Ce billet de blog fait suite à notre article du 30 octobre 2013 relatif à la reprise des actifs de Seafrance par Eurotunnel, dans lequel nous déplorions le risque encore (trop) élevé de conflit de décisions susceptible d’affecter les concentrations transfrontalières au sein de l’Union. Pour remédier à ces divergences d’appréciation survenues en l’occurrence entre autorités françaises et britanniques ayant pourtant coopéré et fait application de règles de fond analogues à une même concentration transnationale, nous suggérions d’élargir les possibilités de renvoi à la Commission européenne, comme l’a préconisé par la suite le rapport Zivy (cf billet de blog du 10 mars 2014).

Pour rappel, alors que l’autorité de concurrence française avait autorisé la reprise des navires de Seafrance, mise en liquidation judiciaire, sous réserve d’engagements comportementaux, l’Autorité britannique avait interdit à Eurotunnel d’exploiter ses bateaux au départ du port de Douvres, à moins qu’il ne les revende. Le 4 décembre 2013, la question de la notion de concentration contrôlable au sens de l’Enterprise Act 2002 avait été posée une première fois par le Competition Appeal Tribunal (CAT), qui a néanmoins confirmé l’interdiction. La bataille judiciaire s’est poursuivie et, le 9 janvier 2015, le CAT a, de nouveau, approuvé, l’interdiction de naviguer, à compter du 9 juillet 2015. Eurotunnel s’est donc résigné à mettre en vente sa filiale maritime, MyFerrylink. Alors que le projet de cession était sur le point d’aboutir, l’affaire a connu un retournement de situation, vendredi 15 mai dernier : la Cour d’appel de Londres, qui avait été saisie par MyFerrylink, a considéré que l’autorité britannique n’était tout simplement pas compétente pour statuer dans cette affaire, la reprise de certains actifs vendus dans le cadre d’une liquidation ne constituant pas une concentration au sens du droit anglais. L’interdiction frappant MyFerrylink est donc annulée. Il va sans dire que cette décision ouvre de nouvelles perspectives pour Eurotunnel, même si l’Autorité de concurrence britannique a d’ores et déjà déclaré qu’elle étudiait les possibilités de recours devant la Cour suprême. Par une certaine ironie du sort (et sous réserve de cet éventuel recours), la décision d’autorisation de l’autorité de concurrence française devrait ainsi recouvrer sa pleine efficacité.

Il n’en demeure pas moins que cette affaire constitue une parfaite illustration des conséquences néfastes qu’un conflit de décisions peut entraîner. Dès lors, on ne saurait qu’encourager vivement toute approche visant à solutionner les difficultés inhérentes à la mise en œuvre de contrôles parallèles. Le rapport Zivy préconise notamment de permettre aux entreprises de demander le renvoi à la Commission de concentrations transfrontalières, dès lors que l’opération est notifiable à plus d’une autorité nationale (et non pas 3 ou plus) comme le prévoit actuellement l’article 4, paragr. 5, du règlement 139-2004, ou encore de demander aux autorités nationales d’appliquer le droit européen du contrôle des concentrations, dans toutes les affaires notifiables dans deux Etats membres ou plus, afin d’éviter les divergences d’interprétation et d’application de droits nationaux. Espérons qu’il ne reste pas lettre morte…

 

Pour le surplus, ci-joints les articles de Denis Cosnard, Le Monde, 17 et 18 mai 2015 et de Valérie Collet, Le Figaro, 16 et 17 mai 2015