Depuis l’arrêt Pierre Fabre (CJUE, 13 octobre 2011), il ne fait plus de doute qu’une interdiction de vente sur Internet dans un contrat de distribution sélective est susceptible de constituer une restriction « par objet » contraire à l’article 101, § 1, TFUE, sauf  justification objective tenant aux propriétés du produit. Une telle clause peut également bénéficier d’une exemption individuelle, mais la rigueur des conditions posées par l’arrêt semblait rendre l’exemption des plus hypothétiques (Pour en savoir plus, cf. Louis VOGEL, La distribution par Internet après l’arrêt Pierre Fabre, Concurrences, n°1-2012).  Un arrêt Bang & Olufsen du 13 mars 2014 de la Cour d’appel de Paris laisse peut-être entrevoir une évolution.

L’affaire débute en 2002 avec la saisine, à l’époque, du Conseil de la concurrence par le ministre de l’Économie, de pratiques limitant, voire interdisant la vente sur Internet dans le secteur de la distribution sélective de matériels hi-fi et home cinéma. Trois des quatre sociétés concernées par l’évaluation préliminaire ont accepté de souscrire à une procédure d’engagements. Close à l’égard de ces sociétés, la procédure s’est en revanche poursuivie pour Bang & Olufsen (B&O), finalement condamnée par l’Autorité de la concurrence à verser 900 000 euro d’amende, pour avoir interdit de facto à ses distributeurs de vendre ses produits sur Internet, par l’effet de la combinaison des termes du contrat de distribution et d’une circulaire (Cf. AdlC, 12 décembre 2012, 12-D-23). Un appel est formé devant la Cour d’appel de Paris.

  • Une application de la jurisprudence Pierre Fabre

La cour d’appel relève une entente verticale entre B&O et ses distributeurs, caractérisée par l’existence d’un accord de volontés qui résulte à la fois du contrat européen de distribution sélective et d’un ensemble factuels, dont le comportement des parties, preuve étant ainsi faite de l’acquiescement tacite des distributeurs à l’invitation de leur fournisseur à ne pas vendre sur Internet. La cour rappelle qu’une telle prohibition au sein d’un réseau de distribution sélective constitue une restriction de concurrence par objet, « en ce qu’elle réduit la possibilité [pour les distributeurs] de vendre des produits aux clients situés hors de leur zone d’activité et restreint par voie de conséquence la concurrence dans le secteur considéré ».

  • Une possibilité d’exemption individuelle eu égard à la nature complexe des produits concernés par l’interdiction de vente en ligne ?

B&O invoquait le bénéfice de l’exemption individuelle en application des articles 101, par. 3, TFUE et L. 420-4 du Code de commerce, laquelle nécessite la réunion de quatre conditions cumulatives. Selon le premier texte, la pratique doit «contribue[r] à améliorer la production ou la distribution des produits ou promouvoir le progrès technique ou économique [1], tout en réservant aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte [2], sans imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs [3], ni donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause d’éliminer la concurrence [4] ». S’agissant de la 3econdition, les lignes directrices précisent que l’accord restrictif doit s’abstenir d’imposer des restrictions qui ne sont pas indispensables à la réalisation des gains d’efficacité suscités par l’accord en cause.

En l’espèce, B&O soutenait que l’interdiction de vendre sur Internet viserait à protéger le réseau d’actes de concurrence parasitaires, dans la mesure où la vente en ligne « renforcerait l’asymétrie financière entre les distributeurs B&O » et « déstabiliserait le maillage territorial des magasins ». La cour d’appel répond que B&O ne démontre pas en quoi d’autres alternatives moins restrictives que l’interdiction totale et absolue sur Internet, n’affaibliraient pas le risque de parasitisme. Selon la cour, des produits peu chers et faiblement élaborés B&O « peuvent particulièrement se prêter à la vente sur Internet en ce que, à la différence de produits complexes de la gamme, ils ne nécessitent pas dans tous les cas une démonstration en magasins », ni « de coûts de stockage ou de distribution importants », ce qui diminuerait pour les distributeurs les investissements nécessaires à la création d’un site Internet tout en réduisant le risque de parasitisme allégué. Dans la mesure où B&O a imposé « des restrictions non indispensables au maintien d’un réseau de distribution efficient », la cour écarte le bénéfice de l’exemption individuelle.

Si l’on interprète a contrario la motivation de la cour, il semble en ressortir que l’exemption individuelle aurait pu être accordée (en l’espèce), si l’interdiction de vente sur Internet n’avait visé que des produits élaborés et chers de la gamme nécessitant une démonstration en magasin, à condition, bien entendu, que les autres conditions de l’exemption aient été réunies. La cour d’appel, en prenant en considération la nature des produits, adopte ici un raisonnement qui rappelle celui de l’arrêt Pierre Fabre qui a retenu l’existence d’une justification objective tenant aux propriétés du produit (mais au titre de l’article 101, par. 1, TFUE). Existerait-il une possibilité de rachat du comportement du fournisseur au regard des articles 101, par 3, TFUE et L. 420-4, compte tenu de la nature complexe des produits interdits de vente sur Internet ? L’existence de possibilités d’exception à la prohibition de l’interdiction de la vente par Internet est évidemment souhaitable pour permettre la protection de l’image de prestige du produit, particulièrement déterminante en matière de distribution sélective. L’avenir nous dira si l’approche de la Cour d’appel de Paris est confirmée.

  • Une amende très fortement réduite

L’arrêt se distingue également par l’ampleur de la diminution du montant de l’amende prononcée par l’Autorité de la concurrence. Invoquant le caractère excessif et disproportionné de la sanction, dans un contexte de grande incertitude juridique qui a nécessité d’interroger la Cour de justice à titre préjudiciel pour trancher la question de la qualification de restriction par objet d’une interdiction de vente sur Internet dans le cadre d’un contrat de distribution sélective, Bang & Olufsen a finalement été entendue par la Cour d’appel. Estimant que l’infraction n’était opposable à B&O qu’à compter (seulement) de l’arrêt Pierre Fabre, les juges parisiens ont ramené le montant de la sanction pécuniaire de 900 000 à 10 000 euro.