Le 30 juillet 2014, ATC France, anciennement FPS Towers, a déposé une plainte auprès de l’Autorité de la concurrence contre la société TDF, pour des pratiques d’abus de position dominante sur le marché de l’hébergement des équipements de téléphonie mobile.

Par décision 15-D-09 du 4 juin 2015, l’Autorité de la concurrence a accepté et rendu obligatoires les engagements proposés par TDF. Quelques années plus tard, TDF a saisi l’Autorité d’une requête en révision de ces engagements, faisant valoir que les préoccupations de concurrence soulevées par celle-ci avaient disparu avec la perte de sa position dominante sur le marché en cause. Par décision du 22-D-24 du 6 décembre 2022 a rejeté cette demande.

Le 23 janvier 2023, TDF a formé un recours en annulation et en réformation contre la décision. Ce recours a été déclaré recevable par la Cour d’appel de Paris qui a annulé la décision de l’Autorité de la concurrence au motif que la violation du principe du contradictoire a fait grief à la société TDF.

  1. Les griefs soulevés par la société TDF

La société TDF fait valoir, en premier lieu, que l’Autorité de la concurrence a défini le marché de manière « inédite », et utilisé une nouvelle méthode de calcul des parts de marché. Or, elle soutient que ces points n’ont jamais été abordés « ni pendant l’instruction ni lors de la séance devant le collège ». De plus, elle reproche à l’Autorité de la concurrence d’avoir fondé sa décision sur des données postérieures à la phase contradictoire.

Selon TDF, le principe du contradictoire suppose que la partie concernée ait eu l’opportunité de prendre connaissance des « moyens de fait et de droit » sur lesquels l’Autorité fonde sa décision, et qu’elle ait pu les contester en temps voulu.

En deuxième lieu, elle prétend que la décision contestée a été prise en violation des droits de la défense. Selon elle, l’Autorité avait la possibilité, en vertu de l’article R. 463-7 du Code de commerce, de renvoyer l’affaire à l’instruction si la méthodologie utilisée pour le calcul des parts de marché lui semblait incomplète. À défaut, l’Autorité « aurait dû partager ses doutes lors de la séance, ce qu’elle n’a pas fait ».

Elle considère ainsi que ces irrégularités procédurales lui ont causé un préjudice direct, car l’adoption d’une définition de marché et d’une méthode de calcul des parts de marché inédites a été déterminante dans la décision de maintenir les engagements, et elle n’a pas eu la possibilité de s’en défendre.

  1. La Cour d’appel constate des atteintes au principe du contradictoire

La Cour d’appel de Paris observe effectivement différentes atteintes au principe du contradictoire qui « n’ont pas permis à TDF de débattre et pouvoir utilement critiquer les éléments qui lui ont été opposés avant que sa demande ne soit rejetée » et en conclut que la décision attaquée doit être annulée.

Pour rappel, l’article L. 463-1 du Code de commerce dispose que : « L’instruction et la procédure devant l’Autorité de la concurrence sont contradictoires sous réserve des dispositions prévues à l’article L. 463-4 du Code de commerce » (NDLR : relatif à la protection du secret des affaires).

La Cour d’appel retient tout d’abord que « [s]i le collège de l’Autorité ne saurait être lié par les termes du rapport déposé par les services d’instruction, ni tenu de faire connaître sa position avant même d’en avoir délibéré, le respect du principe du contradictoire, qui participe de la loyauté procédurale, implique, lorsqu’il s’écarte radicalement des hypothèses débattues, de renvoyer l’affaire à l’instruction afin que les services compétents puissent analyser les éléments du dossier à l’aune de la nouvelle interprétation donnée par le collège et que la partie concernée puisse présenter des observations sur la base des données et calculs considérés comme pertinents par le collège, et ce afin d’être mise en mesure de défendre utilement sa demande. »

En effet, la Cour observe que la nouvelle approche retenue par l’Autorité, qui a conduit à une évaluation des parts de marché nettement plus élevée que celle indiquée par le rapport, porte atteinte aux intérêts de la société TDF. Or, cette évaluation a conduit à la conclusion que les parts de marché révélaient une position dominante alors que les services d’instruction avaient noté que la position de TDF s’était affaiblie depuis la décision 15-D-09 du 4 juin 2015. Les services d’instruction avaient estimé que TDF ne détenait plus une position dominante en nombre de points hauts quelle que soit la définition de marché retenue.

Ainsi, la cour d’appel considère que la décision contestée a violé le principe du contradictoire en modifiant le périmètre sur lequel « s’exerce la concurrence entre les entreprises, sans l’avoir préalablement invitée à s’expliquer sur ce point ».

La Cour retient dans un second temps que « [s]‘il ne saurait être exigé de l’Autorité qu’elle renvoie l’affaire à l’instruction lorsqu’elle s’estime en possession de données lui permettant de remplir son office, encore faut-il, pour admettre le caractère contradictoire du recours à de telles données, que la partie à laquelle on les oppose ait pu être en mesure de les discuter. Tel n’est pas le cas, en l’espèce, des données ANFR exploitées, qui ont été publiées en octobre 2022 et qui n’étaient donc pas accessibles à l’intéressée lors de la séance de l’Autorité qui s’est tenue le 5 juillet 2022. Cette situation est préjudiciable aux droits de TDF dès lors que l’Autorité a retenu, sur cette base, que les parts de marché de TDF demeurent indicatives d’une position dominante, ce que les conclusions du rapporteur n’avaient pas retenu. ».

Si ces constatations justifient l’annulation de la décision attaquée, elles n’affectent en revanche pas le reste de la procédure concernant notamment un test de marché, l’avis du régulateur et le rapport qui prend position pour un maintien partiel des engagements.  La Cour estimant disposer des éléments lui permettant de statuer sur le fond de la demande, elle décide de ne pas renvoyer l’affaire à l’instruction et de faire usage de son pouvoir d’évocation. En l’occurrence, elle constate que si effectivement, TDF a perdu sa position dominante, elle conserve néanmoins un fort pouvoir de marché. Par conséquent, certaines des préoccupations de concurrence identifiées en 2015 demeurent, de sorte que seule une partie des engagements rendus obligatoires par la décision initiale peut être levée.