Deux affaires récentes précisent la marge de manœuvre de la tête de réseau qui souhaite se séparer d’un distributeur, qui continue de remplir les critères de sélection.

Dans la première (LawLex201500001190JBJ), l’animateur d’un réseau de montres de luxe  notifie au distributeur agréé la résiliation ordinaire de son contrat, en lui accordant le bénéfice du préavis contractuel de six mois. Dans la seconde (LawLex201500001240JBJ), un fabricant de parfums et de produits de toilette, lié à son distributeur par un contrat à durée déterminée d’une année, informe ce dernier du non-renouvellement du contrat à son échéance annuelle, plus de deux mois avant celle-ci, conformément aux stipulations contractuelles. Dans les deux affaires, les distributeurs dénoncent la décision de rupture, soutenant qu’elle ne pouvait intervenir alors qu’ils satisfaisaient toujours aux critères d’agrément.

Des décisions anciennes semblaient appuyer leurs prétentions. La Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité d’un fabricant qui avait refusé de renouveler le contrat de son distributeur, en dehors de toute réorganisation du réseau et sans qu’aucune violation des critères de sélection n’ait pu lui être imputée (Cass. com., 27 avr. 1993, LawLex200205989JBJ). La Cour d’appel de Paris a par ailleurs validé un système de distribution sélective en relevant que le renouvellement du contrat était « de droit » pour les distributeurs qui se trouvaient en conformité avec les critères de sélection (Paris, 25 octobre 1991, LawLex200204424JBJ).

Ces solutions appartiennent au passé. La première se fondait sur la prohibition du refus de vente entre professionnels, qui ne pouvait être justifié que par un motif légitime, tel le non-respect de l’agrément. Or, la loi Galland du 1er juillet 1996 a abrogé cette incrimination : un fournisseur peut désormais refuser de livrer un distributeur sans motiver sa décision.  La seconde datait d’une époque de fort interventionnisme judiciaire, aujourd’hui révolue. Conformément au règlement restrictions verticales, en dessous de 30 % de part de marché et en l’absence de restrictions caractérisées, un fournisseur organise et gère son réseau comme il l’entend.

Grâce aux litiges qui lui sont soumis, la cour d’appel affirme une série de principes conformes à l’analyse moderne du droit de la concurrence qui vise avant tout à assurer l’efficience des réseaux sélectifs.

Selon la cour, d’abord, l’existence d’une discrimination dans la mise en Å“uvre des critères de sélection ne peut être appréciée qu’aux stades de l’agrément au sein du réseau et de l’exécution du contrat, mais non au moment de sa rupture. Ainsi, la résiliation avec préavis d’un contrat de distribution sélective ne peut être qualifiée en soi de pratique discriminatoire : elle ne traduit que l’exercice du droit à mettre fin à tout engagement, en vertu du principe de prohibition des conventions perpétuelles (LawLex201500001190JBJ). Du reste, à supposer même qu’une telle pratique présente un caractère discriminatoire, elle serait exemptée dès lors que le fabricant détient moins de 30 % de part de marché (V. dans le même sens, Paris, 22 janv. 2014, LawLex20140000135JBJ ; 19 sept. 2014, LawLex20140000945JBJ). La cour consacre non seulement la faculté de résiliation ordinaire dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée mais aussi le droit au non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée (V. déjà, Paris, 29 janv. 2014, préc.). La faculté contractuelle de ne pas renouveler la convention n’a pas à être motivée, de sorte que le respect ou non par le distributeur des conditions d’agrément est « inopérant » (LawLex201500001240JBJ).

Ces arrêts, fondamentaux, confortent très clairement le droit de la tête de réseau de mettre un terme à un contrat de distribution sélective sans avoir à justifier d’une réorganisation ou d’une faute particulière du distributeur, dès lors qu’elle accorde un préavis. En décider autrement priverait les têtes de réseaux de distribution sélective d’une faculté de résiliation ordinaire ou de non-renouvellement des contrats à durée déterminée qui existe dans tous les autres types de contrats, ce qu’aucune spécificité de la distribution sélective ne justifie.

Enfin, la cour relève, à titre surabondant, que le principe de la liberté contractuelle dispense le fournisseur de l’obligation de conclure un contrat de distribution sélective avec tout distributeur remplissant les critères de sélection.


Cour d’appel de Paris – 30 septembre 2015 et 7 octobre 2015