En novembre 2008 et septembre 2009, la Commission a diligenté des inspections dans les locaux de plusieurs entreprises cimentières. Par la suite, elle leur a adressé des demandes simples de renseignements au titre de l’article 18, paragraphe 2, du règlement 1-2003, avant de les informer de son intention de leur adresser une décision formelle fondée sur l’article 18, paragraphe 3. Le 6 décembre 2010, la Commission les a averties de sa décision d’ouvrir une procédure pour des infractions présumées à l’article 101 TFUE. Enfin, le 30 mars 2011, elle a adopté la décision de demande de renseignements annoncée, dans laquelle elle a imposé à chacune des entreprises de répondre à un questionnaire de 79 pages, constitué de onze séries de questions. Après avoir vainement demandé un report du délai consenti pour répondre aux questions, les entreprises ont saisi le Tribunal de l’Union de divers recours en annulation de la décision, que ce dernier a tous rejetés (Trib. UE, 14 mars 2014, LawLex201400001670JBJ, LawLex201400001673JBJ, LawLex201400001674JBJ, LawLex201400001675JBJ). Les entreprises ont formé un pourvoi devant la Cour de justice : le Tribunal aurait, à tort, estimé que le moyen tiré du défaut de motivation de la demande de renseignements n’était pas fondé.

Selon la Cour, motiver les décisions de demande de renseignements est fondamental pour les justifier et permettre aux entreprises de saisir la portée de leur devoir de collaboration et de déterminer si les renseignements demandés sont « nécessaires » au sens de l’article 18, § 1.

En l’occurrence, le Tribunal avait estimé qu’en dépit d’une motivation « rédigée en des termes très généraux qui auraient mérité d’être précisés et [encourant] donc la critique », « la référence à des restrictions d’importations dans [l’EEE], à des répartitions de marchés ainsi qu’à des coordinations des prix sur le marché du ciment et les marchés des produits connexes, lue conjointement avec la décision d’ouverture de la procédure, [équivalait] au degré minimal de clarté permettant de conclure au respect des prescriptions » du règlement.

Or, selon la Cour, dans sa décision, la Commission a imposé aux entreprises de répondre à de très nombreuses questions et de communiquer des informations extrêmement vastes et détaillées relatives à un nombre considérable de transactions, tant nationales qu’internationales, concernant douze États membres et portant sur une période de dix ans, sans faire apparaître, de manière claire et non équivoque, les soupçons d’infraction qui justifiaient une telle demande ni permettre de déterminer si les renseignements demandés étaient nécessaires aux fins de l’enquête.

Selon elle, constituent « une motivation excessivement succincte, vague et générique », le considérant qui vise une enquête « sur un comportement anticoncurrentiel allégué dans le secteur du ciment, des produits à base de ciment et d’autres matériaux utilisés dans la production de ciment et de produits à base de ciment […] au sein de [l’UE/de l’EEE] » et celui aux termes duquel « [l]es infractions présumées concernent des restrictions aux échanges dans [l’EEE], notamment des restrictions à l’importation dans l’EEE à partir de pays ne faisant pas partie de l’EEE, des pratiques de partage des marchés et de coordination des prix ainsi que d’autres pratiques anticoncurrentielles y afférentes dans les marchés du ciment et des produits connexes ». Par ailleurs, la motivation de la décision d’ouverture de la procédure apparaît tout aussi « succincte, vague et générique ». En outre, la Commission ne mentionne qu’à titre d’exemple les produits sur lesquels porte l’enquête et la portée géographique de l’infraction présumée apparaît ambiguë lorsque l’on confronte les mentions de la demande de renseignements et celles de la décision d’ouverture.

Par conséquent, la Cour annule les arrêts du Tribunal et la décision de la Commission. En effet, une motivation excessivement succincte, vague et générique et, à certains égards, ambiguë, ne satisfait pas aux exigences de l’article 18, paragraphe 3, du règlement 1-2003. Pour conforter la solution, la Cour souligne que la Commission était d’autant plus fautive qu’en l’espèce sa décision était intervenue non pas en amont de la procédure, mais plus de deux années après les premières inspections et plusieurs mois après la décision d’ouverture de la procédure, c’est-à-dire à une date où elle disposait déjà d’informations qui lui aurait permis d’exposer avec davantage de précision les soupçons d’infraction qui pesaient sur les entreprises en cause.

Cour de justice de l’Union européenne, 10 mars 2016