Positionner le prix de ses produits constitue l’un des éléments majeurs du marketing mix de toute marque. D’un point de vue commercial, il est important que le fournisseur puisse déterminer son positionnement sur le marché pour s’adapter en permanence à l’environnement économique, éviter des prix de revente non conformes à son image de marque, lutter contre des prix de revente excessifs ou tout simplement assurer son équilibre économique. Par ailleurs, des prix de revente trop bas se traduisent également par des demandes de réduction des prix de vente au réseau, qui détruisent la capacité d’investissement.

D’un point de vue juridique, au contraire, l’ingérence du fournisseur dans la politique de prix de ses distributeurs indépendants est sévèrement sanctionnée. Les prix minimum imposés sont considérés comme une clause noire, restriction de concurrence caractérisée qui prive le contrat de distribution de l’exemption par catégorie conférée par le règlement restrictions verticales 330-2010, sans réelles chances de bénéficier d’une exemption individuelle.
Quelle marge de manoeuvre reste- t-il au fournisseur contraint par l’exigence commerciale d’exercer une forte influence sur les prix de revente de son réseau et le risque juridique lié à l’interdiction des prix de revente imposés ?

1. Éviter absolument de convenir contractuellement de prix de revente imposés.

D’abord, le fournisseur évitera de convenir contractuellement avec ses distributeurs de clauses restreignant en elles-mêmes la capacité de l’acheteur de déterminer son prix de revente. En effet, de telles clauses fournissent la preuve immédiate de l’entente. Désormais rares, la pratique montre qu’elles sont parfois encore stipulées.

2. Recourir uniquement à des prix de revente maximums ou recommandés.

Si le règlement 330-2010 qualifie les prix imposés de clause noire, cette disposition est « sans préjudice de la possibilité pour le fournisseur d’imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente » à condition que ces prix maximums ou recommandés « n’équivaillent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l’effet de pressions exercées ou d’incitations par l’une des parties ».
Si le fournisseur détient un fort pouvoir de marché, un prix de vente maximal ou conseillé peut néanmoins entraîner des effets anticoncurrentiels que le fournisseur et son conseil analyseront de façon approfondie avant d’y recourir.

3. Se montrer très prudent quant aux possibilités d’exemption des prix imposés annoncées par la Commission.

Dans ses Lignes directrices relatives aux restrictions verticales, la Commission considère que des prix imposés peuvent être exemptés sur le fondement de l’article 101, paragraphe 3, TFUE en cas de lancement d’un nouveau produit pendant la période d’introduction, pour organiser dans un système de franchise ou similaire une campagne de prix bas coordonnée de courte durée ou pour permettre aux détaillants de fournir des services de prévente additionnels notamment dans le cas de produits d’expérience ou complexes. Cependant, il faut relativiser les effets pratiques de ces hypothèses théoriques car l’imposition du prix de revente demeure une restriction caractérisée qui fait l’objet d’une double présomption négative : restriction anticoncurrentielle par objet, il est peu probable qu’elle puisse être exemptée individuellement.

4. Être conscient que la position de la Commission et des États membres est plus rigide que celles adoptées par d’autres systèmes juridiques.

L’importation des solutions américaines est impossible sans précaution. En effet, les pratiques de prix imposés sont plus faciles à défendre en droit américain en raison de la doctrine Colgate qui a consacré une conception large de la notion de comportement unilatéral et de la position adoptée par la Cour Suprême dans l’arrêt Leegin de 2007, qui a substitué à l’interdiction per se des prix imposés un contrôle exercé dans le cadre de la règle de raison. L’Australie a accordé en 2014 une première exemption à une pratique de prix imposés.

5. Former ses opérationnels aux contraintes du triple test du droit français, mis en oeuvre de manière plus rigide qu’en droit européen.

En l’absence de stipulation contractuelle d’un prix imposé, l’Autorité de la concurrence applique un triple test pour le caractériser. Il suffit que les prix de revente aient été évoqués (prix conseillés, par exemple), que les prix évoqués ou conseillés aient été appliqués de manière significative (ce qui sera le cas s’ils ont été bien établis) et que le fournisseur ou un distributeur ait mis en place des dispositifs de police des prix.

En réalité, ce triple test se réduit à un test unique, celui de la police des prix, puisque les deux premiers éléments sont licites. Or, la jurisprudence française caractérise très facilement cette notion. Il suffit que certains points de vente, même s’ils ne constituent qu’une très petite minorité du réseau, aient subi une pression du fournisseur (Paris, 4 avr. 2006, LawLex200600001057JBJ).

A l’inverse, pour la jurisprudence européenne, le fait d’établir des prix conseillés, de faire part de son inquiétude sur le bas niveau des prix à ses distributeurs, d’organiser des réunions de concertation au sein du réseau et d’envoyer des courriers ciblés à certains distributeurs pour leur demander d’augmenter leurs prix ne constitue pas une mesure coercitive de nature à caractériser un accord (TPICE, 13 janv. 2004, LawLex2004000070JBJ).

6. Ne pas donner suite aux demandes d’intervention des distributeurs.

Ces demandes peuvent émaner des voisins d’un membre du réseau accusé de pratiquer des prix trop bas. Le fournisseur leur opposera qu’il ne peut intervenir.

7. Se ménager des preuves.

En cas d’enquête, le fournisseur rassemblera toutes les preuves des prix plus bas pratiqués par les distributeurs par rapport aux prix conseillés afin de combattre les échantillons établissant le respect des prix imposés collectés par l’Administration.

Bien que le droit positif appliqué en France en matière de prix imposés ne corresponde pas aux enseignements de l’analyse économique moderne, le fournisseur, toujours vigilant, fera preuve d’une très grande prudence.