Condamnation d’une supercentrale et des deux groupes de distribution fondateurs à des amendes de 2 millions d’euro pour demandes financières additionnelles aux fournisseurs en cours d’année.

Dans le cadre de sa surveillance sectorielle des pratiques de la grande distribution, le ministre de l’Economie, à travers la DGCCRF, a examiné les négociations menées au cours de l’année 2015 par la supercentrale Inca, constituée par les groupes Intermarché et Casino, avec ses fournisseurs. Constatant que quelques mois à peine après la tenue des négociations annuelles, la supercentrale, qui représentait pas moins de 25,9 % de parts de marché, avait sollicité de nouveaux « investissements » de ses fournisseurs, l’Administration, les estimant sans contrepartie, a saisi le juge commercial de deux actions fondées sur le grief de déséquilibre significatif.  Les deux jugements rendus le 31 mai 2021, sur lesquels le ministre de l’Economie n’a curieusement pas communiqué comme à son habitude, apportent des précisions intéressantes :

      1. Le déséquilibre significatif peut être matérialisé aussi bien par des « pratiques » que par des clauses contractuelles. Le tribunal de commerce de Paris estime que rien dans la rédaction de l’article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce n’exclut que l’obligation déséquilibrée puisse avoir pour origine une pratique. De fait, le texte sanctionne aussi bien la soumission que la tentative de soumission, c’est-à-dire le cas où les pressions n’ont pas débouché sur la conclusion d’un contrat (V. déjà, Paris, 16 mai 2018, LawLex201800000727JBJ).
      2. Une demande de renégociation présentée en cours d’année, sans contrepartie offerte au fournisseur, peut caractériser un déséquilibre significatif. Pour caractériser le déséquilibre, le juge souligne que dans la plupart des cas, la demande de revalorisation avait été présentée de façon spontanée par la supercentrale, en dehors de toute demande préalable de service par les fournisseurs. Plus encore, la demande était rarement accompagnée d’une proposition de contrepartie et était dans certains cas assortie de menaces de déréférencement (V. déjà, Paris, 16 mai 2018, précit.).
      3. L’absence de mise à exécution des menaces de déréférencement, voire la réalisation de certaines contreparties, n’influe pas sur l’appréciation de l’existence d’un déséquilibre significatif. Bien que certains fournisseurs aient su résister aux demandes financières de la supercentrale tout en évitant les déréférencements, ou obtenu des contreparties aux sommes versées, le tribunal n’exclut pas l’existence d’un déséquilibre, puisque l’article L. 442-1, I, 2° vise aussi bien la soumission que la simple tentative.
      4. Le juge précise que le fatalisme des fournisseurs face à ces pratiques ou le fait qu’ils les aient intégrées dans leurs processus internes n’exonère pas la grande distribution de sa responsabilité.
      5. Les groupes de distribution ne peuvent se retrancher derrière le mandat de négociation donné à la supercentrale. Casino et Intermarché ont tous deux prétendu que seule la supercentrale Inca pouvait être, le cas échéant, tenue responsable des pratiques. Cependant, l’enquête a mis en lumière la porosité des structures et leur participation personnelle à l’infraction (initiative des déréférencements, mise en copie des mails de menaces, etc.).
      6. Une amende de deux millions d’euro se justifie pour assurer un caractère dissuasif à la sanction, qui ne vise pas à rétablir les conditions d’un marché concurrentiel, mais à protéger la relation entre partenaires commerciaux. Dès lors, l’éventuelle répercussion des sommes versées à la supercentrale sur les prix aux consommateurs, au demeurant non établie, n’est pas de nature à remettre en cause la baisse de marge subie par les fournisseurs.
      7. La publication de la décision dans la presse généraliste, en revanche, ne se justifie pas. Le tribunal décide que s’agissant de pratiques entre professionnels, il y a lieu de limiter la publication à la presse économique (Les Echos) et exclut par conséquent les demandes de publication dans le Monde et le Figaro.

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