Vers une réforme en profondeur du droit des pratiques abusives de l’article L. 442-6 du Code de commerce

Le droit français des pratiques abusives de l’article L. 442-6 du Code de commerce fait depuis des années l’objet de multiples critiques. Une accumulation de textes a conduit à un empilement par couches géologiques de dispositions disparates, dont beaucoup sont tombées en désuétude. A l’inverse, celles qui sont utilisées, comme le point I, 5° qui prohibe la rupture de relations commerciales établies, sont source d’inefficiences et d’effets pervers infinis. L’heure de la réforme tant attendue semble enfin venue. Dans le cadre des ordonnances dont l’adoption a été autorisée par la loi EGalim, la DGCCRF a soumis à consultation un projet qui vise à réformer de fond en comble l’article L. 442-6 du Code de commerce.

I. Les réformes de fond

  1. Une simplification radicale par abrogation
    Au lieu de la vingtaine figurant actuellement au sein des I et II de l’actuel article L. 442-6 du Code de commerce, l’Administration a proposé de recentrer ce texte autour de trois pratiques : deux pratiques chapeaux, que sont « l’avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné » (nouvel art. L. 442-1, I, 1°) et le déséquilibre significatif (nouvel art. L. 442-1, I, 2°), et une pratique plus spécifique, la rupture brutale de relations commerciales établies (nouvel art. L. 442-1, II). Un assouplissement des conditions de recours aux deux premières pratiques peut par ailleurs être constaté : la condition relative à l’existence d’un partenariat commercial n’est plus mentionnée. Alors que la jurisprudence interprétait cette notion restrictivement et excluait de la soumission à un déséquilibre significatif la première entrée en relation (V. not. Paris, 20 mai 2018, LawLex18820 ; 6 juill. 2018, LawLex181046 ; contra, Paris, 11 janv. 2019, LawLex194) ou encore certains contrats ne traduisant pas un véritable partenariat commercial (Cass. 3e civ., 15 févr. 2018, LawLex18287, bail commercial ; Paris, 16 mars 2018, LawLex18523, contrat de location financière), il serait désormais possible de soulever ces dispositions sans avoir à établir l’existence de cette condition.
  2. Le plafonnement de la durée de préavis à un an en cas de rupture de relations commerciales établies
    A côté des deux pratiques chapeaux censées regrouper la totalité des anciennes pratiques visées aux articles L. 442-6, I et II, la rupture de relations commerciales établies est la seule pratique individuelle qui a survécu à la simplification. Il est proposé de fixer à un an la durée de préavis « en cas de litige entre les parties sur le préavis » (nouvel art. L. 442-6, II). Etant donné que régnait auparavant une grande incertitude quant aux délais de préavis et au risque encouru, il existerait désormais une limite absolue, par l’institution d’un plafond d’un an applicable quelle que soit la durée des relations. Cette proposition apporte davantage de sécurité juridique et devrait permettre d’éviter les durées de préavis trop longues, qui peuvent aller jusqu’à trois ans (Paris, 7 janv. 2015, LawLex1522 ; Limoges, 18 févr. 2015, LawLex15227). Elle va dans le sens d’une plus grande adaptabilité des relations commerciales, d’une plus grande efficience et d’une compétitivité accrue du droit français. En effet, le droit actuel conduit à une impossibilité de rupture sans préavis de partenaires devenus non compétitifs et à une perte d’efficience de l’économie en général. La longueur des préavis incite également les grandes entreprises à soumettre leurs contrats avec des distributeurs étrangers au droit suisse avec attribution de compétence aux tribunaux ou arbitres suisses, au détriment du rayonnement de notre droit et de la place de Paris. Il pourrait être envisagé de limiter le champ d’application de la disposition à la vente de produits ou services sur le territoire français afin d’éviter tout effet défavorable quant à l’incitation des entreprises au choix du droit français et de la place de Paris pour la résolution des litiges.

II. Les réformes de procédure

  1. Un élargissement des options des victimes
    Le nouvel article L. 442-2 du Code de commerce devient une disposition consacrée aux modalités de mise en œuvre de l’action en justice et aux sanctions des pratiques restrictives de concurrence. La nouvelle rédaction du texte permet aux victimes de pratiques restrictives de concurrence de formuler les mêmes demandes que celles du ministre de l’Économie et du ministère public, à l’exception de l’amende civile. Désormais, les victimes des pratiques peuvent demander à la juridiction saisie d’enjoindre la cessation des pratiques, de faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et d’ordonner la restitution des prestations/avantages indu(e)s (nouvel art. L. 442-2, II, al. 2). L’élargissement des options des victimes semble être une bonne chose.
  2. Un renforcement des sanctions
    Au plan de la sanction, l’Administration propose de modifier le plafond de l’amende civile. Celui-ci serait désormais « le plus élevé » des trois montants suivants (et non plus l’un ou l’autre de ces montants, au choix du juge) : cinq millions d’euro, le triple du montant des prestations/avantages indument perçu(e)s/obtenu(e)s, 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France. Les montants maximums de la sanction apparaissent très élevés. Beaucoup de répondants au test de marché de la DGCCRF ont sollicité une modération, notamment en tenant compte de la capacité contributive des entreprises, à l’instar du droit des pratiques anticoncurrentielles.

III. Les questions à clarifier ou à compléter

  1. La nécessité de maintenir les dispositions relatives à la revente hors réseau
    L’actuel article L. 442-6, I, 6° permet de protéger efficacement les réseaux de distribution sélective contre les revendeurs hors réseau (V. not. Cass. com., 16 févr. 2016, LawLex16387 ; Paris, 23 janv. 2019, LawLex19108). Cette disposition n’est pas couverte par les deux pratiques chapeaux et mériterait d’être maintenue.
  2. L’obtention d’un avantage, condition préalable à la passation de commandes sans engagement écrit proportionné
    Cette pratique pourrait éventuellement être couverte par la pratique de l’avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné visée au nouvel article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce. Certains fournisseurs considèrent qu’elle mériterait toutefois de subsister, en tant que telle, notamment en raison de son caractère très dissuasif et des éventuels contournements qui pourraient résulter de son seul contrôle éventuel à travers la pratique chapeau de l’avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné. En effet, il est vraisemblable qu’en cas de suppression de l’actuel article L. 442-6, I, 3°, les entreprises souhaitant obtenir des paiements préalables importants avant une entrée en relation sans fournir d’engagement de volume, feront valoir des contreparties difficilement quantifiables qui rendra leur contestation plus délicate que sous l’empire du texte actuel.