Une nouvelle approche du Droit de la concurrence par la Commission

L’Union mène actuellement une réflexion générale sur l’adoption de nouveaux outils de concurrence plus adaptés à la numérisation et à la globalisation de la société. Adoptant une approche holistique et globale, la Commission a ainsi dégagé trois piliers :

  • une application rigoureuse des dispositions des articles 101 et 102 TFUE ;
  • une régulation ex ante des plateformes numériques ;
  • un nouvel outil de concurrence destiné à régler les problèmes structurels de concurrence qui ne peuvent être appréhendés de manière efficace par les textes en vigueur.

Le second pilier fait l’objet d’un traitement spécifique puisque la Commission souhaite d’ici la fin de l’année adopter un Digital Services Act Package pour régler les problèmes concernant notamment le pouvoir de marché des plateformes numériques. Elle a dans cette optique lancé le 2 juin 2020 une consultation publique qui porte sur deux axes :

1. définir un régime de responsabilité pour les intermédiaires en ligne et une gouvernance pour les marchés des services numériques ;

2. adopter des règles ex ante pour régler les problèmes de déséquilibre sur ce marché, en créant notamment un statut de « gatekeeper » pour les grandes plateformes qui fixent les règles du jeu pour leurs concurrents et les utilisateurs.

La Commission souhaite ainsi rétablir une concurrence loyale sur le marché des produits et services numériques où les GAFA doivent pouvoir être challengées par les concurrents actuels et futurs afin d’offrir le plus grand choix possible aux consommateurs et favoriser la compétitivité au sein du marché intérieur. Actuellement, leur autorégulation et les importantes barrières à l’entrée qui résultent de leur pouvoir de marché nuisent tant à la concurrence, qu’aux consommateurs et à l’innovation.

Sont notamment stigmatisés par les autorités de concurrence au sein de l’Union et aux Etats-Unis le pouvoir monopolistique de Facebook sur les réseaux sociaux, les tactiques anticoncurrentielles de Google pour maintenir son monopole notamment sur la recherche générale, le comportement anticoncurrentiel d’Amazon dans son traitement des vendeurs tiers présents sur sa plateforme ou encore les barrières à l’entrée qu’Apple érige grâce à son contrôle sur l’iOS et l’App Store qui conduisent à discriminer et exclure ses concurrents. Déjà les GAFA ont fait l’objet de nombreuses condamnations par les autorités nationales et européennes. Les pratiques d’allocations de produits et de clientèle mises en oeuvre par Apple et ses grossistes ont été jugées anticoncurrentielles par objet par l’Autorité de la concurrence (AdlC, n° 20-D-04, 16 mars 2020, LawLex202000000542JBJ). Une amende de 150 millions d’euro a été infligée à Google pour avoir défini de manière non objective ni transparente les règles contractuelles de fonctionnement de son service Google Ads et les avoir imposées aux annonceurs dans des conditions aléatoires, non équitables et discriminatoires (AdlC, 9-D-26 du 19 décembre 2019, LawLex202000000132JBJ). La Commission, pour sa part, a sanctionné Google pour avoir favorisé son application de recherche Google Search et son navigateur Google Chrome (Décision Comm. UE n° AT.40009 du 18 juillet 2018, Google Android). Toutefois, ces condamnations à des amendes parfois lourdes semblent insuffisantes à stopper les pratiques anticoncurrentielles de ces entreprises. C’est pourquoi l’Union cherche à se doter d’un dispositif plus contraignant.

Ces nouvelles règles devraient imposer aux GAFA un partage de leurs données avec leurs concurrents, les obliger à prévoir la désinstallation de leurs applications sur les smartphones et leur interdire la préinstallation de ces applications. Les géants du numérique ne pourraient plus bloquer les concurrents qui souhaitent proposer leurs produits en dehors de leurs plateformes ou mettre en avant les produits de leur propre groupe dans les résultats de recherche sur internet ou les boutiques en ligne imposées d’office comme l’App Store ou Google Play. Le Parlement européen s’est prononcé le 20 octobre 2020 en faveur d’une stricte régulation et incite la Commission à faire montre de fermeté dans son projet de nouvelle réglementation destinée à se substituer à la directive sur le e-commerce du 8 juin 2000.

Une réflexion partagée par l’Autorité de la concurrence

De son côté, l’Autorité de la concurrence a suggéré d’introduire dans le droit de la concurrence, national comme européen, de nouvelles dispositions spécifiques aux  » plateformes numériques structurantes « . Partant du postulat qu’il faut d’abord identifier celles-ci afin d’appréhender leur comportement, l’Autorité propose une définition générale de la notion de  » plateforme numérique structurante  » en trois temps, qui pourrait ensuite être encadrée par des lignes directrices. Relèveraient de cette qualification : « 1) une entreprise qui fournit en ligne des services d’intermédiation, en vue d’échanger, acheter ou vendre des biens, des contenus ou des services, et 2) qui détient un pouvoir de marché structurant a) en raison de l’importance de sa taille, sa capacité financière, sa communauté d’utilisateurs et/ou des données qu’elles détient, b) lui permettant de contrôler l’accès ou d’affecter de manière significative le fonctionnement du ou des marchés sur lesquels elle intervient, 3) à l’égard de ses concurrents, de ses utilisateurs et/ou des entreprises tierces qui dépendent pour leur activité économique de l’accès aux services qu’elle offre ». Une liste de pratiques soulevant des préoccupations de concurrence serait établie, qui ne devraient pas faire l’objet d’une interdiction per se mais d’une appréciation au cas par cas, telles que notamment la discrimination des produits ou services concurrents utilisant les services de la plateforme, l’entrave à l’accès aux marchés sur lesquels elles ne sont pas dominantes ou structurantes, l’utilisation des données sur un marché dominé pour en rendre l’accès plus difficile, le fait de rendre l’interopérabilité des produits ou services ou la portabilité des données plus difficiles ou d’empêcher le recours à la multi-domiciliation.

L’Europe n’est pas la seule à se préoccuper de la puissance excessive des GAFA. Aux Etats-Unis, un rapport présenté au Congrès réclame une réforme des lois antitrust pour mettre fin « aux acquisitions meurtrières » et aux « monopoles numériques » des géants du web. Le rapport suggère notamment un démantèlement qui conduirait Facebook à se priver d’Instagram et de Whatsapp, Google de Youtube… Si les propositions américaines peuvent paraître plus radicales que celles de l’Union, cette dernière, en obligeant les GAFA à partager leurs données, semble finalement aller plus loin, l’accès aux données constituant un élément essentiel du pouvoir de marché et de la valeur d’une entreprise.