Le 13 octobre 2020, le Tribunal de commerce de Paris, saisi d’une action visant à faire constater le déséquilibre significatif de certaines clauses du contrat proposé par le groupe Subway à ses franchisés, a partiellement fait droit aux demandes du ministre de l’Economie. De fait, le juge consulaire a déclaré plusieurs stipulations de ce contrat contraires à l’article L. 442-6, I, 2° (devenu l’art. L. 442-1, I, 2°) du Code de commerce, prononcé leur annulation, enjoint à Subway de ne plus les insérer dans ses contrats et infligé une amende civile de 500 000 euro au groupe, représentant 3,5 % de son chiffre d’affaires en France.

Outre son évident intérêt s’agissant de la technique contractuelle et sa valeur d’exemple sur les clauses recommandables ou à éviter, le jugement du tribunal apporte de nombreuses précisions sur les conditions d’application du texte, tout en illustrant une appréciation parfois rigide du déséquilibre, caractéristique des décisions rendues à l’initiative du ministre de l’Economie.

  • La prescription de l’action

Selon le tribunal, l’action engagée par le ministre présente une nature quasi-délictuelle, de sorte que les dispositions applicables à la prescription sont celles de l’article 2224 du Code civil. Par conséquent, le point de départ de la prescription court à compter des premiers actes d’enquête de l’Administration, et non de la date de conclusion du contrat, ce qui peut avoir pour effet de faire peser une épée de Damoclès sur les entreprises pendant bien plus que cinq années.

  • La notion de partenaire commercial

Comme dans l’affaire Amazon (T. com. Paris, 2 septembre 2019, LawLex201900001011JBJ), le tribunal étend la qualification de « partenaire commercial » (remplacée par celle d’« autre partie » par l’ordonnance du 24 avril 2019) à des opérateurs qui ne sont pas les signataires du contrat, mais des partenaires du cocontractant de la victime.

Ainsi, selon le juge, constitue un partenaire commercial celui qui, sans avoir conclu ou participé à la conclusion du contrat, a personnellement pris part aux pratiques restrictives, concouru aux dommages causés en fournissant des moyens et assuré l’exécution des contrats contenant les clauses déséquilibrées. En l’occurrence, cette qualité a été reconnue au prestataire de services du franchiseur chargé d’assurer le respect du contrat et du savoir-faire par les franchisés et d’animer et de développer le réseau.

  • La notion de soumission

Subway faisait valoir que la soumission des franchisés devait s’apprécier au regard du caractère incontournable ou non du réseau, plutôt que de l’absence de négociation ou de la puissance de l’enseigne. Or, en présence de très nombreux concurrents sur le segment de la restauration rapide, et du caractère très fragmenté de ce marché, Subway ne pourrait être considéré comme un partenaire incontournable.

Le tribunal a rejeté cet argument. Soulignant que Subway réclamait une interprétation restrictive du texte, l’exigence tenant à la qualité de partenaire incontournable ajouterait au contraire aux dispositions de l’article L. 442-6 (actuel art. L. 442-1) une condition qu’elles ne contiennent pas.

Selon le juge, la soumission est essentiellement établie par l’insertion dans une convention-type ou un contrat d’adhésion de clauses qui ne peuvent faire l’objet d’une négociation effective. Or, comme le souligne l’enseigne, ses contrats étaient tous rédigés selon le même modèle, pour garantir l’homogénéité du réseau. Contrairement aux affirmations de Subway, le tribunal considère qu’une négociation effective ne peut être suppléée par une invitation du candidat à la franchise à examiner le document d’information précontractuelle, à s’entourer de conseils et à poser les questions qui lui sembleraient pertinentes. A l’inverse, la négociation supposerait, de l’avis du tribunal, une série de concessions réciproques, ce qui paraît aller plus loin que l’esprit du texte, dès lors qu’un contrat équilibré ne s’apparente pas à une transaction destinée à régler un litige.

  • Principes généraux d’appréciation du déséquilibre

En préambule de son jugement, le juge énonce les principes qui guideront son analyse : il s’attachera à la clause et rien que la clause, sans égard pour ses effets concrets. La règle pourrait se concevoir si l’on s’attachait exclusivement au caractère per se de la prohibition du déséquilibre significatif, qui ne nécessite pas d’examiner l’effet anticoncurrentiel de la pratique, c’est-à-dire son effet sur le marché. Cependant, comme on le verra, elle conduit en l’occurrence à une appréciation extrêmement rigide du déséquilibre, dans des hypothèses où le franchiseur a fait preuve d’esprit d’adaptation et de prise en considération des réalités économiques.

En outre, le tribunal se propose de déclarer une clause déséquilibrée si i) elle est en faveur du franchiseur, ii) est dépourvue de contrepartie pour le franchisé ou n’est pas rendue nécessaire pour assurer la cohérence ou l’homogénéité du réseau, gage du succès de l’investissement du franchisé, iii) n’est pas compensée par le rééquilibrage global du contrat.

  • Les clauses validées

Le ministre estimait que la clause qui permettait au franchiseur de conserver le bénéfice du droit d’entrée même si le processus contractuel n’était pas mené à terme (notamment en cas d’échec de la formation du franchisé) était déséquilibrée. Le tribunal considère au contraire que les hypothèses de renvoi du candidat de la formation assurée par le franchiseur étaient légitimes (harcèlement sexuel, agressions, vandalisme, vols, abus d’alcool…).

La clause prévoyant un prélèvement hebdomadaire des redevances et des pénalités de retard est également jugée conforme à l’article L. 442-6. En effet, un tel rythme de prélèvement constitue davantage une aide à la gestion des franchisés inexpérimentés qu’une contrainte, et le mécanisme des pénalités de retard est imposé par la loi. Il en va de même de la clause permettant un contrôle de la comptabilité du franchisé, considérée comme une négation de son caractère de commerçant indépendant par le ministre et comme consubstantielle à la fonction d’assistance du franchiseur par le tribunal.

La clause du préambule du contrat prévoyant que le franchiseur n’engage pas sa responsabilité en cas d’échec commercial du franchisé n’est pas non plus jugée déséquilibrée. Le tribunal y voit une déclaration unilatérale de volonté du franchisé de s’affirmer comme une commerçant indépendant responsable de ses choix d’entrepreneur. La clause de reprise de bail en faveur du franchiseur, en cas de résiliation de celui-ci par le bailleur, ne préjudicie pas davantage au franchisé, privé de tout droit sur le local du fait de la seule résiliation.

Enfin, la clause en vertu de laquelle le contrat peut être résilié sous préavis de 10 jours n’apparaît pas déséquilibrée, dès lors qu’elle sanctionne des fautes graves de nature pénale, qui justifieraient une résiliation sans préavis.

  • Les clauses jugées déséquilibrées

Le tribunal a estimé abusives :

  • la clause prévoyant une ouverture des établissements 7/7 jours, pour une durée minimale de 98 heures par semaine. Selon le tribunal, l’application effective d’une telle clause est sans emport. Au contraire, le nombre de dérogations consenties démontrerait qu’elle n’est pas indispensable à la cohérence et à l’homogénéité du réseau. L’application de la règle de l’absence de prise en considération des effets apparaît excessivement rigide en l’espèce, tant le franchisé semblait avoir fait preuve de compréhension vis-à-vis de la situation individuelle de ses franchisés. Mais plutôt que de s’attacher à l’effet neutralisant des dérogations consenties sur l’application la clause, le tribunal a préféré une condamnation fondée sur une situation abstraite, ce qui paraît regrettable.
  • la clause imposant au franchisé de souscrire une assurance de responsabilité civile et le remboursement au franchiseur des frais engagés pour en assurer l’exécution en cas de manquement du franchisé. Une fois encore, le tribunal évacue l’argument de l’absence d’abus constaté dans l’application de cette clause : la seule absence de plafond au montant des frais mis à la charge du franchisé suffit à justifier l’annulation de la clause.
  • la clause qui prévoit un « droit illimité » du franchiseur de concurrencer le franchisé (c’est-à-dire le droit d’implantation de nouveaux franchisés sur son territoire), tout lui en imposant une obligation de non-concurrence. En l’occurrence, le tribunal relève que ce mécanisme permet au franchiseur de cannibaliser une zone de chalandise par l’installation d’une nouvelle implantation sur une portion devenue plus attractive commercialement, sans accorder de droit de préemption sur celle-ci au franchisé en titre.
  • la clause qui fixe la durée du contrat de franchise à 20 ans. Selon le droit de l’Union, une clause d’approvisionnement exclusif est valable même si sa durée excède cinq années, dès lors qu’elle est nécessaire pour assurer l’homogénéité du réseau et que sa durée ne dépasse pas celle du contrat. Or, le droit français limite à dix ans la durée des clauses d’approvisionnement exclusif (art. 330-1 C. com.). Dès lors, la clause d’approvisionnement exclusif imposée au franchisé, de même que le contrat franchise ne peuvent, selon le juge, durer plus de dix ans.
  • la clause de résiliation du contrat pour « insolvabilité » du franchisé. Le tribunal estime cette stipulation déséquilibrée car elle ne définit pas l’insolvabilité.
  • la combinaison de clauses permettant au franchiseur de résilier le contrat en cas de manquements constatés deux fois au cours de la même année. Selon le juge, une telle clause pourrait conduire à la résiliation du contrat même dans des hypothèses de non-paiement portant sur des sommes minimes, et présenterait ainsi un caractère déséquilibré.
  • la clause imposant au franchisé résilié de déposer les signes de ralliement du réseau dans un délai « raisonnable ». Une telle clause présente, de l’avis du juge, un caractère potestatif en raison de l’absence de définition de ce qui peut constituer un délai déraisonnable.
  • la combinaison de clauses imposant le choix de la langue anglaise pour la rédaction du contrat, l’application de la loi néerlandaise et la compétence d’un arbitre new-yorkais en cas de litige. Si le tribunal ne trouve rien à redire à chacune de ces clauses prises individuellement, il estime que le déséquilibre résulte de leur accumulation. En outre, il souligne qu’un simple détaillant français n’aurait jamais spontanément proposé l’inclusion de telles clauses dans un contrat. Un tel argument paraît relever davantage de la caractérisation de l’élément de soumission que de l’appréciation du déséquilibre.