Estimant abusifs les contrats que Carrefour propose à ses fournisseurs, le ministre de l’Economie saisit le juge sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce. Sur les cinq stipulations dénoncées, le tribunal n’en déclare illicite qu’une seule (T. com. Evry, 26 juin 2013, LawLex20140000769JBJ). La cour d’appel étend la sanction à trois autres clauses, enjoint au distributeur de ne plus les utiliser et lui inflige une amende civile (Paris, 1er oct. 2014, LawLex20140000993JBJ).

Au soutien de son pourvoi, Carrefour reproche aux juges du fond d’avoir analysé des contrats-types et la structure générale du secteur de la distribution, sans examiner concrètement les contrats effectivement conclus avec des fournisseurs, au pouvoir de négociation très hétérogène. Cependant, la cour d’appel n’a été saisie que des clauses du contrat-type. En outre, Carrefour n’a pas soutenu devant elle que des fournisseurs avaient pu négocier la suppression de clauses. Elle a donc caractérisé l’existence d’un déséquilibre par référence à la structure du secteur de la distribution alimentaire en France plutôt qu’à des situations concrètes, d’autant que le texte sanctionne aussi bien la soumission que la tentative de soumission à des conditions déséquilibrées.

L’enseigne nie par ailleurs le déséquilibre de la clause qui lui permet, sans avoir à se justifier, d’annuler et refuser une commande en cas de retard de livraison et d’obtenir une indemnisation. Toutefois, elle ne s’engage parallèlement qu’à s’efforcer de respecter les horaires convenus et n’indemnise le préjudice des fournisseurs qu’à l’issue d’une négociation préalable, alors que ses contrats déterminent d’emblée la pénalité applicable à ces derniers. L’absence de réciprocité et la disproportion entre les obligations des partenaires apparaissent clairement.

Carrefour défend encore la licéité de la clause de cadencement des livraisons en fonction des dates limites de consommation (DLC) et d’utilisation optimale (DLUO), qui lui permet de refuser des produits dont les DLC et DLUO sont identiques à celles d’une livraison précédente.

Or, une telle clause l’autorise à refuser des livraisons conformes au contrat dans lequel les parties ont fixé les délais nécessaires à une vente optimale des produits frais. En outre, contrairement à la livraison de produits dont les dates sont antérieures à celles d’une précédente livraison, celle de produits dont les dates sont identiques ne désorganise pas les stocks du distributeur. La clause impose donc au fournisseur des obligations disproportionnées, justifiées ni par des impératifs de sécurité et de fraîcheur, ni par des contraintes logistiques.

Enfin, selon le distributeur, le juge ne peut apprécier le caractère déséquilibré d’une clause en la confrontant à une stipulation contenue dans un autre contrat. La cour d’appel violerait ainsi l’article L. 442-6, par une appréciation exagérément globale des droits et obligations des parties, en comparant les délais de paiement à 30 jours imposés aux fournisseurs pour le paiement des services prévus par le contrat de coopération commerciale et ceux à 45 jours dont bénéficie le distributeur pour régler ses commandes en vertu des contrats de vente. La Cour de cassation ne partage pas cet avis : à l’issue de l’analyse de l’économie générale du contrat-type, la cour d’appel a justement estimé que ses clauses créaient un solde de trésorerie au profit du distributeur, source de déséquilibre pour les fournisseurs. Le fait que les délais de paiement en cause concernent des obligations distinctes n’exerce aucune influence sur cette appréciation.

L’arrêt commenté apporte de nombreuses clarifications mais laisse en suspens un certain nombre de questions, sur lesquelles une prise de position du juge aurait été utile. La Cour a en effet dû ignorer un certain nombre d’arguments que Carrefour n’avait pas développés en appel. La preuve que certains fournisseurs disposaient d’une puissance économique leur permettant de résister aux pressions du distributeur aurait-elle permis d’exonérer partiellement ce dernier ? La stipulation que les délais de livraison constituent une obligation de résultat, déterminante du consentement du distributeur, et que le fournisseur intègre le risque de payer des pénalités dans son prix de vente aurait-elle été apte à rétablir un équilibre entre les partenaires ? La sanction de la clause par laquelle le distributeur peut refuser la livraison de produits portant une date identique à celle de produits déjà livrés porterait-t-elle atteinte à sa liberté de définir les caractéristiques des produits qu’il entend acheter et par conséquent à sa liberté contractuelle ?


Cour de cassation – Chambre commerciale – 4 octobre 2016 – LawLex201600001635JBJ