Les autorités de concurrence ont développé ces dernières années de multiples procédures collaboratives destinées à amener les entreprises à dénoncer des ententes (procédure de clémence) ou à reconnaître des pratiques anti-concurrentielles (procédure de transaction) ou de simples problématiques de concurrence (procédure d’engagements). Toutes ces procédures sont destinées à faciliter le travail de l’administration et à accroître son efficacité. Au sein de cette panoplie, la transaction mérite une attention particulière pour plusieurs raisons.

La procédure de transaction est une innovation récente, issue de la loi Macron du 6 août 2015. Après notification des griefs, elle permet à l’entreprise de négocier avec les services de l’instruction une fourchette d’amende clairement définie comprise entre un montant minimum et maximum en valeur absolue soumis au collège. Même si la procédure n’exclut pas toute incertitude, puisque le Collège de l’Autorité n’est pas lié par la transaction envisagée et peut également sanctionner à hauteur de la fourchette haute, la procédure de transaction est beaucoup plus sécurisante pour l’entreprise que l’ancienne procédure de non-contestation des griefs à laquelle elle s’est substituée. La non-contestation issue de la loi NRE de 2001 pouvait parfois conduire à un marché de dupes, la réduction ne portant à l’époque que sur le taux de l’amende en laissant au collège la maîtrise de son montant de base et même parfois du plafond applicable, différent de celui envisagé par les parties. La pratique récente a montré que les procédures de transaction (applicables aux affaires pour lesquelles les griefs ont été notifiés après l’entrée en vigueur de la loi Macron) permettaient de mettre fin à des procédures pour des montants d’amendes limités : 3 200 euro pour une pratique de prix imposés dans le secteur des arts de la table (AdlC, 26 janv. 2017, LawLex20170000213JBJ), de 15 000 à 250 000 euro dans l’affaire des droits exclusifs d’importation outre-mer (AdlC, 6 juill. 2016, LawLex201600001233JBJ), ou 120 000 euro pour un groupement d’entreprises dans le secteur des équipements professionnels de cuisine (AdlC, 13 avr. 2016, LawLex201600001945JBJ). La procédure paraît d’autant plus attrayante lorsque l’on compare dans certaines affaires (AdlC, 2 déc. 2016, LawLex201600002003JBJ) l’amende de l’entreprise qui ne conteste pas les griefs et accepte la transaction proposée par le rapporteur général (40 000 euro) et celle infligée à l’entreprise qui n’a pas fait ce choix procédural (560 000 euro). Mais a-t-on toujours intérêt à transiger et quelles précautions prendre ?

I  Les facteurs économiques, financiers et juridiques à prendre en compte pour s’engager ou non dans une transaction

1. L’entreprise peut préférer une sanction connue à un stade avancé de la procédure plutôt qu’espérer une sanction moindre ou une absence de sanction au prix d’une longue procédure. Très souvent, les entreprises préfèrent la sécurité. Conformément au paradoxe d’Allais, elles choisissent une amende certaine, mesurée et connue, à une amende peut-être plus faible ou nulle, mais incertaine. Les entreprises cotées en bourse y sont particulièrement sensibles. La transaction leur permet de réaliser cet arbitrage.

2. Quelles que soient les préférences de l’entreprise en fonction de son aversion au risque, la décision doit être précédée d’un diagnostic judiciaire précis. Si la régularité de la procédure et le bien-fondé des pratiques anticoncurrentielles sont très difficilement contestables, la transaction devra être naturellement privilégiée. En revanche, en cas de procédure manifestement nulle et/ou de griefs de caractère très contestable, la voie de la contestation retrouve son intérêt juridique.

3. Le risque d’anticipation et de probabilité renforcée du private enforcement doit être pris en compte. Si le choix de la transaction accélère la procédure de concurrence, elle conduit aussi à anticiper le risque pratique d’actions en dommages-intérêts. La plupart des victimes de pratiques anti-concurrentielles attendent en effet la décision de l’autorité de concurrence avant de s’engager le cas échéant dans une action en dommages-intérêts. L’anticipation de la décision de public enforcement et la reconnaissance de l’infraction accélèrent donc le risque et la probabilité du private enforcement, y compris celle des actions de groupe.

II Les précautions à prendre

4. L’absence de contestation des griefs. L’entreprise doit accepter les griefs et ne peut pas les mettre en cause directement ou indirectement. Elle ne peut dès lors contester ni la procédure ni les pratiques anticoncurrentielles qui lui sont opposées, y compris leur durée et les qualifications retenues. Il convient d’être très prudent en cantonnant sa défense à la contestation de l’évaluation de la sanction tenant notamment à l’absence de gravité des pratiques ou du dommage à l’économie, mais sans remettre en cause les effets anticoncurrentiels avérés ou potentiels, ce qui n’est pas nécessairement évident.

5. Eviter de changer de stratégie en cours de procédure. La pratique montre que le changement de stratégie n’est généralement pas payant. Au plan communautaire, l’affaire Timab Industries (CJUE, 12 janv. 2017, LawLex2017000071JBJ) illustre ce principe. Des entreprises se sont retirées de la procédure de transaction après avoir pris connaissance de la fourchette d’amendes de 41 à 44 millions d’euro proposée par la Commission pour une entente s’étalant de 1978 à 2004. Bien qu’elles aient réussi à ramener au contentieux la durée des pratiques à une période beaucoup plus courte (1993-2004), elles ont écopé d’une amende plus élevée (59 millions d’euro). Le TUE (TUE, 20 mai 2015, LawLex20150000638JBJ) et la CJUE ont rejeté leur recours, validant le fait que l’amende infligée à une entreprise abandonnant la procédure transactionnelle peut être plus élevée dans le cadre de la procédure contentieuse ordinaire que la fourchette transactionnelle, à la seule condition que le montant de l’amende soit motivé correctement.

6. Négocier des engagements de nature à réduire le montant de l’amende. Comme dans l’ancienne procédure de non-contestation des griefs, en matière de transaction, l’entreprise ou l’organisme qui ne conteste pas la réalité des griefs notifiés peut en outre s’engager pour l’avenir à modifier son comportement et dans ce cas le rapporteur général peut proposer au collège d’en tenir compte dans le montant de la sanction. Il convient cependant d’être certain de pouvoir tenir ces engagements car leur non-respect ultérieur exposerait l’entreprise à un risque d’amende.