Le 15 octobre 2020, la Cour d’appel de Paris a porté un nouveau coup à la force obligatoire des contrats et à la sécurité juridique des entreprises. Dans cet arrêt regrettable, la cour ne se contente pas de réaffirmer la position critiquable déjà exprimée en 2015 et approuvée par la Cour de cassation en 2017, selon laquelle le juge peut s’immiscer dans les conventions librement conclues par des professionnels pour contrôler l’adéquation du prix ou de la rémunération convenue à la chose ou à la prestation (Paris, 1er juillet 2015, LawLex201500000874JBJ ; Cass. com., 25 janvier 2017, LawLex201700000176JBJ), mais étend son champ d’application à d’autres domaines que ceux auxquels elle semblait limitée.

Ce contrôle prend appui sur les dispositions de l’article L. 442-1, I, 2° (ancien art. L. 442-6, I, 2°) du Code de commerce en vertu duquel engage la responsabilité de son auteur le fait de « soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Ces dispositions sont similaires à celles de l’article L. 212-1 du Code de la consommation, selon lesquelles « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » ou de l’article 1171 du Code civil qui prévoient que « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

A la différence du texte du Code de commerce, ceux du Code de la consommation et du Code civil tempèrent la portée du contrôle des clauses abusives en précisant que « l’appréciation du caractère abusif des clauses […] ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert […] » (C. consom.) ou que « l’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation » (C. civ.).

Dans son arrêt du 25 janvier 2017, la Cour de cassation, approuvant l’arrêt d’appel, avait estimé que « la similitude des notions de déséquilibre significatif prévues aux articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du Code de la consommation et L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, relevée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, n’exclut pas qu’il puisse exister entre elles des différences de régime tenant aux objectifs poursuivis par le législateur dans chacun de ces domaines, en particulier quant à la catégorie des personnes qu’il a entendu protéger et à la nature des contrats concernés ; qu’ainsi, l’article L. 442-6, I, 2° précité, qui figure dans le Livre quatrième du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et au Chapitre II du Titre IV, dédié aux pratiques restrictives de concurrence, n’exclut pas, contrairement à l’article L. 212-1 du Code de la consommation, que le déséquilibre significatif puisse résulter d’une inadéquation du prix au bien vendu » et affirmé que « l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Saisi d’une QPC, le Conseil constitutionnel a conforté le contrôle judiciaire du prix (Cons. constit., 30 novembre 2018, LawLex201800001830JBJ).

Cette solution a été quasi-unanimement critiquée. Pourquoi accorder aux professionnels une protection que même le droit de la consommation refuse aux consommateurs ? Comment concilier ce contrôle avec le principe de la liberté des prix consacré à l’article L. 410-2 du Code de commerce ?

Très légère consolation : la solution semblait, pour une partie de la doctrine, limitée aux relations fondées sur la convention écrite imposée par les actuels articles L. 441-3 et suivants (anciens art. L. 441-7). La Cour de cassation justifiait en effet le contrôle du prix par le fait que « la loi du 4 août 2008, en exigeant une convention écrite qui indique le barème de prix tel qu’il a été préalablement communiqué par le fournisseur, avec ses conditions générales de vente, a entendu permettre une comparaison entre le prix arrêté par les parties et le tarif initialement proposé par le fournisseur ; qu’il suit de là que l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 15 octobre 2020, les relations en cause ne concernaient pas la distribution de produits et de services, mais une activité de conseil et services en gestion. Elles ne relevaient dès lors pas du mécanisme de la convention écrite et du champ du contrôle du prix par le juge. Ceci n’a pas empêché la Cour d’appel de Paris d’estimer que le défendeur à l’action en déséquilibre significatif « ne peut pas utilement invoquer les dispositions de l’article L. 410-2 du Code de commerce qui posent comme principe que les prix des biens, prestations et services sont librement déterminés par le jeu de la concurrence pour exclure l’adéquation du prix du champ d’application de l’article L. 442-6 du code de commerce » et de se livrer au contrôle requis pas le demandeur. En l’occurrence, la rémunération critiquée n’a pas été jugée déséquilibrée, car le demandeur se fondait sur une unique prestation effectuée par son partenaire pour conclure au déséquilibre alors que ce dernier remplissait plusieurs autres fonctions entrant dans l’assiette de cette rémunération.

Cet arrêt, qui confirme l’extension du champ du contrôle du prix au titre du déséquilibre significatif, implique que les entreprises fassent preuve de la plus grande vigilance lors de la détermination des prix pratiqués à l’égard d’autres professionnels. Quel que soit leur domaine d’activité, elles ne sont désormais plus à l’abri d’une action en responsabilité ou en nullité sur le fondement de l’article L. 442-1, I, 2° et peuvent se voir imposer de justifier de leurs modes de calcul. Le principe de la liberté des prix proclamé par l’ordonnance du 1er décembre 1986 semble de plus en plus un lointain souvenir…