En France, un rapport parlementaire présenté à la presse de l’Assemblée nationale le 10 juin 2020 vient de dresser un bilan décevant des actions de groupe (AN, rapport d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, n° 3085, 11 juin 2020). Depuis leur introduction en droit français par la loi Hamon en 2014 (en matière de consommation et de concurrence), seulement 21 actions de groupe ont été initiées en France, en dépit de leur élargissement à la santé, à l’environnement, à la discrimination et aux données personnelles en 2016 et à la location immobilière en 2018.

14 ont été formées dans le domaine de la consommation, 3 en matière de santé, 2 ont concerné les discriminations, 2 les données personnelles et 0 la concurrence. 3 procédures ont abouti à une transaction, 6 ont été rejetées pour irrecevabilité ou défaut de fondement et les autres sont toujours en cours et souvent engluées procéduralement. Les rapporteurs, Philippe Gosselin et Laurence Vichnievsky, formulent 13 propositions pour relancer l’action de groupe en France.

Au niveau européen, le Parlement européen et les Etats membres ont trouvé le 22 juin 2020 un accord politique sur la création d’actions de groupe européennes (Communiqué de presse du Parlement européen, 23 juin 2020). Seuls 19 Etats membres sur 27 se sont dotés à ce jour d’un mécanisme d’action de groupe. Le projet a donné lieu à d’intenses débats. L’UFC Que Choisir s’est d’ores et déjà félicitée de l’adoption à venir d’une directive européenne sur les recours collectifs.

Les deux textes suscitent une certaine inquiétude d’un point de vue juridique compte tenu des défauts techniques des mesures annoncées et des risques accrus qu’elles vont faire peser sur les entreprises alors que le bilan limité des actions de groupe s’explique par des raisons objectives compte tenu notamment du droit positif particulier de la France et des autres Etats membres.

Sommaire :

I. Le projet français

1. La facilitation tous azimuts des actions de groupe.

2. L’augmentation des indemnités.

3. Une plus grande efficacité des procédures.

4. L’appréciation d’un décalage entre les mesures proposées et la pratique des actions de groupe.

II. Le projet européen

5. Une initiative positive dans ses objectifs mais techniquement ni faite ni à faire.

I. Le projet français

1. La facilitation tous azimuts des actions de groupe.

Le rapport parlementaire envisage de conférer à toutes les actions de groupe aujourd’hui dispersées dans différents textes un cadre juridique commun. Alors que l’initiative des actions de groupe est réservée à une quinzaine d’associations agréées, il est prévu de donner qualité à agir aux associations dont l’objet social inclut l’objet du litige et ayant au moins deux ans d’existence ainsi qu’aux associations ad hoc composées d’au moins 50 personnes physiques ou d’au moins 10 entreprises constituées sous la forme de personnes morales et ayant au moins deux ans d’existence. Il serait possible, pour les personnes morales de droit privé ou de droit public, d’intenter une action de groupe par l’intermédiaire d’une association et celles-ci pourraient faire de la publicité sur ces actions.

2. L’augmentation des indemnités.

Outre le principe de réparation intégrale, le projet envisage un article 700 CPC plus conséquent à hauteur des sommes réellement engagées et la prise en charge des dépens par le Trésor public en cas d’échec, avec une sanction civile à l’égard du professionnel, consistant dans la confiscation d’une fraction de son chiffre d’affaires au profit du Trésor public.

3. Une plus grande efficacité des procédures.

Outre l’institution d’un registre des actions de groupe, le projet envisage une suppression de l’obligation de mise en demeure préalable pour certains types d’actions de groupe, le prononcé de mesures provisoires par le JME, une spécialisation des tribunaux et une intervention plus fréquente du Parquet.

4. L’appréciation d’un décalage entre les mesures proposées et la pratique des actions de groupe.

Les véritables raisons du caractère limité des actions de groupe résident en réalité dans une multitude de facteurs sans rapport avec les postulats du rapport : le fait que notre droit prévoit déjà une multitude de réglementations ex ante qui rendent moins utiles ou nécessaires des mesures ex post, l’existence d’outils beaucoup plus souples comme les actions groupées (Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81.147), l’utilisation de l’action de groupe pour des procédures irrecevables (Cass. 1re civ., 19 juin 2019, n° 18-10.424) ou manifestement mal fondées (TJ Versailles, 2e ch., 4 juin 2020, n° 15/10221). Dans ces conditions, les mesures envisagées paraissent à la fois discutables et disproportionnées.

II. Le projet européen

5. Une initiative positive dans ses objectifs mais techniquement ni faite ni à faire.

Il est tout à fait judicieux de vouloir harmoniser les actions de groupe au niveau européen. L’Europe constitue en effet à la fois la traduction d’une volonté politique des citoyens européens de vivre ensemble en partageant des valeurs communes et un grand marché ayant impérativement besoin de règles harmonisées. Comme souvent, le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. L’instrument juridique choisi, la directive, aboutira comme d’habitude à maintenir ou à créer 27 droits différents. Le projet risque d’être d’une complexité redoutable. Pour les actions transfrontalières, les critères de l’action de groupe seront harmonisés si l’on en croit le communiqué de presse du Parlement européen. En revanche, pour les actions nationales, les Etats membres fixeront eux-mêmes les critères en cohérence avec les objectifs de la directive. Les entreprises risquent donc d’être confrontées à 28 régimes différents, un régime unifié transfrontières et 27 régimes nationaux. Il est grand temps de mettre fin à ce type de demi-mesures et de prendre les problèmes à bras le corps. La directive, instrument juridique obsolète et contre-productif, devrait être abandonnée au profit du règlement, seul moyen d’instituer un régime juridique unifié et efficient.