Depuis plusieurs mois, les mesures d’économie administrée se multiplient en France : elles bloquent le marché par des barrières à l’entrée, comme les règles anti-OPA de la loi Florange, ou à la sortie en imposant notamment aux PME et TPE de proposer l’entreprise à l’achat de leurs salariés en cas de projet de cession. D’autres règles entravent le fonctionnement des entreprises et les soumettent au carcan d’obligations formelles drastiquement sanctionnées : la convention unique version loi Hamon, pour le respect de laquelle l’Administration peut poursuivre les entreprises, instruire le dossier et prononcer elle-même des amendes en fournit le meilleur exemple. Toujours dans cette orbite de politique dirigiste, le décret Montebourg 2014-479 du 14 mai 2014 étend considérablement la liste des investissements étrangers soumis à autorisation préalable du Gouvernement.

Jusqu’à présent, l’article L. 151-3 du Code monétaire et financier (CMF) limitait le contrôle des investissements à ceux réalisés dans une activité qui participe à l’exercice de l’autorité publique ou aux intérêts de la défense nationale ainsi qu’aux activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives. Le décret Montebourg applique ce régime d’autorisation préalable à de nombreux secteurs – électricité, gaz, hydrocarbures, énergie, eau, transports, communications électroniques, santé publique – qui représentent une part non négligeable de l’économie française sans présenter de lien évident avec le champ d’application de la loi énoncé à l’article L. 151-3 CMF.

Le directeur juridique et le conseil du vendeur d’une entreprise française à un investisseur étranger se préoccuperont non seulement de la soumission de leur projet au contrôle national ou européen des concentrations mais apprécieront également s’il tombe sous le coup du nouveau décret.

I. Vérifier l’applicabilité du contrôle des investissements étrangers

1. Se préoccuper de la réglementation pour toutes les opérations en cours de réalisation.

Le décret Montebourg est entré en vigueur le 16 mai 2014 sans mesure transitoire pour les opérations décidées avant sa publication. Il convient donc d’en tenir compte pour les opérations qui n’ont pas été définitivement réalisées et de vérifier si elles nécessitent une autorisation préalable.

2. Tenir compte du champ d’application particulièrement large de la réglementation.

L’autorisation du ministre de l’Économie doit être obtenue en cas de prise de contrôle (au sens de l’art. L. 233-3 C. com.) d’une entreprise dont le siège social est établi en France, d’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité d’une telle entreprise ou de franchissement du seuil de 33,33 % de détention du capital ou des droits de vote d’une telle entreprise (art. R. 153- 1 CMF).

Par ailleurs, sont soumis à une procédure d’autorisation « les investissements réalisés par une entreprise de droit français contrôlée, au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, par une personne physique ressortissante d’un État autre que la France, par une entreprise dont le siège social se situe hors de France ou par une personne physique de nationalité française résidant hors de France, dans l’une des activités énumérées du 8° au 12° de l’article R. 153-2 et à l’article R. 153- 5 » (article R. 153-2).

3. En cas de doute, saisir le ministre de l’Économie d’une demande écrite aux fins de savoir si l’opération est soumise à contrôle.

L’article R. 153-7 CMF prévoit expressément cette saisine. Le ministre répond dans un délai de deux mois.

4. Etre conscient des sanctions très lourdes attachées à la réglementation.

En cas de violation de la procédure d’autorisation préalable, le ministre peut enjoindre à l’investisseur concerné de ne pas donner suite à cet investissement, de le modifier ou de rétablir à ses frais la situation antérieure, sous peine d’une sanction pécuniaire pouvant s’élever au double de l’investissement réalisé.

II. Contester l’applicabilité et la légalité du décret

5. Contester l’applicabilité du décret.

Rédigé en termes flous, le décret fait référence à des notions non définies ou susceptibles de recevoir différentes interprétations. Une ligne de défense consistera à invoquer son inapplicabilité à l’investissement concerné.

6. Invoquer l’illégalité du décret au regard du droit de l’Union sous l’angle du non-respect de la sécurité juridique.

Les investisseurs de l’UE invoqueront l’atteinte au principe de sécurité juridique qui les place dans bien des cas dans l’incapacité de connaître les circonstances spécifiques dans lesquelles une autorisation préalable est obligatoire (en ce sens, à propos du régime d’autorisation préalable des investissements étrangers issu du décret du 29 déc. 1989, CJCE, 14 mars 2000, aff. C-54-99, § 21-22).

7. Soulever le défaut de proportionnalité du texte au regard des exigences du droit de l’Union.

La soumission d’un investissement à une autorisation préalable constitue une restriction à la liberté de circulation des capitaux garantie par l’article 63 TFUE (CJCE, 23 février 1995, aff. C-358-93 ; C-416-93). Si une telle restriction peut être justifiée par des raisons relatives à l’ordre public ou à la sécurité publique en cas de menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société (CJCE, 4 juin 2002, aff. C-483-99 : sécurité des approvisionnements pétroliers en cas de crise ; 4 juin 2002, aff. C-503-99 : sécurité des approvisionnements en électricité et en gaz ; 13 mai 2003, aff. C-463-00 : services de télécommunication), les mesures adoptées ne doivent pas dépasser ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif invoqué.

En l’espèce, le texte de ce nouveau décret est-il vraiment proportionné (cf. CJUE, 4 juin 2002, C-483-99), compte tenu de son champ d’application à la fois très étendu et très flou et du pouvoir très large du ministre dans l’octroi des autorisations ? De même, la visée principalement économique de la réglementation apparaît de façon évidente alors qu’il est acquis en droit que les motifs d’ordre public ou de sécurité publique invoqués ne sauraient « être détournés de leur fonction propre pour servir, en fait, à des fins purement économiques » (CJCE, 14 mars 2000, préc.). Si l’on peut admettre un contrôle limité des investissements étrangers dans un pays pour des raisons impérieuses d’intérêt national, l’extension excessive de tels contrôles, susceptible de tomber sous le coup du droit interne et européen, risque aussi de nuire gravement à l’attractivité économique du territoire national, de détruire de la richesse et de l’emploi, et de développer un protectionnisme généralisé peu souhaitable.