La juridiction de proximité constitue une enceinte redoutable pour les entreprises. En matière civile, elle est compétente pour connaître des affaires personnelles ou mobilières jusqu’à une valeur de 4 000 euro ou une valeur indéterminée lorsqu’elles sont fondées sur une obligation dont le montant n’excède pas 4 000 euro. Créées par une loi du 9 septembre 2002, les juridictions de proximité comptent 450 juges non professionnels installés dans les locaux des tribunaux d’instance et connaissent un engouement certain. Il suffit, pour initier la procédure, de télécharger une demande, de la compléter soi-même et de l’adresser ou la déposer au greffe accompagnée des documents justificatifs, sans huissier ou avocat. Des notices fort bien faites ont par ailleurs été rédigées par le ministère de la Justice pour aider les demandeurs à remplir leur déclaration au greffe, leur requête d’injonction de payer ou d’injonction de faire. Un particulier peut donc saisir très facilement et à moindre coût la juridiction de proximité.
Pour les entreprises, cette faculté constitue en revanche une charge très importante. La défense à de telles demandes représente facilement un coût interne et/ou externe plus important que la demande. Même si les montants en jeu sont faibles, les litiges concernent parfois des questions de principe complexes, comme celle de la légitimité de différentiels de prix selon le pays de résidence du consommateur, qui nécessitent une défense intensive car elles mettent en jeu le modèle économique de l’entreprise. Enfin, la plupart des décisions ne sont pas susceptibles d’appel, ce qui incite le juge à statuer en fonction de sa conception de l’équité plus qu’en droit. Cette situation s’est aggravée avec le développement des sites d’actions judiciaires qui, pour une somme modique, « fabriquent » par Internet pour le consommateur la mise en demeure et le formulaire de saisine et l’envoient eux-mêmes à la juridiction de proximité compétente. Comment se défendre au mieux dans ce cadre ?
1. Ne pas sous-estimer le risque et adopter une politique adaptée de traitement des demandes. L’entreprise procédera à une analyse des enjeux de chaque dossier. Pour les affaires très simples qui ne soulèvent pas de question de principe, elle privilégiera une offre transactionnelle ou même le paiement dans les termes de la demande pour minimiser les frais. Les questions stratégiques seront en revanche impérativement défendues. En effet, les décisions des juges de proximité portant sur des questions stratégiques (comme par exemple la responsabilité des sites de vente entre consommateurs, Jur. prox. Dieppe, 7 févr. 2011, LawLex201500001279JBJ ; ou la vente d’ordinateurs équipés de logiciels d’exploitation, Jur. prox. Asnières, 13 sept. 2012, LawLex201200002108JBJ) sont régulièrement publiées et commentées par la doctrine, avec le risque de donner aux associations de consommateurs l’idée d’intenter des actions de groupe.
2. Contester la validité des saisines par Internet en invoquant l’irrégularité de la signature du demandeur. En vertu de l’article 58 CPC, la requête ou déclaration saisissant la juridiction doit notamment être signée. Les sites Internet d’actions judiciaires ubérisées reconstituent parfois informatiquement, lorsque la demande est faite de manière automatisée, une signature stylisée à partir du nom et du prénom du demandeur. L’avocat de l’entreprise assignée comparera cette signature à celle portée sur la copie de la carte d’identité du demandeur afin d’obtenir la nullité de fond de la demande sur le fondement de l’article 117 CPC (Jur. prox. Rodez, 10 avr. 2014, RG 91-12-000118), dès lors qu’il n’est pas justifié d’un pouvoir spécial de représentation ou de l’intervention d’un avocat.
3. Faire valoir l’absence de tentative de conciliation ou de mise en demeure préalable. Très fréquemment, la juridiction de proximité est saisie sans la moindre tentative de conciliation ou mise en demeure, alors qu’il s’agit pourtant d’une formalité obligatoire prévue à l’article 58 CPC et qu’aucun motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, n’est allégué (D. 2015-282 du 11 mars 2015, applicable depuis le 1er avr. 2015).
4. Exciper de l’imprécision de l’objet de la demande. Les déclarations au greffe se limitent souvent à un chiffrage de la demande, au demeurant non justifié, sans exposer de moyens de fait ou de droit, ce qui empêche le défendeur d’organiser sa défense. L’avocat soulèvera la nullité de telles déclarations, effectuées en violation de l’article 15 CPC (V. not. Paris, 12 avr. 2013, RG 12/08354).
5. Invoquer la prescription. Les sites Internet ne vérifient pas nécessairement le respect des délais de prescription. La prescription de droit commun, de 5 ans pour les relations entre un commerçant et un non commerçant (C. com., art. L. 110-4), sera le cas échéant invoquée.
6. Opposer une défense au fond. Si la demande ne se fonde sur aucun texte légal ou réglementaire, ou si le demandeur est défaillant dans l’administration de la preuve de ses prétentions et/ou de son préjudice, l’avocat de l’entreprise le lui opposera d’emblée, en rappelant que l’article 9 CPC lui impose de « prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de ses prétentions », sans tomber dans le piège consistant à fournir soi-même des éléments que le demandeur n’avait pas produits.
7. Vérifier les voies de recours. Il est important de vérifier si les demandes, même émises à propos d’une obligation n’excédant pas 4 000 euro, ne sont pas en réalité indéterminées. Dans ce cas, la juridiction ne jugera pas en dernier ressort, en application de l’article R. 231-3 du Code de l’organisation judiciaire et de l’article 40 CPC, mais sa décision sera susceptible d’appel (Cass. com., 8 avr. 2015, 14-13.312).