Le mouvement de concentration inhérent à l’économie de marché se poursuit en période de crise. En 2014, la valeur des transactions annoncées en fusions-acquisitions impliquant des entreprises françaises s’est élevée à  245 milliards de dollars, soit le double de 2013. Les entreprises françaises, malgré ou à cause du marasme économique qui frappe la France, demeurent des proies très convoitées. L’année passée, les acquisitions d’actifs par des groupes étrangers, que le décret Montebourg n’a pas découragées, se sont ainsi élevées à 112 milliards de dollars, un record depuis 14 ans. A côté d’opérations de très grande envergure (fusion Holcim/Lafarge pour 39,5 milliards de dollars, prise de contrôle de SFR par Numéricâble, opération GE/Alstom, entrée de Dongfeng au capital de PSA…), des fusions-acquisitions plus modestes se poursuivent également. Dès lors qu’elles conduisent à une prise de contrôle, exclusif ou conjoint, au sens du droit des concentrations, ces opérations doivent être notifiées auprès des autorités de concurrence, selon les seuils de contrôle atteints et les marchés concernés, à Paris auprès de l’AdlC ou à Bruxelles auprès de la Commission et souvent encore auprès d’autres autorités de concurrence. L’Autorité de la concurrence traite environ 200 opérations de concentration chaque année, qu’elle autorise quasiment toutes.
Ces opérations de concentration peuvent naturellement affecter sensiblement la position de marché et même le sort des concurrents ou de leurs partenaires, fournisseurs ou clients. Quels sont les moyens d’action offerts par le droit français de la concurrence à une entreprise qui voit ses intérêts commerciaux, voire vitaux, affectés par une opération de concentration ?
I. Avant l’autorisation de l’opération
Etre pro-actif. Il ne faut surtout pas attendre qu’une opération de concentration soit autorisée pour s’en plaindre. L’entreprise, dont les intérêts sont menacés par un projet d’opération de concentration, doit l’analyser immédiatement, vérifier quelle autorité de concurrence aura à en connaître et identifier les problèmes de concurrence qu’elle générera. L’assistance d’avocats spécialisés et, le cas échéant, d’un cabinet économique sera très utile dès cette première étape. Sur la base d’un dossier documenté, l’entreprise pourra alerter l’autorité dès le stade de la pré-notification du projet sur les risques concurrentiels de l’opération, afin que le test de marché et l’instruction du dossier prennent bien en considération toutes les difficultés que la concentration soulève.
Intervenir au stade de l’instruction du dossier. L’entreprise menacée interviendra régulièrement au stade de l’instruction du dossier : elle sollicitera des rendez-vous auprès des rapporteurs, elle répondra aux tests de marché, et suggérera des engagements. En effet, la tactique souvent suivie par l’entreprise notifiante consiste à préparer à l’avance des engagements a minima pour limiter le temps d’analyse des services de l’instruction et des opposants à son projet.
Accompagner l’action juridique d’actions de lobbying et de RP. Il est souvent utile de ne pas mener le combat que sur le plan strictement juridique, mais d’accompagner l’action juridique par des mesures de lobbying et de relations publiques afin de renforcer la portée de ses arguments et de les amplifier.
II. Après l’autorisation de l’opération
Envisager de former un recours : Les recours contre les décisions d’autorisation (ou d’interdiction) des opérations de concentration relèvent en France de la compétence exclusive du Conseil d’Etat conformément à l’article R. 311-1, 4° du Code de justice administrative. Ils peuvent être introduits non seulement par les parties à l’opération, mais également par tout tiers qui a un intérêt à agir, par exemple s’il figure dans la décision contestée au nombre des opérateurs présents sur le marché et a reçu un questionnaire au cours du test de marché (CE, 19 mai 2005, LawLex200500005772JBJ). Pour les tiers, le délai de recours est de deux mois à compter de la publication de la décision en texte intégral (la pré-publication du sens de la décision sur le site Internet qui précède la publication complète ne faisant pas courir le délai).
Bien motiver et fonder son recours : Dans le cadre du recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat, le requérant pourra invoquer des moyens de légalité externe (compétence, respect de certaines garanties de forme et de procédure) ou interne (violation de la loi, erreur de droit ou de fait). En droit français, les annulations totales ou partielles, peu nombreuses, demeurent possibles (V not. CE, 9 avr. 1999, LawLex200202021JBJ ; 31 mai 2000, LawLex200201934JBJ ; 6 févr. 2004, LawLex20040000223JBJ ; France Antilles ; 31 janv. 2007, LawLex20070000141JBJ ; 23 déc. 2013, LawLex201300001889JBJ). Les moyens de recours les plus pertinents concernent la régularité de la procédure de contrôle, la contrôlabilité de l’opération, la délimitation des marchés pertinents, l’appréciation des effets anticoncurrentiels de l’opération et le caractère insuffisant des engagements. En droit français, en cas d’annulation d’une opération, les entreprises notifiantes doivent soumettre une nouvelle notification actualisée dans les 2 mois de la notification de la décision du Conseil d’Etat et l’instruction du projet reprend alors de novo.
Ne pas trop espérer de la suspension de l’opération : Les recours pour excès de pouvoir ne sont pas suspensifs. La mise en œuvre d’un référé-suspension s’avère généralement très difficile. Non seulement il faut avoir engagé au préalable un recours au fond, mais en outre il faut que la concentration n’ait pas produit tous ses effets (CE, 19 mai 2005, préc.). Or, les bénéficiaires de la décision s’empressent souvent de transférer la propriété des actions et de nommer de nouveaux dirigeants alors que la publication complète de la décision expurgée des secrets d’affaires, en principe nécessaire aux tiers pour former un recours, n’intervient généralement que 3 semaines après la décision d’autorisation elle-même. Dans cette course, le demandeur au référé-suspension perd généralement. Si, par impossible, il était recevable à agir, il lui faudrait encore justifier de l’urgence (appréciée strictement ; pour un rejet au motif que les injonctions n’étaient pas de nature à causer un préjudice irréversible : CE, 22 oct. 2011, LawLex201200002176JBJ) et d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Cette difficulté à obtenir la suspension d’une opération incitera d’autant plus à agir de manière préventive et à se montrer pro-actif avant que l’autorisation ne soit accordée.