La vie des directeurs juridiques et des avocats n’est décidément pas un long fleuve tranquille ! Parmi les nombreuses épreuves qu’ils doivent affronter, l’une des plus stressantes est le référé d’heure à heure introduit par une entreprise en vue d’obtenir la poursuite sous astreinte (souvent très élevée) d’une relation commerciale prétendument établie et rompue, selon la partie adverse, de manière brusque et sans préavis suffisant.

En l’espace de 48 ou 72 heures, il faut présenter une argumentation claire et solide dans des dossiers souvent complexes et peu limpides ! Le référé simple soumet le directeur juridique et l’avocat exactement au même défi, certes avec une dose de stress un peu moins forte. Comment réagir ? Avant tout, ne pas perdre son sang-froid et organiser sa défense de façon méthodique.

1. Vérifier la compétence du juge des référés saisi.

Il arrive que, sous la pression de l’urgence, le demandeur ait saisi un tribunal incompétent. Le contentieux de la rupture de relations commerciales établies est réservé à 8 juridictions spécialisées, à savoir les tribunaux de commerce et TGI de Marseille, Bordeaux, Lille, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes (C. com., art. D. 442-3 et D. 442-4). Selon la jurisprudence, la compétence des juridictions spécialisées s’applique aussi en référé (V. not. Paris, 5 juin 2014, LawLex201400002064JBJ).

2. Soulever l’exception d’incompétence si le demandeur a soumis préalablement les mêmes demandes au juge du fond.

Il faut, dans un tel cas, faire valoir l’exception de litispendance et l’incompétence du juge des référés saisi en second (CPC, art. 100).

3. Vérifier avec soin que les conditions de l’action en référé soient remplies.

Les seuls fondements possibles pour justifier une demande aussi grave sont le trouble manifestement illicite ou le dommage imminent (Cass. com., 28 nov. 2006, LawLex200600002456JBJ ; 17 sept. 2013, LawLex201300001374JBJ) ; la prétendue existence d’une obligation non sérieusement contestable est exclue.

4. Réfuter toute prétention de poursuite fondée sur le dommage imminent lié à la fin des relations.

Beaucoup d’actions en référé soutiennent que la fin du contrat ou des relations entraînera un préjudice économique, une perte de chiffre d’affaires et de nombreux licenciements. Or, la fin de tout contrat peut provoquer de telles conséquences. Il ne s’agit pas, pour autant, d’un dommage imminent au sens juridique, autorisant la poursuite forcée du contrat sous astreinte. A défaut, les parties ne pourraient plus mettre fin à aucun contrat et il suffirait que l’une d’elles sollicite du juge des référés sa poursuite forcée quelques jours avant son expiration pour qu’il continue indéfiniment. Le dommage se caractérise par une atteinte dont la victime peut demander réparation au titre d’un manquement contractuel, d’un délit ou d’un quasi-délit. La fin régulière d’un contrat ne peut donc le caractériser. La jurisprudence se montre particulièrement exigeante en requérant du demandeur que le dommage imminent invoqué trouve lui-même son origine dans un trouble manifestement illicite (Paris, 9 janv. 2008, LawLex2008000028JBJ) ou, à tout le moins, dans une faute établie.

5. A titre subsidiaire, faire valoir l’absence de tout dommage économique.

La fin d’un contrat, outre qu’elle ne se traduit pas nécessairement par un dommage au sens juridique, n’entraîne pas non plus dans tous les cas un dommage économique. La perte d’un partenaire, s’il peut être remplacé et n’est pas incontournable, n’est pas dramatique au point d’obliger au maintien forcé de relations.

6. Invoquer l’absence de trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite exige une violation de la loi suffisamment manifeste et évidente pour justifier des mesures exceptionnelles. Les juristes de l’entreprise et les avocats feront valoir que ces conditions ne sont pas satisfaites soit parce que le préavis suffit au regard de la durée de la relation commerciale, soit parce que l’absence de préavis ou sa durée abrégée se justifient par la force majeure ou la faute de la prétendue victime. Une telle faute privative de préavis résulte notamment des impayés ou des retards de paiement réguliers de l’autre partie (Paris, 17 nov. 2010, LawLex201000001341JBJ ; 25 janv. 2014, LawLex201400002163JBJ ; 2 juill. 2014, LawLex201400002186JBJ). La légitimité de la décision s’apprécie au jour de la résiliation et la régularisation du manquement après l’expiration du délai imparti pour y remédier est inopérante (Cass. civ. 3e, 18 févr. 1998, n° 96-13.336).

7. Contre-attaquer.

Outre le fait de souligner la faute du demandeur le privant de son droit à préavis, une demande reconventionnelle de paiement par provision des factures impayées, lorsque les prestations ont été rendues, ainsi que des intérêts de retard, constitue une contre-attaque utile.

8. Rappeler que le juge des référés ne peut ordonner la conclusion d’un nouveau contrat qui a pris fin au jour où il statue.

Le référé est une mesure provisoire. Si le contrat a pris fin, le juge ne peut pas ordonner la conclusion d’un nouveau contrat ou ressusciter l’ancien (Cass. com., 28 nov. 2006, préc.).

9. Eviter les demandes de poursuite du contrat qui ne sont pas strictement limitées dans le temps.

Certains demandeurs sollicitent la poursuite en référé des relations jusqu’à la décision définitive du juge qu’ils ont saisi au fond ou d’une autorité administrative de régulation sectorielle. De telles demandes sont manifestement infondées : la mesure de référé doit être circonscrite dans le temps avec un terme strictement défini (Versailles, 17 déc. 1998, LawLex200205163JBJ).