Le droit français protège très fortement les entreprises en difficulté. Il veut éviter à tout prix leur disparition et préserver leurs emplois dans l’espoir de ne pas aggraver le chômage. Cette réticence profonde à laisser jouer les mécanismes de marché entraîne néanmoins d’importants effets pervers. L’État consacre des ressources considérables à la survie d’entreprises condamnées et sacrifie les droits des créanciers et des co-contractants au maintien à tout prix de l’entreprise en difficulté.

Il surprotège les entreprises en déclin tandis qu’il aggrave les charges et les contraintes des entreprises in bonis et des nouveaux entrants. En l’état du droit positif, les partenaires d’une entreprise en difficulté doivent être conscients des contraintes et des risques qu’ils encourent et adopter une stratégie adaptée de prévention et de gestion.

1. Anticiper et gérer les procédures collectives.

Dans de nombreux pays du monde, une entreprise peut obtenir la résiliation d’un contrat en cas de procédure collective de son partenaire commercial. Le droit français le lui interdit rigoureusement. Il est impossible de résilier un contrat pour cause de procédure collective et l’administrateur peut poursuivre les contrats en cours. En cas d’impayés, il est donc recommandé de résilier le contrat de son acheteur ou de son distributeur avant l’ouverture de la procédure collective, en recourant le cas échéant à une signification de la résiliation par huissier en vue d’éviter un refus d’acceptation d’une lettre recommandée suivie d’un dépôt de bilan. Il est également important de ne pas résilier pour cessation des paiements puisque cette motivation risque d’être assimilée à une résiliation pour ouverture de la procédure collective. Il est également important de veiller à éviter les nullités de la période suspecte.

2. Respecter scrupuleusement les délais.

Le droit des procédures collectives soumet les créanciers à des délais très courts pour exercer leurs droits. Il est impératif de déclarer sa créance dans les délais (deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture, augmenté de deux mois pour les créanciers ayant leur siège hors de France métropolitaine) et de revendiquer les marchandises sous réserve de propriété (dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement d’ouverture de la procédure).

3. Soumettre le contrat à la compétence d’une juridiction éloignée des contingences locales.

Il est impératif de prévoir une clause attributive de compétence au profit du tribunal de son siège social, en veillant autant que faire se peut à ce que sa compétence coïncide avec celle des juridictions spécialisées pour appliquer l’article L. 442-6 du Code de commerce (applicable notamment en cas de rupture de relations commerciales établies) et en matière de droit de la concurrence. La poursuite des contrats en cours doit respecter les stipulations contractuelles et notamment la clause attributive de compétence. Cette précaution permettra de soumettre le plus grand nombre de difficultés au juge du contrat désigné par la clause attributive de compétence plutôt qu’au juge de la procédure collective compétent pour les questions relevant strictement de la procédure collective.

4. Anticiper et gérer l’application offensive du droit du travail.

En cas de procédure collective, certains avocats se sont fait une spécialité d’instrumentaliser les règles du droit du travail pour faire porter le poids du passif social sur le principal partenaire commercial de l’entreprise, soudainement accusé d’avoir été le co-employeur des salariés de son fournisseur. Les conditions d’application du régime du co-employeur sont néanmoins très strictes et il convient de résister vigoureusement à ce type d’actions. Une autre chausse-trappe du droit du travail réside dans le transfert du personnel associé au transfert d’une entité économique et sociale. En cas de nomination d’un nouveau concessionnaire exclusif sur un territoire, l’ancien concessionnaire risque d’être tenté de faire valoir le transfert au nouveau concessionnaire de l’entité économique et sociale que constituait la concession avec l’ensemble des salariés. Un partage du territoire de l’ancienne concession limite ce risque.

5. Se prémunir également de l’usage des règles du droit commun.

Outre l’instrument du droit de la faillite et du droit social, le partenaire en difficulté se prévaudra également des règles du droit commun. Il utilisera le plus fréquemment comme arme la rupture brutale d’une relation commerciale établie, instrument juridique redoutable. Par exemple, même en cas de non-respect flagrant et avéré des objectifs par un partenaire en difficulté, la jurisprudence refuse d’admettre la faculté de résiliation du contrat pour faute grave. Même une clause résolutoire expresse prévue pour un tel cas ne peut faire échec aux dispositions d’ordre public de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce. La prudence impose de prévoir des obligations contractuelles bien définies dont le non-respect autorisera une résiliation extraordinaire. En cas de résiliation ordinaire, le préavis tiendra compte de la durée de l’ensemble de la relation commerciale avec le partenaire commercial. L’ensemble de ces contraintes et risques conduit à des effets macro-économiques défavorables. Les créanciers et partenaires des entreprises en difficulté surprotégées évitent de travailler avec elles ou de les soutenir, de crainte de se trouver elles-mêmes en difficulté tandis que les cocontractants étrangers préfèrent désormais souvent travailler avec des partenaires d’autres pays soumis à un droit dont la sécurité juridique est plus élevée que le droit français.