Le contexte : l’offre de VTC s’est développée pour remédier à la pénurie de taxis à certaines heures, notamment en Ile-de-France (en juin 2013, la France comptait 9 800 VTC – dont 50% en région parisienne -, contre 50 000 taxis, dont 17 000 licences dans la capitale). L’une des contraintes régissant l’activité de VTC tient à l’exigence d’une réservation préalable. Afin d’apaiser les taxis, qui qualifiaient cette nouvelle offre de transport de concurrence déloyale, le gouvernement a planché sur un projet de décret prévoyant notamment l’obligation faite aux seuls VTC d’attendre 15 minutes entre la réservation et le prise en charge effective du client. Consultée par le ministre de l’Économie, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis défavorable estimant que le texte introduisait ainsi sur le marché concurrentiel de la réservation préalable une distorsion de concurrence entre taxis, non soumis à ce délai d’attente, et VTC, très néfaste sur l’activité économique de ces derniers. Le décret a cependant été adopté le 27 décembre dernier. Plusieurs sociétés exerçant l’activité de VTC ont alors saisi le Conseil d’État d’un recours en suspension de l’exécution de ce texte.
En matière de référé dirigé contre un décret, le Conseil d’Etat est compétent en premier et dernier ressort. Cependant, l’issue du référé ne préjuge pas de celle du recours pour excès de pouvoir, attendue en l’occurrence, pour la fin de l’année 2014. En l’espèce, selon le Conseil d’Etat, les deux conditions du référé-suspension sont remplies : 1) il existe un doute sérieux sur la licéité du décret, car les dispositions qui introduisent le délai de 15 minutes portent une atteinte injustifiée à la liberté du commerce et de l’industrie et 2) l’urgence est caractérisée compte tenu de l’atteinte portée aux intérêts des requérantes. Premièrement, selon la Haute juridiction, dès lors que « le simple fait d’accepter, pour un véhicule en circulation sur la voie publique, une réservation par téléphone ou par Internet en vue d’un départ aussi rapide que possible [réservation sans contrainte de délai, dite « as soon as possible »] ne fait pas partie des activités légalement réservées aux taxis », l’introduction d’un délai d’attente de 15 mn par voie de décret ne saurait être justifiée par la nécessité de protéger l’exercice de la profession de taxi. Ni par la fluidité du trafic d’ailleurs, autre motif invoqué à titre de justification par l’administration. Deuxièmement, dans la mesure où le délai de prise en charge d’un client constitue pour l’activité de VTC un élément décisif d’attractivité commerciale, l’introduction d’un délai d’attente crée un risque important de perte de clientèle et un obstacle sérieux au développement des requérantes (qui, par ailleurs, ont engagé des investissements pour constituer leur flotte de véhicules, leur dispositif de réservation et leur clientèle). Dès lors, selon la Haute juridiction, l’urgence est constituée et la suspension, justifiée.
Comme le souligne Jean-Louis Dell’Oro, de Challenges, deux marchés, bien distincts, sont ici en cause : celui de la « maraude » (prise de clients à la volée sur la voie publique) qui relève du monopole des taxis et celui de la réservation préalable sur lequel les taxis, les motos-taxis et les VTC sont en concurrence (V. déjà , Avis de l’AdlC n° 13-A-23 du 16 décembre 2013).  En échange du monopole de la maraude, les taxis disposent d’une licence, en théorie, accessibles auprès des mairies, mais qu’en pratique, compte tenu de la limitation du nombre des licences, ils acquièrent d’un autre chauffeur au prix de 200 000 euro environ à Paris. On comprend mieux, dès lors, pourquoi les taxis voient d’un mauvais œil le développement de nouvelles offres de transport pour les particuliers, tels les VTC ou encore le covoiturage. On peut cependant s’interroger sur la légalité d’un texte réglementaire qui pour protéger une activité soumise à monopole, la maraude, crée un « mini-monopole » sur une activité concurrentielle, la réservation préalable. Selon Les Echos, les taxis, amers et déçus par l’issue du référé, ont d’ores et déjà appelé à une manifestation le lundi 10 février. La situation pourrait s’envenimer avec le lancement récent et offensif d’UberPOP, service de covoiturage urbain lancé par le leader mondial du marché des VTC, la société américaine, Uber, dont Guy Raymond, du Huffington Post, souligne « le caractère frondeur qui tranche avec les autres entreprises du VTC qui ont toujours cherché à ménager les taxis ». Enfin, notons, que hier matin, Jean-Marc Ayrault a annoncé la nomination d’un médiateur, chargé de proposer de nouvelles règles pour éviter la concurrence entre les deux professions, dans l’attente de la décision au fond du Conseil d’Etat.