’indemnisation des consommateurs en droit de la concurrence plus spécifiquement. On veut favoriser le private enforcement, complément du public enforcement.

La loi Hamon répond au souhait des autorités de la concurrence, tant européennes que nationales, qui voient dans l’action de groupe non seulement une contribution à une meilleure indemnisation des consommateurs victimes de pratiques anticoncurrentielles, mais également le moyen de renforcer l’aspect dissuasif dans la mise en oeuvre du droit de la concurrence en faisant du consommateur un véritable acteur et un allié dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles.

L’action de groupe à la française

Le nouvel article L. 423-1 du Code de la consommation dispose que :

« Une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée peut agir devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un même professionnel à ses obligations légales ou contractuelles, – lors de la vente de biens ou de fournitures de service ou du fait de pratiques anticoncurrentielles ».

Pour savoir si les entreprises doivent craindre les actions de groupe, et dans quelle mesure, il est nécessaire de distinguer entre les actions de groupe en droit de la concurrence ou en-dehors du cadre légal, qui présentent un risque modéré et celles relatives au droit de la consommation, qui présentent un risque plus important.

I. L’action de groupe en droit de la concurrence et hors du cadre légal : un risque modéré

A. Régime spécifique de l’action de groupe en droit de la concurrence

1. Champ d’application de la procédure d’action de groupe en droit de la concurrence

La Loi Hamon étend l’action de groupe non seulement aux dommages causés à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services, mais aussi aux préjudices résultant de comportements anticoncurrentiels au sens du titre II du livre IV du Code de commerce ou des articles 101 et 102 TFUE.

Pour l’essentiel, sont donc concernées les victimes (i.e. les particuliers, les PME étant exclues) des infractions suivantes :

  • Certaines ententes horizontales portant sur des biens de grande consommation;
  • Les ententes verticales visant à augmenter artificiellement le prix de détail ;
  • Les abus de position dominante.

2. Formule du « follow-on » ou de l’action consécutive

La loi opte pour la formule de l’action consécutive (« follow-on »). La condamnation au titre de l’action de groupe n’intervient qu’après le constat de l’infraction par une autorité de concurrence ou une juridiction.

Selon l’article L. 423-17 du Code de la consommation : « la responsabilité du professionnel ne peut être prononcée dans le cadre de l’action (de groupe) que sur le fondement d’une décision prononcée à l’encontre du professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de l’Union européenne qui constate les manquements (au droit de la concurrence) ».

En subordonnant l’action à l’épuisement des voies de recours, le texte consacre la primauté du public enforcement : l’action doit en effet être introduite sur le fondement d’une décision « qui n’est plus susceptible de recours pour la partie relative à l’établissement des manquements ». Cette primauté n’empêche toutefois pas d’introduire l’action de groupe avant que la décision de l’Autorité de la concurrence soit définitive, le juge saisi devant uniquement surseoir à statuer tant que la décision de l’Autorité de la concurrence ne sera pas définitive. Par ailleurs, les recours bloquant le jugement sur la responsabilité sont ceux qui portent sur « l’établissement des manquements » et non ceux qui porteraient par exemple uniquement sur la détermination des sanctions en cas de non-contestation des griefs.

3. Le droit transitoire

L’action exercée sur le fondement du chapitre III du titre II du livre IV du Code de la consommation ne peut être introduite pour la réparation des préjudices causés par des manquements au titre II du livre IV du Code de commerce ou aux articles 101 et 102 du TFUE (1) ayant fait l’objet d’une décision constatant ces manquements, (2) qui n’est plus susceptible de recours à la date de publication de la présente loi.

4. Présomption irréfragable de faute en cas de décision de l’ADLC ou d’une autorité de concurrence d’un autre Etat membre

Le manquement du professionnel constaté par une ANC (ou la Commission) établit de manière irréfragable la faute dans le cadre du jugement sur la responsabilité : autorité absolue de chose jugée de la procédure de concurrence sur la procédure d’indemnisation.

Cette solution qui constitue une rupture par rapport au droit français classique est identique à celle retenue par la proposition de directive. Il reste cependant nécessaire d’établir le préjudice et le lien de causalité.

5. Possibilité d’exécution provisoire des mesures de publicité

Par dérogation à l’article L. 423-4, alinéa 2, du Code de la consommation, l’exécution provisoire des mesures de publicité pourra être ordonnée par le jugement portant sur la responsabilité (C. consom., art. L. 423-19).

Selon le Conseil, cette disposition ne porte pas d’atteinte à la présomption d’innocence car une mesure de publicité ne constitue pas une sanction (déc. Cons. constit. n°2014-690 DC, cons. 23). La responsabilité du professionnel a déjà été définitivement établie.

6. Interruption de la prescription de l’action civile par l’ouverture d’une procédure de concurrence

Le nouvel alinéa 4 de l’article L. 462-7 du Code de la consommation dispose que la prescription de l’action civile est interrompue par l’ouverture d’une procédure devant l’Autorité de la concurrence, une autorité nationale d’un autre État membre ou la Commission européenne, jusqu’à la date de la décision définitive.

L’interruption de la prescription concerne aussi bien l’action de groupe que l’action individuelle en réparation. Cette disposition, qui représente un changement radical du droit positif, se place dans la ligne de la proposition de directive qui prévoit un cas de suspension du fait de « tout acte d’une autorité de concurrence visant à l’instruction ou à la poursuite de l’instruction d’une infraction à laquelle l’action en dommages-intérêts se rapporte ».

7. Prescription de l’action de groupe

L’action de groupe peut être introduite dans un délai de 5 ans à compter de la date à laquelle la décision constatant le manquement n’est plus susceptible de recours (C. consom., art. L. 423-18).

B. Pourquoi l’action de groupe à la française en droit de la concurrence risque de ne pas être efficace ?

1. Exclusion des PME

La restriction quant aux personnes ayant qualité pour agir s’applique y compris au droit de la concurrence, ce qui empêche, par exemple, des PME victimes d’une pratique anticoncurrentielle d’agir conjointement. Ce choix est contraire à la recommandation de la Commission européenne qui envisage, à côté de l’action en représentation, menée par une entité représentative et agréée, l’action intentée conjointement par plusieurs personnes physiques ou morales prétendant avoir subi un préjudice dans le cadre d’un préjudice de masse.

2. Action subordonnée au public enforcement

La subordination de l’action de groupe en matière de concurrence au public enforcement va la rendre très longue à mettre en œuvre et risque en pratique de la décourager assez fortement, notamment en raison des très longs délais qu’implique cette subordination.

3. Délais de procédure

Le texte exclut du champ de la loi les affaires définitivement jugées par les ANC ou la Commission avant l’entrée en vigueur de la loi. Il est en outre nécessaire d’attendre une décision de l’ADLC, d’une ANC ou de la Commission. Enfin, comme la décision doit être définitive quant au constat de l’infraction, un délai de dix ans peut s’écouler entre la constatation de l’infraction et la fin de la procédure devant les autorités de concurrence dans une hypothèse où les parties utiliseraient l’ensemble des voies de recours à leur disposition (décision ADLC, recours devant la cour d’appel, un pourvoi, un renvoi devant une cour de renvoi, un arrêt de la cour d’appel, voire un nouveau pourvoi).

L’addition des délais pouvant être très longs de la procédure de concurrence et de la procédure de l’action de groupe est ainsi susceptible de nuire au succès de l’action de groupe.

4. Dispersion du contentieux

La dispersion des actions entre plus de 160 TGI non spécialisés risque également d’être préjudiciable alors que, en tout état de cause, la centralisation du contentieux sur une juridiction aurait été préférable.

5. Absence de traitement des principaux problèmes d’exclusion des victimes du droit à réparation

La loi ne résout pas les difficultés des actions en dommages-intérêts pour pratiques anticoncurrentielles : 6 – 7 % du montant des demandes seulement est accordé en moyenne. Elle ne tient pas compte non plus du problème de l’accès aux documents en cas de clémence, accès auquel les autorités de la concurrence ne sont pas favorables afin de protéger les demandeurs de clémence.

C. Faut-il craindre des actions de groupe en dehors du cadre légal ?

1. La tentative d’action de groupe de professionnels

La première action de groupe lancée en France depuis la loi Hamon réunit des professionnels de l’automobile et non des consommateurs. Une association professionnelle a engagé une action à l’encontre d’une marque automobile au nom des concessionnaires automobiles à la suite de la décision du concédant de retirer la marque en France. L’objectif affiché de cette association est d’obtenir un jugement qui viendrait constater la prétendue faute du concédant (qui résiderait dans la rupture brutale des relations) et permettrait ensuite aux concessionnaires lésés d’agir afin d’être indemnisés. Il s’agit d’une sorte d’action de groupe sui generis. Le droit de la distribution constitue un terrain favorable à l’initiative de substituts aux actions de groupe en dehors du strict cadre légal.

Il est reproché au concédant :

  • la déloyauté de l’annonce du retrait de la distribution de la marque ;
  • une rupture brutale des relations commerciales ;
  • une atteinte à l’image et à la considération de la profession de concessionnaire automobile.

L’association professionnelle réclame 1 € symbolique de dédommagement, mais surtout un jugement de principe sur la faute alléguée qui pourrait ensuite servir de base à des actions en dommages-intérêts.

L’association professionnelle peut-elle prétendre agir dans l’intérêt collectif des distributeurs automobiles ?

Quatre moyens principaux peuvent être invoqués en défense à cet égard :

1) Les fautes qui sont reprochées au concédant portent-elles atteinte à la profession des distributeurs automobiles en général, les concessionnaires des autres marques pouvant trouver avantage au retrait d’une marque du marché ?

2) L’association professionnelle peut-elle prétendre défendre les intérêts de tous les concessionnaires de la marque si par exemple la majorité d’entre eux ont signé des accords avec le concédant pour mettre un terme anticipé à leur contrat ?

3) Chaque rapport contractuel est différent, aucune situation n’est comparable :

РLa dur̩e du pr̩avis d̩pend de la dur̩e de la relation commerciale.

– Certains concessionnaires n’ont pas honoré toutes leurs obligations.

РCertains ont cess̩ depuis le d̩but du pr̩avis de passer des commandes ou encore ont annul̩ leurs commandes.

4) La demande de l’association professionnelle ne peut être fondée sur la législation relative à l’action de groupe dans la mesure où l’action de groupe est réservée aux associations de consommateurs.

L’association professionnelle est-elle fondée à essayer de vouloir mettre en oeuvre un mécanisme similaire à celui prévu pour l’action de groupe en tentant d’obtenir un jugement sur la responsabilité du concédant en vue de permettre ensuite aux concessionnaires de demander réparation de leur prétendu préjudice ?

Sur le fond, comme pour toute action en responsabilité civile, le demandeur doit prouver l’existence de trois éléments :

• une faute ;

• un préjudice ;

• un lien de causalité.

2. L’action groupée

L’action groupée apparaît plus dangereuse car recevable. Non seulement elle donne lieu à l’assignation simultanée d’un défendeur par plusieurs dizaines ou centaines de demandeurs, mais encore elle est applicable dans les rapports professionnels.

Ainsi, un fournisseur automobile a été assigné par plusieurs dizaines de concessionnaires (110), qui ont introduit une demande de mesures provisoires en référé pour des perpétuations de modalités contractuelles, ainsi qu’une procédure au fond.

Pour répondre à une action groupée, il est nécessaire d’opposer une défense solide et des moyens suffisants. Il doit être tenu compte également de deux facteurs :

  • La complexité procédurale de gestion peut se retourner contre les demandeurs.
  • L’assignation présente un degré de dangerosité supérieur lorsque le nombre de demandeurs est raisonnable.

II. L’action de groupe en droit de la consommation: un risque à ne pas négliger

A. Périmètre et modalités de l’action de groupe

1. Action spéciale et non générale

Cette nouvelle voie de recours offerte au consommateur pour traiter les litiges de consommation de masse est cantonnée aux seuls litiges en matière de consommation et de pratiques anticoncurrentielles.

Mais il est prévu la remise au Parlement dans un délai de 30 mois d’un rapport d’évaluation de l’action de groupe envisageant notamment « les évolutions possibles du champ d’application de l’action de groupe, en examinant son extension aux domaines de la santé et de l’environnement ».

Le champ d’application est donc certes limité, mais déjà significatif, et sera peut-être étendue par la suite.

2. Monopole d’action au profit d’une quinzaine d’associations

L’action de groupe relève de la seule compétence des associations nationales agréées de consommateurs, ce qui concerne à l’heure actuelle 16 associations. Ce choix dénote la volonté d’éviter les « dérives à l’américaine » et les actions initiées par des concurrents du défendeur en vue de le déstabiliser. Le décret précise que l’assignation devra sous peine de nullité être accompagnée de la copie de l’arrêté d’agrément de l’association. Il convient de noter que la réservation de l’action aux associations françaises pourrait être contestée au regard du principe de non-discrimination du droit européen.

Les exigences de statut et de l’objet social de ces associations, à savoir la défense de l’intérêt collectif des consommateurs, doivent être respectées. Cette action n’est donc pas ouverte aux particuliers, aux associations ad hoc ou aux avocats. L’association qui est sollicitée peut ne pas y donner suite, puisqu’elle dispose d’une liberté d’appréciation pour engager ou non l’action. Mais une invitation des associations à agir notamment pour des raisons médiatiques.

3. Action réservée aux consommateurs, personnes physiques, placés dans des situations similaires

L’action de groupe vise la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs, personnes physiques uniquement, placés dans une situation de fait et de droit identiques ou largement similaires, et ayant pour cause commune un manquement d’un même professionnel à ses obligations légales ou contractuelles.

Le consommateur se définit aux termes d’un article préliminaire inséré avant le livre Ier du code de la consommation comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » (L. n° 2014-344, art. 3), ce qui représente un groupe conséquent, même s’il comporte certaines limites.

4. Préjudice matériel uniquement

Seule la réparation des préjudices patrimoniaux résultant de dommages matériels subis par les consommateurs peut permettre l’exercice de l’action (C. consom., art. L. 421-1, al. 4). Le préjudice ne peut être corporel ou moral. Prendre en compte des dommages autres que matériels nécessiterait en effet de procéder à une évaluation individuelle de ces dommages, ce qui relève davantage d’une action civile ou pénale. Le dommage matériel peut être notamment un manque à gagner ou une perte d’argent.

5. Compétence des TGI, non spécialisés

Si initialement le projet de loi prévoyait que seuls seraient compétents les tribunaux de grande instance spécialement désignés, cette restriction a été supprimée dans la version définitive du texte.  En effet, la loi Hamon introduit dans le Code de l’organisation judicaire le nouvel article L. 211-15, qui prévoit que « les tribunaux de grande instance […] connaissent des actions de groupe […] ». La compétence d’un grand nombre de tribunaux présente un risque de forum shopping. Le décret précise que el TGI compétent est celui où demeure le défendeur, le TGI de paris étant compétent lorsque le défendeur demeure à l’étranger ou n’a ni domicile ni résidence connus.

6. Procédure en 3 temps sur la base d’un principe d’opt in

Première phase (contentieuse) : saisine et jugement sur la responsabilité

Saisine du TGI par l’association : une association introduit l’action pour le compte d’un ensemble de consommateurs (le groupe), qui sont placés dans une situation identique ou similaire, et qui subissent des préjudices individuels du fait d’un même professionnel. L’association fournit à l’appui de sa demande quelques cas individuels qui permettront au juge de trancher.

Le TGI statue sur la responsabilité du professionnel, au vu des cas individuels présentés par l’association requérante. Il définit le groupe des consommateurs à l’égard desquels la responsabilité du professionnel est engagée et en fixe les critères de rattachement. Il détermine les préjudices susceptibles d’être réparés pour chaque consommateur ou chacune des catégories de consommateurs constituant le groupe qu’il a défini, ainsi que leur montant ou tous les éléments permettant l’évaluation de ces préjudices. Il fixe enfin le délai dans lequel doit intervenir la réparation des préjudices. À tout moment de la procédure, le juge peut ordonner toute mesure d’instruction nécessaire à la conservation des preuves et de production de pièces, y compris celles détenues par le professionnel.

S’il juge que la responsabilité du professionnel est engagée, le juge ordonne dans cette même décision, les mesures adaptées pour informer de cette décision les consommateurs susceptibles d’appartenir au groupe et de le rejoindre effectivement. Mais cette publicité ne pourra se faire qu’au terme de l’examen des voies de recours que peut former le professionnel défendeur. Cette première phase, contentieuse, se déroule en dehors des consommateurs victimes. Une fois que le principe de la responsabilité du professionnel est définitif (ce qui peut prendre des années), s’ouvre la deuxième phase de la procédure.

Deuxième phase (non contentieuse) : mécanisme d’opt in des consommateurs – opt in dans le bénéfice d’une décision plutôt que dans une action –

Les mesures de publicité à la charge du professionnel sont exécutées afin de porter l’existence de la décision à la connaissance des consommateurs dont la situation correspond aux critères de rattachement du groupe. Ils disposent d’un délai déterminé dans la décision de responsabilité pour adhérer au groupe, entre 3 mois minimum et 6 mois maximum après l’achèvement des mesures de publicité (C. consom., art. L. 423-5).

Troisième phase : liquidation des préjudices

Les consommateurs membres du groupe ayant manifesté leur volonté d’y adhérer sont indemnisés individuellement par le professionnel, dans les conditions prévues au jugement de responsabilité. Le TGI qui a prononcé le jugement sur la responsabilité est compétent pour statuer sur les difficultés d’exécution.

7. Intervention à la marge de l’avocat

Si l’association de consommateurs a le monopole de l’action de groupe et a seule qualité pour agir, un avocat représentera néanmoins l’association devant le juge. Cette solution se déduit du juge compétent – le TGI – devant lequel l’intervention d’un avocat est obligatoire, mais aussi de la technicité des débats que l’on peut deviner. Les personnes appartenant à une profession judiciaire réglementée pourront assister l’association avec l’autorisation du juge, notamment pour la réception des demandes d’indemnisation. Le décret précise que les professions judiciaires réglementées auxquelles appartient la personne que les associations peuvent s’adjoindre sont les avocats et les huissiers de justice. Si les avocats ne seront pas les maîtres de l’action, ils joueront un rôle essentiel tant en demande, pour les associations, qu’en défense, pour les professionnels.

8. Faculté de recours à une procédure d’action de groupe simplifiée

Outre l’action de groupe classique à la française, le législateur a introduit également une action de groupe simplifiée lorsque les consommateurs sont identifiés et ont subi un préjudice d’un même montant.

Deux conditions doivent être remplies :

– L’identité et le nombre des consommateurs doivent être connus ;

– ils doivent avoir subi un préjudice d’un même montant (C. consom., art. L. 423-10 : il peut s’agir également d’un montant identique par prestation rendue ou d’un montant identique par référence à une période ou une durée).

La procédure est plus simple puisqu’il est inutile de procéder à une diffusion générale de l’information, car les victimes sont déjà identifiés, ou de renvoyer à plus tard la détermination du préjudice, car il est déjà connu. Le jugement prononçant la responsabilité peut condamner le professionnel à indemniser directement et individuellement chaque consommateur. Les victimes sont informées afin qu’elles puissent décider d’accepter ou non l’indemnisation prévue dans le jugement.

9. Médiation encouragée

L’association peut participer à une médiation afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels mais comme dans le droit commun, ce recours à la médiation est facultatif et possible à tout moment. Une fois l’accord négocié obtenu, celui-ci doit être homologué par le juge afin de lui donner force exécutoire ; c’est là un changement notable par rapport au droit commun où l’homologation n’est que facultative et permet surtout au juge de vérifier que l’intérêt du consommateur n’a pas été lésé par cet accord. Cette disposition fait écho à celle du nouvel article L. 133-4 du Code de la consommation qui impose lors de la conclusion de tout contrat écrit, que le consommateur soit informé par le professionnel de la possibilité de recourir, en cas de contestation, à une procédure de médiation conventionnelle ou à tout autre mode alternatif de règlement des différends.

10. Entrée en vigueur au 1er octobre 2014

L’article L. 423-2 du Code de la consommation prévoit que « l’action de groupe est introduite selon les modalités fixées par décret ». Le décret relatif à l’action de groupe en matière de consommation est paru le 26 septembre 2014 et prévoit qu’il entrera en vigueur le 1er octobre. Une course des associations va sans doute s’engager pour être la première ou parmi les premières à avoir lancé l’action.

B. Les moyens de défense pouvant être opposés à une action de groupe

1. Contester l’application du mécanisme de l’action de groupe

a. Absence de situation similaire ou identique des consommateurs concernés et/ou absence de cause commune du dommage invoqué

Il s’agit de deux critères flous, sujets à discussion, qui pourraient donner lieu à des divergences d’interprétation selon les tribunaux saisis. En matière d’après-vente notamment, on peut avancer qu’un jugement unique sur la responsabilité ne saurait être rendu, car les situations de fait et de droit sont toutes différentes. Un même défaut n’a pas forcément la même cause ! En cas de responsabilité du fait des produits, le raisonnement par analogie est notamment interdit.

b. Exclusion des non-consommateurs

Avant le livre Ier du Code de la consommation, il est ajouté un article préliminaire ainsi rédigé : «Au sens du présent code, est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale».

Un agriculteur est-il un consommateur ? Quid de la voiture achetée pour un usage mixte par un membre d’une profession libérale ? A priori elle ne devrait pas être incluse dans une action de groupe, sauf si l’usage professionnel est très accessoire.

c. Exclusion des dommages non matériels

En limitant la réparation aux dommages matériels, le texte exclut par voie de conséquence les dommages corporels ou moraux. Le consommateur ne pourra donc réclamer de dommages-intérêts pour de tels dommages. Il faut donc veiller à contester toute demande en ce sens. En après-vente, cette condition est déterminante : dans les pures situations de droit de la consommation, comme dans des hypothèses de ventes de produits avariés ou périmés, ou encore à travers la vente de produits dangereux ou de produits défectueux, les dommages matériels sont souvent moins importants que les dommages corporels ou moraux.

d. Contestation de la qualité d’un consommateur à bénéficier du rattachement au groupe défini par le jugement

Le juge définit le groupe de consommateurs à l’égard duquel la responsabilité du professionnel est engagée. Il fixe ainsi les critères de rattachement ainsi que le délai dont disposent les consommateurs pour adhérer au groupe. Par conséquent, le professionnel au regard de la décision rendue par le juge dispose de tous les outils pour contester l’adhésion de chacun des consommateurs :

  • en ce qu’il ne correspond pas aux critères d’adhésion au groupe ;
  • en ce qu’il n’a pas adhéré dans le délai fixé.

2. Les défenses au fond

a. Contestation du manquement invoqué

L’origine du préjudice trouve sa source dans la faute d’un professionnel.

Ce manquement doit concerner :

  • soit une obligation résultant d’un texte législatif ou réglementaire (par exemple l’information du consommateur, la conformité ou à la sécurité des produits) ;
  • soit une obligation contractuelle. Ainsi, le professionnel peut contester avoir commis un quelconque manquement à ses obligations, légales ou contractuelles.

b. Contestation du préjudice invoqué et du lien de causalité

L’action de groupe est soumise au droit commun de la preuve. En outre, le manquement du professionnel doit être la cause génératrice du dommage subi par chaque consommateur et le professionnel pourra invoquer l’une des causes générales d’exonération (force majeure, fait d’un tiers, fait de la victime). Il faut contester la nature du préjudice invoqué, ainsi que son quantum.

c. Recours contre le jugement sur la responsabilité

Le professionnel peut interjeter appel contre le jugement statuant sur sa responsabilité. Il peut ainsi contester tous les éléments du jugement, comme dans le cadre de toute autre procédure, notamment :

– l’étendue de sa responsabilité ;

– la définition du groupe de consommateurs ;

– les préjudices susceptibles d’être réparés, ainsi que leur montant ou les éléments permettant l’évaluation de ces préjudices.

d. Contestation du droit de telle ou telle victime à être indemnisée au fond, par exemple en raison d’une faute de sa part

Le professionnel peut invoquer le fait de la victime pour échapper à sa responsabilité. Attention : les causes d’exonération s’apprécieront au regard des textes qui régissent telle ou telle action en justice Ainsi, si on se réfère à l’action en responsabilité du fait des produits défectueux, l’article1386-11 du Code civil prévoit que le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve certaines circonstances telle que le fait qu’il n’avait pas mis le produit en circulation, que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d’ordre législatif ou réglementaire.

e. Inapplicabilité aux actions de rappel

L’action de groupe ne devrait pas s’appliquer automatiquement pas aux actions de rappel. Un rappel n’implique pas qu’il existe nécessairement un défaut. Il s’agit d’une simple prévention. Un million de produits rappelés n’implique pas l’existence d’un million de produits défectueux.

L’action de groupe vient s’ajouter aux autres types d’actions susceptibles d’être engagées à l’encontre des entreprises qui enfreignent les règles de la concurrence. Les entreprises doivent donc impérativement être sensibilisées à ce sujet. Pour autant, il ne faut pas craindre de la même manière les actions de groupe en matière de concurrence et en matière de consommation, ces dernières étant bien davantage susceptibles d’aboutir dans des délais raisonnables.

Conclusion :

Même si la fréquence des actions de groupe sera beaucoup plus limitée en France qu’aux Etats-Unis, certaines entreprises en feront l’objet. Il est donc très important de bien évaluer le risque et s’il est avéré, de s’y préparer, aussi bien du point de vue juridique que médiatique.

Cf. Décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en matière de consommation